Le Mondial féminin 2023 de Brampton s’est achevé sur le retour en force des Américaines au sommet du monde. Au-delà des performances, une telle compétition est une photographie à l’instant T de la situation du hockey féminin. Profitons-en pour faire l’état des lieux.
Des Américaines nouvelle génération aux commandes
Elles étaient dans une spirale qui ne cessait de les faire valser. L’équipe des États-Unis n’avait plus connu de titre de majeur depuis le Mondial 2019, soit l’ère avant covid. Une éternité pour cette constellation de stars. Elles avaient connu trois échecs consécutifs en finale (Jeux olympiques 2022, Mondiaux 2021 et 2022), et cette saison les Américaines avaient sombré lors de la fameuse Rivalry Series contre le Canada en menant la série 3 victoires à 0, avant de flancher et de subir quatre revers consécutifs, dont deux leçons canadiennes à Québec.
Un coup de massue cette série de la rivalité pour les Américaines. Mais cela a eu le mérite de remettre les idées en place. À une semaine de la compétition, histoire de bousculer les certitudes, USA Hockey organisait un camp de sélection de 46 joueuses réparties en deux équipes de 23 pendant cinq jours. Une répétition générale pour jauger et s’assurer d’avoir les meilleures, quelle audace… mais une audace qui a fonctionné. Dix-sept joueuses sélectionnées pour ce Mondial étaient, certes, déjà présentes lors de l’édition précédente, six faisaient néanmoins leurs débuts aux championnats du monde senior. Et cet ajustement s’est avéré habile, la nouvelle vague a fait fureur.
Parmi elles, la défenseure Haley Winn (19 ans, 12’31 de temps de jeu par match, 5 passes) et Tessa Janecke (18 ans, 15’43 de temps de jeu, 6 points) ont tiré leur épingle du jeu. Titulaire pour la première fois de sa carrière au détriment de la plus expérimentée Nicole Hensley, Aerin Frankel (23 ans) a disputé 6 des 7 matchs des États-Unis, et maintenu un pourcentage d’arrêts de 93,2%. Taylor Heise (23 ans, 12 points soit au total déjà 30 en deux championnats du monde) et Abbey Murphy (21 ans, 5 buts dont un en finale) se sont mis en évidence. Quant à Caroline Harvey, tout juste 20 ans, elle a explosé en finissant meilleure marqueuse du Mondial, la première défenseure de l’histoire à réaliser cette performance. Le coach John Wroblewski, déjà médaillé d’or avec l’équipe masculine U18, et son staff peuvent être satisfaits de leur travail de sélection et d’évaluation en amont, et de leur encadrement durant le tournoi.
En inscrivant un triplé en finale et en devenant ainsi la première joueuse de l’histoire à passer le cap des 100 points aux Mondiaux, Hilary Knight a réalisé une performance qui restera dans les mémoires. Pour autant, la nouvelle génération américaine est déjà là. Une situation qui tranche sérieusement avec le vaincu à domicile, le Canada qui, avec 27 ans et demi, était de loin l’équipe la plus âgée du tournoi. C’est un alignement où Natalie Spooner, 32 ans, a pu revenir quatre mois après sa grossesse. Le challenge est admirable, mais Alex Cavallini, titulaire au Mondial 2021 et aux Jeux olympiques 2022, était dans une situation identique à celle de Spooner. L’intransigeance américaine l’a en revanche exclue à l’issue du dernier camp de sélection, ce qui était possible pour le Canada ne l’était pas pour les États-Unis. Après un échec, et ils se sont répétés dans le camp américain, les choix peuvent toujours être remis en question. Mais il est une chose que le Canada devra probablement aborder, et que les États-Unis ont déjà emprunté : la voie du renouvellement. En cela, les Américaines ont pris un temps d’avance sur leurs rivales.
Émergence de talents d’exception
La Tchéquie a réussi une nouvelle splendide performance en obtenant une deuxième médaille de bronze consécutive, après avoir fait chuter pour la deuxième année en quart de finale la Finlande. Deux médailles obtenues sous la direction de la populaire, charismatique et respectée Carla MacLeod, ancienne joueuse multi médaillée avec le Canada et dont la relation de confiance avec les joueuses fonctionne à merveille. La jeune manager (25 ans) Tereza Sadilová, architecte avec l’ancien entraîneur Tomáš Pacina de cette montée de puissance sur la scène mondiale, a clairement trouvé une perle rare qui fait l’unanimité. La performance en bronze de l’équipe est d’autant plus méritoire que l’équipe tchèque devait faire sans sa gardienne star Klára Peslarová, blessée en cours de saison. Le staff a fait confiance (à raison) à Blanka Škodová, mais aussi ouvert la porte à quatre joueuses qui ont disputé le dernier Mondial U18. Parmi elles, le phénomène de 16 ans Adéla Šapovalivová poursuit son explosif début de carrière, déjà 3 buts au Mondial 2022, 2 buts au Mondial 2023.
