Poursuivons notre présentation de la KHL avec l’autre partie de la Conférence Ouest, la division Bobrov. C’est là qu’évoluent le club le plus puissant de Russie (et son officieuse équipe-ferme), le club le plus populaire, le club à l’entraîneur le plus respecté – mais le plus critiqués par certains journalistes – et… l’autre, le club qui change sans cesse de ville et que tout le monde a oublié.
SKA Saint-Pétersbourg : un règlement est fait pour être contourné
Le SKA Saint-Pétersbourg agit « en pleine conformité avec les règlements actuels de la KHL ». C’est ainsi qu’Aleksei Morozov, réélu président de la ligue par le conseil d’administration dirigé par Gennadi Timchenko (qui est le président du SKA…), a évacué les questions sur les acrobaties du club le plus riche du pays pour déjouer le plafond salarial. Un amendement « anti-SKA » entrait pourtant en vigueur cet été pour n’autoriser que trois renégociations à la baisse des contrats en cours. Le SKA a donc mis fin à six contrats le 30 avril (Khairullin, Zemchenok, Pedan, Vorobyov, Dedunov, Zykov) pour les re-signer comme « agents libres » le 1er mai au matin, date d’ouverture du nouveau marché et d’application de la nouvelle règle, dont le quota a été utilisé uniquement pour renégocier les contrats de Gritsyuk et Sapego.
Mais pourquoi les joueurs acceptent-ils d’être moins payés ? Officiellement en échange de très gros bonus conditionnels : Marat Khairullin et Mikhaïl Vorobyov peuvent doubler leur salaire en étant dans les 3 meilleurs buteurs ou compteurs de la saison régulière, Andrei Pedan en étant dans les trois meilleurs +/- ou pointeurs parmi les défenseurs. Mais rien de tout cela n’explique qu’Arseni Gritsyuk ait divisé son salaire… par cinq ! Or, son ex-femme Viktoria Danilchuk vient de lui reprocher sur les réseaux sociaux d’avoir divorcé parce qu’elle ne cuisinait pas en se remettant de sa grossesse, et de lui avoir donné deux jours pour faire ses valises avec son bébé. Surtout, l’ex-championne de GRS accuse Gritsyuk d’avoir en fait réduit son salaire… pour ne pas payer de pension alimentaire !
Voilà un motif auquel on n’aurait pas pensé, et très différent de l’explication officielle ! Gritsyuk avait justifié sa baisse de rémunération de 80% en expliquant qu’il se rattraperait en NHL dans un an, et qu’il avait agi pour le bien de l’équipe, pour permettre le recrutement d’Evgeni Kuznetsov. Celui-ci a signé pour 4 ans comme l’autre revenant de NHL (le défenseur Nikita Zaitsev). La cérémonie de présentation de Kuznetsov à la SKA Arena a été comparée à celle de Kylian Mbappé au Real Madrid. Le centre qui avait conduit les Washington Capitals à la Coupe Stanley 2018 avec 32 points en playoffs a subi depuis une suspension internationale pour prise de cocaïne, puis une addiction aux médicaments – dont il se dit complètement remis depuis mai – à cause de douleurs dues à une polyarthrite rhumatoïde. Kuznetsov a signé pour 92 milllions de roubles par an, mais seulement 50 millions la première année pour tenir au forceps sous le plafond. Néanmoins, cette somme peut être multipliée par vingt et atteindre 1 milliard de roubles (!) en cumulant tous les bonus – soit plus que la masse salariale totale autorisée qui est de 900 millions de roubles annuels (9 millions d’euros). Le tout avec la caution de la ligue… Bien sûr, bien des observateurs pensent que Kuznetsov, Gritsyuk et compagnie seront payés au noir, car tout le monde n’aura pas de bonus.
