Nous prenons le chemin d’une vraie ligue professionnelle féminine unifiée, suite au rachat (la disparition) de la PHF par la PWHPA, deux entités antagonistes. Pour le meilleur du hockey féminin, c’est une certitude, mais à quel prix ? Après avoir installé le décor dans la première partie, suite de notre série « la bataille d’une ligue ».
Des membres PWHPA qui ont perdu patience
Le flou autour de la PWHPA et la faisabilité de sa ligue ont longtemps persisté, et certaines ont perdu patience. Brianna Decker est une membre historique de l’équipe des États-Unis, championne olympique et sept fois championne du monde, elle était auparavant engagée avec la PWHPA.
Mais en août 2022, elle est devenue conseillère de développement des équipes et des joueuses chez les concurrentes et la seule ligue alors existante, la Premier Hockey Federation. À défaut de pouvoir continuer à jouer en raison d’une grave blessure à la jambe, elle est devenue la première personnalité de premier plan à basculer vers la PHF. À Sportsnet, Decker se justifiait ainsi : « j’avais l’impression que la PWHPA était au point mort. Il y a eu évidemment des discussions en coulisses. Mais j’avais l’impression que beaucoup d’entre nous restaient dans le flou. »
Côté glace cette fois-ci, en avril dernier, un autre visage familier de l’équipe américaine (et de la PWHPA), Kacey Bellamy, rejoignait la PHF en signant un contrat de 122 000 dollars avec la Connecticut Whale. L’octuple championne du monde s’apprêtait à réaliser un retour après un break de deux ans. Avant cela, elle a évolué pendant deux ans sous le drapeau de la PWHPA. Autre mouvement en mai dernier, l’arrivée en PHF de celle qui par le passé était souvent désignée comme la meilleure gardienne du monde, élue cinq fois meilleure gardienne aux Mondiaux, Noora Räty. Auparavant, la Finlandaise était l’une des neuf membres du conseil d’administration de la PWHPA… et elle avait d’ailleurs participé aux votes unanimes des joueuses de la PWHPA de stopper les discussions avec la PHF en 2022 ! Decker, Bellamy, Räty, mais aussi Loren Gabel, Ann-Sophie Bettez, Amanda Pelkey, Brittany Howard, plusieurs joueuses ne voyaient plus leur avenir avec une PWHPA longtemps dans le flou.
Une avalanche de talents
La PHF était aussi parvenue à marquer des points auprès des meilleures joueuses universitaires, à la recherche d’un niveau de jeu décent. Le constat est édifiant en s’attardant sur les contrats qui ont été signés pour la saison à venir : des joueuses de plus en plus talentueuses et de plus en plus nombreuses avaient fait le choix de la Premier Hockey Federation à la sortie de leur cursus. Ces joueuses non-affiliées à la PWHPA, mais qui ont un besoin d’alternative pour poursuivre leur carrière, préféraient rejoindre un championnat avec un calendrier complet et constant, sans devoir prendre un job à côté. Les matchs d’exhibition de la PWHPA, seul moyen de visibilité de l’association, ne les intéressaient pas, préférant une ligue structurée en pleine croissance.
Depuis la fin de saison, plus d’une vingtaine de joueuses issues des universités canadiennes et américaines s’apprêtaient à débuter leur aventure en PHF à la rentrée prochaine. Parmi elles, l’attaquante de l’équipe de France Chloé Aurard. Son choix pour la PHF s’était fait tout naturellement, comme elle nous le confiait avant le coup de théâtre et le rachat de la PHF par la PWHPA : « Je vis aux États Unis depuis presque dix ans, je me suis habituée à vivre ici. J’ai beaucoup d’amis et de gens proches qui sont devenus ma famille, je n’étais pas prête de rentrer. » Hormis la SDHL suédoise, l’Europe ne pouvait pas fournir un calibre de jeu comme pouvait le proposer la PHF et ses sept équipes en lice.
