En difficulté en championnat (huitième), le tenant du titre suisse Genève-Servette accueille le plus grand évènement de son histoire avec cette finale européenne. Le public pourrait aider à renverser les pronostics. Son soutien a aidé les Aigles à être invaincus à domicile pendant toute cette campagne de CHL. L’organisation obtenue de justesse à la différence de buts est donc une clé. Les places non réservées aux abonnés pour cette finale aux Vernets sont parties en deux minutes à peine et ont fait beaucoup de malheureux ! Encore plus malheureux : le capitaine grenat Noah Rod, dont la saison s’est achevée avant cette finale sur une blessure à l’épaule subie mardi dernier en Ajoie.
Le quatrième de SHL, Skellefteå, semble avoir résolu ses problèmes d’efficacité offensive de début de saison. Il le doit notamment à un powerplay impressionnant, qui tourne à 35,5% de réussite en Suède… mais seulement 12,2% en CHL ! C’est pourtant mieux que les Genevois, qui plafonnent à 11,1% dans la compétition. Les unités spéciales de Genève-Servette sont néanmoins positives avec un excellent pourcentage en infériorité numérique (91,9%), ce qui n’est pas le cas du SAIK (77,8%).
Les Suisses entrent bien dans leur finale en confisquant la possession du palet. Ils se découvrent un premier héros inattendu à la cinquième minute en la personne d’Eliot Berthon. Le petit Français de la quatrième ligne travaille dans la bande où il échappe aux griffes d’Oskar Nilsson et accélère soudain vers le but en recevant au bon moment une excellente passe d’Arnaud Jacquemet depuis la ligne bleue. Arrivant seul devant le gardien Linus Söderström, Berthon le dribble et conclut du revers cette action splendide… mais la cage a bougé avant son tir, déplacée par l’appui du patin de Söderström. Le but serait rentré quand même, et les arbitres l’accordent donc après avoir regardé les ralentis (1-0).
Battu dans le duel puis au marquage sur ce but, le défenseur Oskar Nilsson aggrave son cas en faisant trébucher en zone neutre Daniel Winnik – qui vient d’apprendre que ce contrat ne serait pas reconduit cet été. Cette première supériorité numérique confirme les faibles statistiques même si l’unité menée par Sami Vatanen a plutôt bien fait circuler le palet. Même sans but, cette séquence ne fait que renforcer la possession genevoise, mais au retour à cinq, Skellefteå se lance dans une attaque rapide. Pär Lindholm décale alors dans le cercle gauche (photo ci-dessous) l’international letton Martins Dzierkals dont le tir en angle assez fermé trouva la lucarne proche (1-1). C’était le premier tir suédois, et c’est un lancer qu’un gardien de la trempe de Jussi Olkinuora aurait dû arrêter.
Le GSHC reprend la maîtrise du jeu comme si de rien n’était. Sami Vatanen centre pour Vincent Praplan entre les cercles mais le tir du Sierrois passe à droite de la cible. Peu après, un contact genou contre genou d’Oscar Lindberg sur Chanton dans le coin est sanctionné. Ce deuxième jeu de puissance est cette fois transformé, sur une action où les quatre vedettes finlandaises touchent le palet à la suite : Vatanen à la baguette à la bleue, Filppula pour la mention d’assistance, puis Teemu Hartikainen dont la belle passe transversale levée du revers devant le filet est reprise à l’opposé par Sakari Manninen qui savoure en se léchant les babines (2-1). Le coach suédois Robert Ohlsson demande à faire vérifier un possible hors-jeu lors de l’entrée de zone préalable. Le patin droit de Josh Jooris est certes déjà en zone offensive, mais la pointe de son patin gauche est posée sur la glace au-dessus de la peinture bleue quand le palet la franchit. Le but est bien valide.
Comme c’est l’usage en CHL, la supériorité numérique ne s’arrête pas parce qu’un but est marqué. À la dernière seconde avant la fin de pénalité, le vétéran moustachu Daniel Winnik rabat parfaitement le palet envoyé de la bleue par Tim Berni pour une déviation imparable (3-1). Les statistiques du GSHC en powerplay viennent de gonfler en l’espace de deux minutes. Autre fait curieux : comme la période se termine à 6 lancers cadrés à 2, les deux équipes ont une efficacité aux tirs de 50% !
Les Genevois s’agrippent à cette avance en deuxième période en se montrant agressifs en zone neutre. Vincent Praplan intercepte ainsi le palet devant Pär Lindholm et qui vient tester Söderström en contre-attaque. Un cross-check de Winnik les oblige à défendre en infériorité pour la première fois, mais le powerplay de Skellefteå est en mode « CHL » et non « SHL ».