Avec en théorie un seul joueur parmi les 60 plus gros salaires de KHL (le technique Sergei Tolchinsky qui a d’ailleurs un faible temps de jeu), le SKA a de loin la plus grande profondeur de banc, ce qui doit lui permettre de gérer la longue saison. Les temps de jeu sont équilibrés mais la gestion de l’oligarque devenu coach autodidacte Roman Rotenberg est très critiquée, notamment parce qu’il change sans cesse ses lignes. Il a aussi mis sur le banc son gardien Nikita Serebryakov après avoir pourtant déclaré lui faire toute confiance. Mais alors qu’on compare son équipe de rêve à un jouet de luxe mis dans la main d’un enfant, Rotenberg a répondu avoir la preuve que les commentaires négatifs sur le SKA émanaient de l’étranger ! C’est comma ça aujourd’hui en Russie, toute voix critique est nécessairement un agent de l’étranger, même quand il s’agit juste de questionner la compétence d’un entraîneur autoproclamé !
Spartak Moscou : une deuxième chance pour une deuxième ligne
Le Spartak a aussi pour principe de ne pas dépasser 45 milions de salaire de base, qui peuvent doubler avec des bonus. C’est sûrement plus vraisemblable dans son cas, parce que le club ne roule pas sur l’or et qu’on sait que les joueurs sont moins gourmands pour avoir le privilège de jouer à Moscou (et pas dans une province reculée).
Ce salaire est suffisant pour attirer Adam Růžička (photo ci-dessus), viré des Arizona Coyotes en février pour avoir « fait une Kuznetsov » (été filmé en possession de ce qui ressemble à de la cocaïne dans une vidéo publiée sur son propre compte Instagram). S’il règle ses problèmes en dehors de la glace – ce qui est le sujet majeur le concernant – Růžička a le talent pour faire un très bon centre de deuxième ligne. L’entraîneur du Spartak Aleksei Zhamnov lui a fait de la place en poussant à l’aile Mikhaïl Maltsev, qui n’était pas le plus créatif mais peut mieux utiliser son gabarit dans ce nouveau poste (même s’il le faisait bien quand il prenait les mises au jeu).
Le Spartak a donc un meilleur deuxième trio offensif, en plus du premier trio qui a fait sensation la saison dernière (Pavel Poryadin – Ivan Morozov – Nikolai Goldobin). Il a gardé ses gardiens et il a aussi ulcéré les supporters du Dynamo en convainquant le capitaine du club rival de la capitale, Andrei Mironov, qui sera un autre défenseur majeur en plus du Slovaque Michal Čajkovský. Le retour au premier plan du club le plus populaire de Russie pourrait donc se confirmer.
Torpedo Nijni Novgorod : le discours du Professeur attire
Le Torpedo Nijni Novgorod a pour sa part été obligé de s’adapter au relèvement du plancher salarial (450 milions de roubles, la moitié du plafond), tant il dépense peu. Il n’y a rien qui énerve plus certains experts arrogants de la presse russe que lorsqu’un club « fait honte » à la ligue en recrutant dans un club hongrois de ligue autrichienne, mais le Torpedo l’a fait avec le défenseur canadien Marcus Phillips (Fehérvár) et lui donne un temps de jeu important.
Ces mêmes experts veulent absolument « se payer » Igor Larionov (photo ci-dessous), mais chaque personne objective reconnaît que l’entraîneur fait du bon travail. En plus, son fils est performant sur la glace, ce qui enlève un angle d’attaque douteuse. Quand on lui demande ses ambitions, le Professeur garde ce discours optimiste qui agace les polémistes : « Nous sommes en pleine ascension afin d’attirer un large public de fans à travers le pays, de percer, de croire en ce que nous faisons. Mais nous n’avons pas d’autres plans que d’être les premiers. »
Les joueurs, eux, répondent avec leur stylo, en signant pour le Torpedo. L’ailier technique Dmitry Kagarlitsky est content de retrouver un entraîneur plus positif que le grognon Znarok et l’austère Bilyaletdinov pendant ses trois ans à Kazan. Deux autres joueurs ont pris le même chemin. Andrei Svechnikov a négocié une rupture de contrat (et une indemnité) avec Ak Bars après une année gâchée par les blessures et tentera de se relancer avec un coach qui l’a souvent vu jouer en Amérique du Nord. C’est même une star qui arrive avec Vyachesav Voinov, même si le défenseur n’a peut-être plus à 34 ans la mobilité sur laquelle il a bâti son jeu. Conspué pour ses erreurs à Kazan, il aura le temps de jeu principal avec Larionov.