Chloé Aurard a évolué pendant cinq saisons à la Northeastern University, totalisant 204 points en 167 matchs NCAA. Sa carrière ne pouvait se poursuivre qu’à Boston, où se trouve Northeastern : « j’ai fait le choix du Boston Pride parce que j’ai passé mes cinq dernières années à l’université à Boston, et c’est une ville magnifique et très connue pour le sport. Boston est très attaché aux sports professionnels, avec les Bruins et les Celtics. » Et l’attaquante tricolore nous confirmait l’intérêt croissant pour les hockeyeuses du Pride : « Depuis quelques années, on a vu une évolution de supporteurs pour le Boston Pride, c’est devenu l’un des sports professionnels que les gens suivent ! L’organisation est aussi super avec des joueuses de talent. Donc c’est aussi une équipe avec laquelle je vais pouvoir encore progresser dans ma qualité de jeu. »
La PHF, une option pour « progresser », cela ne faisait aucun doute pour de nombreuses joueuses de calibre international qui avaient rejoint la ligue. C’est le cas de Chloé Aurard, Noora Räty et Kacey Bellamy, mais on peut citer, parmi les arrivées récentes dans le circuit, les Québécoises Élizabeth Giguère et Gabrielle David, l’Autrichienne Theresa Schafzahl, les gardiennes Emma Söderberg et Sandra Abstreiter, la Finlandaise Susanna Tapani, les sœurs japonaises Aoi et Akane Shiga. Ainsi qu’une recrue de poids : l’attaquante suisse Alina Müller, désignée 11e meilleure hockeyeuse au monde par TSN. Müller devait d’ailleurs retrouver sa complice de Northeastern University, Chloé Aurard, au Boston Pride.
Des joueuses qui ont déjà fait leurs preuves en universitaire, et des références à l’international, la Premier Hockey Federation avait atteint un point de bascule, qui lui apportait une légitimité pour devenir une ligue référence, quand bien même il restait du chemin à accomplir. La PHF, avec la croissance qu’elle connaissait, ne pouvait pas se contenter d’être une ligue de deuxième division, dans l’ombre de la future ligue PWHPA. Même si certaines sources font écho d’une santé financière fragile. Pour autant, c’était peut-être la saison de la confirmation, avec autant d’arrivées pour l’exercice à venir, le spectacle s’annonçait palpitant.
Le coup de théâtre
Ce jeudi 29 juin, la PHF a vu ses ailes se briser. Plusieurs sources, finalement confirmées quelques heures plus tard, ont indiqué le rachat de la Premier Hockey Federation par la société de Mark Walter, milliardaire déjà investisseur de la PWHPA. Walter est par ailleurs propriétaire de deux équipes de Los Angeles, les Dodgers en MLB et les Sparks en WNBA, il détient également des parts au sein des Lakers et du club de football de Chelsea. Walter avait à cœur de lancer un produit haut de gamme pour le hockey féminin, une ligue féminine de hockey aux fondations solides, avec les meilleures des meilleures, « une ligue incomparable à ce qui s’est fait précédemment. » La légende du tennis Billie Jean King, dont la société est également impliquée dans la PWHPA, sera membre du conseil d’administration.
La manœuvre a plus des allures d’absorption que de fusion. Cela signifie que l’entité antagoniste PHF rentre désormais dans le dispositif PWHPA dans le but de créer une seule et même ligue professionnelle féminine. La représentante de la PWHPA Jayna Hefford déclarait auprès de Forbes : « Nous avions besoin de créer quelque chose qui ait l’infrastructure et les ressources pouvant constituer une ligue viable, qui soit capable de fonctionner de manière professionnelle et traiter les athlètes de manière professionnelle, comme elles le méritent. »
Plusieurs mois ont été nécessaires pour rédiger une convention collective, les joueuses PWHPA avaient jusqu’à dimanche pour ratifier le document de 62 pages, elle a sans surprise été adoptée et posera le cadre de la nouvelle ligue jusqu’en 2031. La PHF n’avait donc pas son mot à dire sur cette convention, elle a d’ailleurs créé un comité pour défendre ses intérêts. Chaque joueuse PHF qui sera choisie pour la nouvelle ligue bénéficiera néanmoins des mêmes protections que les joueuses de la PWHPA.
La convention collective de la PWHPA permettra de fixer une base salariale, au minimum 35.000 dollars annuels, les meilleures pouvant obtenir 80.000 dollars voire plus. La base minimum sera augmentée continuellement de 3% tous les ans. Deux informations ont été confirmées pour cette ligue professionnelle : elle débutera bien en janvier 2024 et comprendra six équipes. Chaque équipe aura dans ses rangs 23 joueuses ainsi qu’une « liste de réserve ». Plus de détails parviendront dans les prochains jours / semaines.
Rideau fermé pour la PHF
De fait, cela signifie également que la PHF cesse ses opérations, conjuguant ses efforts d’une nouvelle ligue et donc de nouvelles équipes. La toute nouvelle ligue sera donc faite de bribes de PHF et demeurera encadrée par la PWHPA, qui fera office d’association pour les joueuses.
En passant de 11 équipes – 7 équipes PHF et la PWHPA divisée en 4 équipes pour ces évènements – à 6 formations, il paraît évident qu’il n’y aura pas de places pour tout le monde, cela laissera forcément sur le bord de la route un grand nombre de joueuses engagées pour la saison à venir, tous les contrats de la PHF ont d’ailleurs été résiliés. 70 à 100 joueuses pourraient demeurées sans club malgré le lancement de la nouvelle ligue.