Le système défensif de Jan Cadieux ne paraît jamais pris en défaut. Ni en zone neutre, où le 1-2-2 est bien huilé. Ni en zone défensive, où les Aigles bien compacts ne laissent que des tirs extérieurs sans vrai danger, sur lesquels Olkinuora ne fait plus d’erreur. La mécanique horlogère ne se dérègle qu’une fois, quand les arbitres comptent six joueurs locaux sur la glace, mais le tic-tac reprend pendant la pénalité car les Suédois ne s’installent que dans les dernières secondes avant la sirène.
Le troisième tiers-temps reprend sur le même mode et les chants des supporters genevois ont toutes les raisons d’être confiants. Et puis, après huit minutes, voilà qu’un but arrive de nulle part sans s’être annoncé. Anton Heikkinen entre tout juste dans le cercle gauche et prend un tir voilé qui ricoche sur le bouclier d’Olkinuora et entre dans les filets (3-2).
Faut-il changer de tactique et un peu moins subir car on ne peut pas tout maîtriser ? Les Genevois essaient de repartir à l’attaque mais se font prendre en transition à deux contre deux. C’est encore le jeune aillier Heikkinen qui est proche du doublé, sur un très rare tir suédois dans la zone de vérité entre les cercles, après un centre d’Oscar Lindberg, mais Olkinuora réussit cette fois à parer de la paque à contresens de son déplacement. L’inquiétude monte et les spectateurs ont hâte que ça se termine, mais Valtteri Filppula – présenté comme en quête d’un exploit historique ce soir s’il devient membre du Triple Gold Club à remporter aussi la CHL (stat peu pertinente car un certain Jaromír Jágr a aussi été champion d’Europe dans une mouture précédente et a tous les autres trophées) – prend une pénalité bête en zone offensive en faisant trébucher Pär Lindholm.
Parti presser en infériorité numérique, le défenseur Simon Lecoultre réussit à prendre le palet dans le coin au gardien Linus Söderström mais c’est Filip Sandberg qui sauve son camp en lui barrant l’accès à la cage vide. Le coach suédois Robert Ohlsson sort ensuite son gardien pour jouer à 6 contre 4. Sur le premier engagement en zone offensive, le tir du poignet fulgurant de Filip Sandberg est repoussé par l’épaule gauche d’Olkinuora qui sort là l’arrêt décisif au bon moment. Sur l’engagement suivant, le dégagement de Tanner Richard manque la cage vide pour une dizaine de centimètres. On Genève ne trouvera jamais cette cible désertée de son occupant, mais peu importe, le danger est éloigné.
Crosses et casques tombent, Genève-Servette est champion d’Europe. C’est le deuxième club suisse à réussir cet exploit après Zurich en 2009. Un moment de gloire pour toute la Romandie, et – un petit peu – pour la France voisine qui a apporté le premier buteur et infusé ses cadres dans le staff dont l’entraîneur-adjoint Yorick Treille. Parmi les vainqueurs, Sami Vatanen a l’honneur supplémentaire d’être élu MVP de cette CHL.
Noah Rod, avec le bras gauche en écharpe, est invité à soulever une des anses du trophée en même temps que celui qui l’a remplacé en tant que capitaine, Tanner Richard. La voix de Freddie Mercury retentit (pour chanter We are the champions) et la fumée monte (des fumigènes du kop genevois) mais malgré ces signes distinctifs on n’est pas à Montreux, plus en amont du Lac Léman, mais bien à Genève, qui marche sur l’eau et trône ce soir au sommet de l’Europe du hockey.
Désignés joueurs du match : Daniel Winnik (photo ci-dessous) pour Genève-Servette et Linus Lindström pour Skellefteå.