Il n’y a certes pas de garantie de compenser le départ en NHL du leader offensif Nikolai Kovalenko, mais le Professeur continuera s’enseigner son style de jeu ouvert et offensif. Une nouvelle qualification confortable en play-offs serait déjà une belle victoire avec le budget minimal.
HK Sotchi : deux gamins pour fermer la porte de la ferme
Le HK Sotchi peut-il se mêler à la lutte pour les play-offs ? L’autre nouveau règlement « anti-SKA » limitant les retours au club d’origine interdit les prêts déguisés aux équipes-fermes officieuses, comme la formation de la station balnéaire de la Mer Noire l’est pour celle de Saint-Pétersbourg. Mais il ne s’applique pas aux entraîneurs. Sergei Zubov, assistant-coach du SKA, est revenu dans le club dont il avait été viré en octobre 2019. On s’est souvenu qu’il avait conduit Sotchi en play-offs deux fois pendant ses deux saisons complètes… et qu’il n’y a plus jamais eu de qualification depuis son éviction !
Zubov arrive avec Maksim Fedotov, qui évoluait sur la deuxième unité de jeu de puissance du SKA et à qui il fait confiance comme défenseur numéro 1 multi-tâches à gros temps de jeu. Les lignes arrières manquaient jusqu’ici d’un tel profil complet, faisant le grand écart entre le très offensif Jesse Grahame (32 points l’an passé mais un -33 qui pique les yeux) et le pilier de zone défensive et d’infériorité numérique Gleb Koyagin (seulement 8 points et un très honnête -2).
En revanche, Sotchi ne dispose plus du talent offensif de Matvei Michkov (désormais couvé par les Flyers de Philadelphie en NHL). Les nouveaux prêts autorisés et officiels du SKA se concentrent sur un seul poste, celui de gardien : Sergei Ivanov (20 ans) et Egor Zavryagin (19 ans) sont deux des plus sûrs espoirs de Russie devant les filets, et ils vont beaucoup apprendre, mais leur inexpérience risque de compromettre un retour en play-offs.
Vityaz : un entraîneur débutant et un espoir déprécié
Le Vityaz établi à Balashikha se présente avec un entraîneur-chef qui débute en KHL dans cette fonction, mais présente un profil intéressant. Après avoir participé aux deux titres de champion de Russie du Lada Togliatti quand il était joueur, Pavel Desyatkov a fait ses classes d’entraîneur en VHL, avec des résultats honnêtes dans de petits clubs. Il a participé la saison dernière au retour de son club formateur (Togliatti) en KHL comme assistant-coach d’Oleg Bratash, mais avec un rôle important dans la définition de la tactique. En prenant en mains le dernier de la saison, il aura de quoi démontrer sa compétence.
L’autre homme à suivre sera Ivan Chekhovich. Il y a deux ans, le Lokomotiv Yaroslavl avait échangé quatre joueurs plus une grosse somme d’argent (50 millions de roubles) au Torpedo pour acquérir les droits de ce jeune attaquant. Sur ces quatre joueurs qui ont servi de monnaie d’échange, trois sont des joueurs-cadres à Nijni Novgorod est le quatrième – Aleksandr Daryin – est devenu depuis lors titulaire… au Vityaz.
À Yaroslavl, Chekhovich a connu une deuxième saison moins florissante (descendant de 17 à 6 buts) avec moins de temps de jeu. Pour pouvoir se payer Radulov & co en restant sous le plafond salarial, le Loko a laissé libre Chekhovich, qui devrait briller et relancer sa carrière dans le petit club. Mais collectivement, et malgré 5 Nord-Américains, il serait néanmoins surprenant de voir l’équipe accéder aux play-offs, d’autant que le capitaine Vladimir Galuzin et le défenseur Dean Stewart se sont blessés après seulement deux rencontres.
photos : spartak.ru