Šapovalivová fait partie de cette nouvelle génération de super-talents qui ne sont plus seulement l’œuvre de l’Amérique du Nord. Ces très jeunes joueuses s’acclimatent très rapidement au plus haut niveau et peuvent avoir un impact sur le résultat, à 16-18 ans. Il y a quelques mois naissait le phénomène slovaque Nela Lopušanová, que l’on retrouvera cet été pour le Mondial D1A. Et ce Mondial élite de Brampton a permis de confirmer les espoirs entourant la Finlandaise Sanni Vanhanen, la Hongroise Regina Metzler, la gardienne japonaise Riko Kawaguchi et les Suédoises Mira Jungåker et Hilda Svensson. À 16 ans, Svensson jouait d’ailleurs son premier Mondial senior et a terminé sixième meilleure marqueuse du tournoi avec 11 points en 7 matchs, dont le but égalisateur contre le Canada en quart de finale. La Suisse et le Japon, les deux équipes les plus jeunes, ont d’ailleurs fait bonne figure durant toute la compétition.
De jeunes talents qui atteignent un niveau plus haut, plus vite, des viviers qui s’élargissent, des joueuses plus affûtées au très haut niveau, cela a permis de réduire l’écart entre les équipes nord-américaines et les autres. En quart de finale, les Américaines ont éprouvé beaucoup de difficultés à enchaîner les buts contre l’Allemagne (3-0, un seul but par tiers). Il a fallu une prolongation au Canada pour venir à bout de la Suède en quart, avant que la Suisse ne conserve le 0-0 pendant la première moitié de la demi-finale. Les adversaires des deux superpuissances nord-américaines semblent s’être mieux adaptées, mieux préparées pour ce genre de match. Et dans une configuration où les tirs pleuvent de manière torrentielle, les gardiennes semblent aussi s’être perfectionnées. La Suédoise Emma Söderberg, l’Allemande Sandra Abstreiter et la Suisse Andrea Brändli ont à ce titre réalisé des performances remarquables.
D’ailleurs, pour rappel, la Suède a été finaliste des Mondiaux U18 cette saison après avoir battu 2-1 les États-Unis. C’était la deuxième fois lors des cinq dernières éditions que les juniors suédoises se battaient pour l’or, performance auparavant inenvisageable pour une formation européenne. Les équipes autres que l’Amérique du Nord ont manifestement de plus en plus d’appétit, et ne veulent plus rester dans l’ombre.
Changement de formule ?
L’élite se resserre, et une question vient à l’esprit : la formule de deux groupes de niveau peut-elle être encore d’actualité ? Pour éviter les scores fleuves de la part des États-Unis et du Canada, les meilleures équipes ont été placées dans le groupe A, les autres dans le groupe B. Cette formule a été adoptée à partir des Mondiaux 2012 par l’IIHF, et reprise pour les tournois olympiques féminins. Mais le fait que des fiefs historiques de hockey, comme la Suède ou la Tchéquie, voient enfin les fruits de leurs investissements, que la Finlande n’est pas si loin des deux nations souveraines, que d’autres ne cessent de poursuivre leurs efforts, tout cela devrait rendre caduc cette configuration, qui a toujours été bancale. Elle n’est pas des plus équitables puisqu’elle protège les cinq meilleures équipes de la menace de la relégation et elles sont qualifiées d’office pour les quarts de finale. Cela les protège (la Suisse en plein renouvellement en 2019 pouvait dire merci à cette formule), et cela réduit l’enjeu des confrontations dans ce groupe A, qui ont une allure de tour de chauffe par rapport à celles du groupe B.
À l’issue du tournoi, le président de l’IIHF Luc Tardif a reconnu la forte progression générale du hockey féminin. La fédération internationale a d’ailleurs ouvert une porte sur la refonte du système. Il a été annoncé que le prochain Mondial U18 féminin n’aura plus deux groupes de niveaux, mais une formule conforme aux normes que l’on a dans les championnats du monde masculins. Cette annonce pour les U18 fera probablement office d’expérimentation avant de déterminer si l’élite féminine senior est prête à suivre cette voie.
Triste épisode bleu dont il faut se nourrir
L’enjeu du groupe B a malheureusement pris une mauvaise tournure pour l’équipe de France. Mais dans une élite mondiale toujours plus exigeante, la tâche semblait périlleuse pour une sélection tricolore qui abordait un tout nouveau cycle, à la suite d’un renouvellement historique, probablement le plus important de son histoire. À Angers, des Bleues à leur summum avaient dominé la Division 1A. Un an plus tard à Brampton, avec un bon tiers de l’équipe remplacée, les Bleues n’ont pas été en mesure d’assurer leur maintien. Vitesse d’exécution, relance, pressing, il a manqué finalement un peu de tout à cette équipe très inexpérimentée, malgré une bonne volonté évidente. 14 des 23 joueuses du groupe n’avaient jamais disputé un match en top division.