Si cette situation doit permettre au hockey féminin de franchir un palier primordial, elle n’en demeure pas moins stressante pour toutes les joueuses PHF, dont Chloé Aurard : « Oui c’est vraiment dur. C’est super pour le futur du hockey féminin mais en même temps, ils vont couper beaucoup de joueuses… Et les salaires vont être beaucoup plus réduits pour certaines, donc c’est compliqué… Mais on attend des nouvelles pour tirer des conclusions. »
Le phénomène Daryl Watts avait signé pour un salaire annuel de 150.000 dollars avec Toronto, mais elle a vu, comme toutes ses paires de la PHF, son contrat partir en lambeaux. C’est toute l’ironie de la situation : les joueuses PHF se voient mises de côté, dans l’attente d’éclaircissements et d’une éventuelle participation. Il a d’ailleurs été précisé qu’un comité d’évaluation de joueuses sera constitué. Ian Kennedy de The Hockey News partageait les propos de Jayna Hefford qui mettait les choses au clair : « nous allons lancer une ligue pour les meilleures joueuses du monde, quele que soit la joueuse de n’importe quelle ligue, de n’importe quel pays. Si elles seront assez bonnes pour rejoindre une équipe, elles rejoindront une équipe. »
Il n’empêche que les joueuses PHF se rongent les ongles, en attente de réponses. Elles ne pourront pas jouer avant janvier 2024, du moins pour celles qui seront sélectionnées parmi le pool. Que deviendront les autres ?
Ligue unifiée, l’option de la raison
La manœuvre a eu un prix, les joueuses PHF en payeront un lourd tribut, mais conjuguer ses efforts dans le but de créer une vraie ligue professionnelle est nécessaire pour le bien du hockey féminin. Pour qu’il obtienne un vrai rayonnement qui ne se limite pas aux Mondiaux et aux Jeux olympiques. Deux ligues concurrentes, le hockey féminin a connu cela, et l’une d’elles ne pouvait survivre. Laurel Walzak, ancienne présidente du conseil d’administration de la défunte CWHL, est très bien placée pour en parler. L’extinction de la CWHL avait fait naître le mouvement PWHPA. Walzak déclarait à CBC Sports que la PHF et la PWHPA ne pouvaient pas coexister : « Les deux ligues vont être en compétition pour le public, pour les dollars de parrainage, pour le temps de diffusion. J’espère qu’elles collaboreront ensemble pour développer la discipline. C’est ce que l’on souhaite, n’est-ce pas ? » Oui, et c’est chose faite.
Rapprocher les deux partis, la commissionner de la PHF Reagan Carey avait à cœur d’accomplir cette tâche lorsqu’elle a pris ses fonctions en avril 2022. Elle connaissait une bonne partie des joueuses PWHPA puisqu’elle était directrice de l’équipe féminine des États-Unis entre 2010 et 2018. Elle fut donc la principale architecte de la dynastie des USA, avec six titres mondiaux et un titre olympique en huit ans, et un élément clef de ce rapprochement PHF / PWHPA. À son arrivée à la tête de la PHF, Reagan Carey s’est empressée de contacter la PWHPA, leur a envoyé un dossier complet en évoquant de manière concrète comment unir les deux fronts. Même si elle a reçu une fin de non recevoir, Carey a poursuivi ses efforts de conciliation, et multiplié les rencontres ces derniers mois avec le board de la PWHPA, notamment Mark Walter et Billie Jean King.
Reagan Carey s’est finalement félicitée de ce rachat de la PWHPA à The Hockey News : « Ce qui arrive est l’effort le plus significatif pour le développement de notre sport depuis que le hockey féminin est devenu olympique il y a 25 ans. Les joueuses, les fans, les pionnières du passé et les futures générations méritent de voir les meilleures athlètes se joindre ensemble pour élever les hockey féminin professionnel comme jamais auparavant. » Consciente des conséquences, Carey y voit une décision raisonnable.
L’union était la seule option envisageable. Un marché fragmenté avec deux ligues concurrentes, qui ne peuvent coexister en deux divisions distinctes, aurait perdu des potentiels diffuseurs, sponsors et investisseurs qui auraient dû alors choisir entre l’une et l’autre. Cette remarque concerne également un éventuel parrainage de la NHL, Gary Bettman n’avait pas changé de position, il n’investira que s’il se dégage une seule ligue féminine. Il aura désormais le champ libre.
La fin de cet antagonisme permettra également d’attirer davantage l’attention du grand public. Car entre une PHF en besoin de reconnaissance, et une PWHPA aux évènements ponctuels et longtemps dans le flou, un manque de clarté subsistait pour les amateurs de hockey. L’union fait la force. Sur bien des points, le bénéfice pour la discipline sera énorme.