Commentaires d’après-match (au micro de la CHL et de la RTS) :
Jan Cadieux (entraîneur de Genève-Servette) : « C’était notre but au début de l’année de remporter cette Ligue des Champions. Le mérite en revient aux gars qui ont été incroyables ce soir. Nous avons fait le job, oui. Pour le hockey suisse, pour Genève, pour ces 24 joueurs, cela signifie tout. Nous avions dit que nous prendrions cette Ligue des Champions sérieusement et que nous voulions la gagner. La soulever devant nos supporters, cela veut dire beaucoup. »
Robert Ohlsson (entraîneur de Skellefteå) : « Nous avons fait une grande compétition. Nous perdons contre une bonne équipe aujourd’hui. La première période est la raison pour laquelle ils ont gagné. Ils étaient meilleurs que nous au départ, ils ont exécuté leur powerplay. Nous sommes mieux entrés dans le match en deuxième période et nous avons fait une bonne troisième période. Peut-être que nous aurions eu besoin de meilleures unités spéciales pour gagner. Nous allons apprendre de cette expérience et j’espère que nous remporterons notre propre championnat. »
Eliot Berthon (attaquant de Genève-Servette): « Je viens d’étreindre mon père, donc forcément je craque. Il m’a toujours soutenu, comme toute ma famille. Ce sont de beaux moments, ceux qu’on ne vit qu’une fois dans une carrière en général. Je pleure, car je suis passé par des moments vraiment durs. Je n’ai pas vécu le titre de champion suisse de la même manière, même si j’étais présent avec l’équipe, car je n’avais pas joué. Là, c’est différent. J’ai essayé de contribuer à ma manière. Je ne m’imaginais pas vraiment ouvrir le score, car mon rôle est plutôt d’amener de l’énergie. Mais je suis fier. C’est un but de roublards : ce n’est pas la première fois que Jacquemet me met dans une bonne situation. C’est génial que cela ait fonctionné ce soir. Vers la fin, c’était dur, mais on a été solide défensivement. Notre gardien a fait des arrêts aux moments importants. »
Arnaud Jacquemet (défenseur de Genève-Servette): « On gagne 2 titres en 10 mois, c’est magnifique. On démontre que le hockey suisse a un bon niveau. On n’a jamais douté. Si c’était le cas, on ne pourrait jamais gagner ce genre de match. Il faut donner du crédit à Skellefteå, car même menés 3-1 dans une telle ambiance, ils n’ont pas baissé les bras. Le championnat reprend sous peu, donc on ne pourra pas aller à Ibiza demain, comme après notre titre de champion suisse ! Mais on va quand même fêter ce sacre, c’est clair. Ma passe sur le 1-0 ? Ça m’a fait plaisir d’apporter ma pierre à l’édifice. Dans ce genre de partie, c’est souvent les joueurs les moins attendus qui marquent. Je suis content pour Eliot, car on a vécu beaucoup de choses ensemble. Je m’en souviendrai. »
(photos de Pierre Maillard)
Genève-Servette – Skellefteå AIK 3-2 (3-1, 0-0, 0-1)
Mardi 20 février 2024 à 19h30 à la Patinoire des Vernets. 7135 spectateurs.
Arbitres : Mikko Kaukokari et Joonas Kova (FIN) assistés de Josef Špůr et Jiří Svoboda (TCH)
Pénalités : Genève 6′ (0’, 4’, 2’) ; Skellefteå 4′ (4’, 0’, 0’).
Tirs : Genève 15 (6, 8, 1) ; Skellefteå 25 (2, 14, 9).
Évolution du score :
1-0 à 05’30 : Berthon assisté de Jacquemet et Jooris
1-1 à 11’35 : Dzierkals assisté de P. Lindholm et Z. Forsfjäll
2-1 à 17’37 : Manninen assisté de Hartikainen et Filppula (sup. num.)
3-1 à 18’36 : Winnik assisté de Berni et Praplan (sup. num.)
3-2 à 48’09 : Heikkinen assisté de Lindberg et Nilsson
Genève-Servette (2′ pour surnombre)
Attaquants :
Marc-Antoine Pouliot (-1) – Valtteri Filppula (-1, 2′) – Vincent Praplan (-1)
Daniel Winnik (2′) – Tanner Richard – Marco Miranda
Alessio Bertaggia (-1) – Sakari Manninen (-1) – Teemu Hartikainen (-1)
Eliot Berthon (+1) – Josh Jooris (+1) – Christophe Cavalleri (+1)
Défenseurs :
Gian Carlo Chanton – Sami Vatanen (+1)
Theodor Lennström (-1) – Roger Karrer (-1)
Tim Berni (-1) – Simon Le Coultre
Mike Völlmin – Arnaud Jacquemet (+1)
Gardien :
Jussi Olkinuora
Remplaçant : Robert Mayer (G). Absents : Noah Rod (épaule), Guillaume Maillard (adducteurs), Julius Honka (rentré à Berne après son prêt).
Skellefteå AIK
Attaquants :
Zeb Forsfjäll (+1) – Pär Lindholm (+1) – Martins Dzierkals (+1)
Rickard Hugg (+1) – Oscar Lindberg (+1, 2′) – Anton Heikkinen (+1)
Max Lindholm – Linus Lindström – Dylan Sikura
Andreas Johnson (-1) – Jonathan Johnson (-1) – Filip Sandberg (-1)
Défenseurs :
Måns Forsfjäll – Jonathan Pudas
Arvid Lundberg – Elias Salomonsson
Oskar Nilsson (+1, 2′) – Petter Granberg (+1)
Axel Sandin Pellikka
Gardien :
Linus Söderström [sorti de 57’59 à 58’57 et de 59’17 à 60’00]
Remplaçants : Gustaf Lindvall (G), Lukas Vesterlund (A). Absents : Oscar Möller (burnout), Simon Robertsson (prêté à Brynäs), Elias Stenman (prêté à Södertälje), Theo Keilin (prêté à Karlskoga).