Les conditions de relégation longtemps cachées par l’IIHF (communiquées en interne aux fédérations mais évoquées textuellement… le dernier jour du tour préliminaire) sont devenues ardues avec deux places éjectables, contrairement à l’édition précédente qui n’avait vu qu’une seule équipe reléguée. Un changement qui n’a absolument rien à voir avec une future réintégration de la Russie, mais un retour à la normale après la période post-covid. La triste ironie de l’histoire, c’est que la France a été victime de la double relégation lors des deux Mondiaux élite auxquels elle a participé, alors que l’édition 2021 n’avait vu aucun relégué, et l’édition 2022 un seul.
Les scores fleuves de la Finlande et de la Suède ont été particulièrement douloureux, l’Allemagne et la Hongrie, déjà présentes en élite l’année dernière, ont joué la carte de l’expérience, les Bleues retrouveront donc la Division 1A. Si certaines initiatives comme le Pôle France contribuent beaucoup à l’essor et à la progression du hockey féminin en France, les efforts doivent être poursuivis. Car si devant les équipes de l’élite se sont montrées intraitables, derrière, certaines nations ont l’ambition de passer un cap.
L’équipe féminine du Danemark a déjà disputé deux mondiaux élite en 2021 et 2022, et ses premiers Jeux olympiques en 2022, elle n’a été reléguée en 2022 qu’à cause d’un but allemand à la dernière seconde. La Slovaquie tentera de capitaliser sur son phénomène Lopušanová et de suivre le chemin de la grande sœur tchèque. L’Autriche est aussi une sérieuse prétendante à l’accession, menée par l’une des meilleures attaquantes du monde, Anna Meixner. Enfin, la Chine, qui a déployé beaucoup d’efforts pour être compétitive aux Jeux olympiques de Pékin, poursuit ses investissements – au sens propre comme au sens figuré – dans le hockey féminin, ses ambitions demeurent élevées, et elle organisera d’ailleurs trois championnats du monde féminins consécutifs.
Des motifs d’espoir
La hiérarchie n’est jamais figée, d’autant plus dans le hockey féminin où les efforts accélèrent la progression. La France a connu un échec, peut-être prévisible tant la tâche s’annonçait rude. Mais une telle métamorphose implique du temps, et cette jeune troupe demande à s’aguerrir au plus haut niveau. L’expérience de Brampton, en apparence triste et frustrante, ne peut être que précieuse pour cette équipe qui entame un nouveau cycle, il faut s’en nourrir. Réalisant momentanément un retour de retraite internationale, Athéna Locatelli a montré la voie. Les leaders Lore Baudrit et Betty Jouanny ont été infatigables et au centre de chaque réveil des Bleues. Estelle Duvin, meilleure marqueuse de l’équipe dans ce tournoi avec 4 points en 4 matchs, n’a eu de cesse d’inquiéter les défenses adverses, aux côtés des deux buteuses attitrées Clara Rozier et Chloé Aurard qui ont malheureusement manqué de réussite malgré 21 tirs à elles deux. Malgré tout, les défenseures Lucie Quarto, Mia Väänänen, les attaquantes Margot Desvignes, Manon Le Scodan, Jade Barbirati ont véritablement un potentiel qui peuvent leur permettre de devenir leaders de cette équipe.
Jouer à l’étranger, dès que possible, très jeune, demeure le meilleur tremplin pour les hockeyeuses françaises (comme la plupart des autres nations de l’élite) afin de suivre un apprentissage qui doit mener au meilleur niveau. À cet égard, la France est très bien placée. Cette saison, sept joueuses tricolores ont joué en Ligue de hockey collégial du Québec, le plus haut niveau de la province pour les joueuses âgées de 17 à 20 ans, soit de loin le plus important contingent hors Canada. Si l’on ajoute les autres joueuses originaires de l’hexagone et évoluant en NCAA ou sur le circuit universitaire canadien, on en dénombre une douzaine. Et d’autres vont s’y ajouter pour la saison à venir. L’afflux est conséquent, avec pour certaines une transition directe entre le Pôle France et les championnats nord-américains.
Malgré cette relégation, la France n’est pas dans une situation cauchemardesque. Se maintenir en élite mondiale et pérenniser sa place, la marche est bien trop haute pour une élite qui a progressé dans tous les secteurs du jeu. Mais les bases sont là, il faut à cette équipe du temps et du travail. Pour rappel, l’équipe de France féminine U18 a glané pour la deuxième année de suite une médaille en Division 1A, l’élite – qui est réduite à huit équipes, insistons sur ce point – n’est pas bien loin. La sélection U16 dispute actuellement pour la troisième fois de sa jeune histoire l’European Cup, elle ne s’est inclinée que d’un but contre la Tchéquie et elle a battu l’Allemagne.
La France a donc à disposition de jeunes générations féminines talentueuses, qu’il lui faudra polir pour atteindre ses objectifs. Retrouver l’élite et s’y maintenir, mais aussi l’objectif olympique dont les bases pour Milan – Cortina 2026 ont déjà pris forme. À vous de jouer.