C’est un tournant pour le hockey féminin et son développement. Jeudi soir, diverses sources ont partagé l’information du rachat de la PHF par la PWHPA dans le but de créer une ligue féminine unifiée, cette fameuse grande ligue professionnelle qui doit mettre tout le monde d’accord. Un coup de théâtre alors que, jusqu’à maintenant, la PWHPA ne voulait pas entendre parler d’un rapprochement. Nous vous proposons un focus en plusieurs volets sur ce sujet complexe, les éléments de contexte, les tenants et les aboutissants, mais aussi de lourdes conséquences.
La PWHPA longtemps dans le flou
Quatre ans, cela fait quatre ans que l’association PWHPA (Professional Women’s Hockey Players’ Association) a été créée après l’extinction de la ligue canadienne de hockey féminin, la CWHL au printemps 2019. Hilary Knight, Kendall Coyne Schofield, Marie-Philip Poulin, etc, les meilleures joueuses du Canada et des États-Unis, ainsi que quelques Européennes, formaient la PWHPA dans le but créer une vraie ligue pro, rémunératrice et viable, qu’elles ne reconnaissaient pas alors dans la PHF, nommée NWHL (National Women’s Hockey League) de 2015 à 2021. Les joueuses PWHPA se sont mobilisées sur la glace avec des matchs d’exhibition, parfois aidées par des équipes NHL, afin d’attirer l’attention du public et d’éventuels sponsors, également afin de conserver une certaine visibilité, tandis qu’en coulisses les dirigeantes s’organisaient pour lancer leur grande ligue.
L’ex-tenniswoman Billie Jean King, éternelle combattante de l’égalité homme – femme, et le propriétaire de l’équipe de baseball des Dodgers Mark Walker se sont raccrochés au projet, mais la barque a continué de naviguer dans le brouillard. Une annonce devait être réalisée durant les playoffs de la Coupe Stanley, mais c’est finalement le 11 juin que les joueuses de la PWHPA ont reçu un mail de Jayna Hefford, gestionnaire de l’association. « Nous arrivons à la ligne d’arrivée », « il ne reste que des détails à régler », Hefford se voulait rassurante. Les meilleures joueuses du Canada et des États-Unis, qui devaient se contenter d’événements ponctuels ces dernières années, n’étaient finalement pas plus avancées. Les échos faisaient état d’une ligue censée débuter en automne 2023, avec six équipes et un salaire moyen de 55.000 dollars annuels.
Hefford reconnaissait que la constitution de cette grande ligue avait pris plus de temps que prévu, alors que les joueuses, pour celles sélectionnées, ne perçoivent que leurs indemnités en équipe nationale, même si elles sont parvenues à obtenir une enveloppe de 24.000 dollars chacune de la part de la PWHPA durant la dernière saison.
Croissance spectaculaire de la PHF
Pour autant, la PWHPA continuait de tourner le dos à la PHF, et ce même si cette dernière a véritablement changé de dimension. La NWHL, première ligue féminine rémunératrice mais qui a connu des difficultés à assumer ce statut, est devenue en 2021 la PHF (Premier Hockey Federation) qui a nourri de nouvelles ambitions. Là où la NWHL était propriétaire de ses équipes et cultivait une certaine fragilité, la PHF est parvenue à attirer des partenaires privés et à leur céder les équipes pour instituer une privatisation et un mode de fonctionnement indépendant. La mutation opérée également en interne a permis une croissance que n’avait jamais connu jusqu’alors une ligue féminine de hockey.
Cette progression de la PHF faisait suite à un investissement de 25 millions de dollars du conseil d’administration sur 3 ans, alors que la ligue connaissait une solide croissance et bénéficiait d’un contrat tv avec ESPN. La PHF a également permis le retour du hockey féminin à Montréal avec une septième équipe participante, la Force de Montréal, en tournée dans la « Belle Province » de Québec, et qui a connu une vague de sympathie prometteuse. À l’origine circuit 100% américain, l’expansion au Canada était marquée, Toronto devenant d’ailleurs au printemps dernier la première équipe canadienne couronnée en PHF en s’adjugeant la Coupe Isobel.
L’investissement sans précédent de 25 millions de dollars permettait au plafond salarial de doubler pour la saison à venir pour atteindre 1.5 million de dollars pour chaque équipe, dix fois plus qu’il y a deux ans. Pour donner un ordre d’idée, ce nouveau plafond était supérieur à deux ligues féminines en Amérique du Nord : la NWSL (football) et la WNBA (basket). La sensation de l’Université du Wisconsin Daryl Watts avait obtenu de la part de Toronto un contrat à 150.000 dollars, devenant la hockeyeuse la mieux payée au monde. Ce plan d’investissement avait aussi pour vocation d’élargir les effectifs, de disputer plus de matchs, d’enclencher également une progression en matière de couverture santé, de logistique et de fourniture d’équipements. Des éléments que regrettaient les joueuses de la PWHPA sous l’ère NWHL, mais que la PHF semblait pouvoir réunir.
Reagan Carey, à la tête de la PHF depuis avril 2022, ne cachait pas ses ambitions à Radio Canada il y a quelques mois : « La croissance, ça commence par un engagement fort de notre conseil d’administration. Cet investissement est un symbole de notre volonté de créer un modèle durable. Le hockey professionnel féminin devient une réalité. Mais évidemment, pour que notre succès soit durable, on doit continuer de croître et de générer des revenus. »
La PWHPA campe sur ses positions
L’avenir de la PHF était plein de promesses, elle semblait avoir tout d’une grande ligue en devenir, celle qui manque au hockey féminin. Pour autant, malgré les signes de développement de la PHF, la position de la PWHPA demeurait inchangée. Jayna Hefford a salué les efforts de cette ligue existante qui a gagné en reconnaissance mais qui demeurait éloignée de la vision de la dirigeante de l’association des meilleures joueuses nord-américaines. Celles-ci ont toujours affirmé la supériorité de leur projet, non sans parfois une pointe de sarcasme. Interrogée par Ian Kennedy et The Hockey News ce mois-ci, la superstar américaine Hilary Knight qualifiait la PHF « d’illusion de professionnalisme ». Celle qui a été élue meilleure joueuse de l’année par l’IIHF demeure persuadée que tous les moyens doivent être trouvés pour rendre le hockey féminin professionnel, et à ses yeux les efforts de la PHF demeuraient insuffisants.
Depuis sa création, la PWHPA a toujours jeté le discrédit sur la PHF. La campagne marketing 2022 de la PHWPA incitait les joueuses universitaires, en NCAA aux États-Unis ou en USports au Canada, de joindre leurs efforts à « la première ligue professionnelle et viable d’Amérique du Nord », occultant la PHF. Cette ligue, pourtant existante et qui avait le vent en poupe, n’était toujours pas une option pour la PWHPA.
La majorité des joueuses de la PWHPA garnissent les rangs des équipes du Canada et des États-Unis. Lors du dernier Mondial, une seule joueuse de PHF était recensée parmi les alignements des deux superpuissances nord-américaines, l’Américaine Becca Gilmore du Boston Pride. Alors que certaines joueuses de PHF ont été évincées des effectifs, dont plus d’une auraient grandement mérité une place dont Loren Gabel à la saison stratosphérique, les deux équipes nord-américaines ont une ossature PWHPA, par souci de complémentarité dit-on . Mais selon Sami Jo Small, la présidente du Toronto Six sacré en PHF en 2023, « il y a de nombreux de talents qui seraient susceptibles de tenir leur rang en équipes nationales ». Le fait que les joueuses de PWHPA soient privilégiées dans la constitution des équipes du Canada et des USA ne fait pas l’unanimité, forçant Hockey Canada à partager un communiqué avant le Mondial en précisant que seul le critère sportif était retenu dans le cadre de la sélection.
La PWHPA se sentait peut-être dans une position de supériorité, par le calibre de ses joueuses multimédaillées. Mais le nombre de membres a fondu, 181 joueuses étaient recensées lors de la saison 2019-20, elles étaient désormais moins de 100 réparties dans 4 équipes pour les évènements de la PWHPA.
Et dans le même temps, la PHF est parvenue à réaliser des mouvements clefs. Plus d’une trentaine de joueuses qui étaient membres lors de la constitution de la PWHPA en 2019, ont disputé la saison 2022-23 en PHF. Et de nombreux talents internationaux avaient rejoint la PHF pour la saison à venir. Ce qui avait permis à la ligue existante d’atteindre un point de bascule. Du moins, c’est ce que l’on pensait…