Milieu traditionaliste, le hockey voit une association apporter davantage de diversité, sur la glace comme en tribunes. Une initiative bienvenue qui tend la main à une nouvelle génération qui n’est plus esseulée.
Une tricolore parrainée
C’est une séquence qui est passée totalement inaperçue en France. En février dernier, la chaîne WGN implantée à Chicago consacrait un reportage avec pour tête d’affiche une hockeyeuse française de 15 ans. Noa Diop, qui cumule également la nationalité américaine, avait alors quitté l’Illinois et sa famille pour rejoindre le Pôle France féminin lors de la saison 2022-23 dans le but d’être éligible en équipe de France.
Avec une autre jeune hockeyeuse, Victoria Blake, Noa Diop a fait l’objet de ce reportage car elle a bénéficié du programme Black Girl Hockey Club. Une association qui milite pour la diversité dans le hockey. « BGHC » accompagne des hockeyeuses âgées entre 9 et 18 ans, quelle que soit leur nationalité. Et qui ont besoin d’un soutien financier pour pratiquer une discipline, il est vrai, souvent réservée aux plus aisés. Depuis 2020, l’association délivre des bourses d’études destinées à assister et à encourager les joueuses noires à poursuivre leur activité de hockey, où elles sont sous-représentées.
« Je crois qu’une organisation comme celle-là est extrêmement importante, surtout parce que, lorsque j’étais plus jeune, j’avais l’impression d’être une exception parce qu’il n’y avait pas d’autres hockeyeuses noires » confiait Noa à WGN. « Je pense qu’une organisation comme celle-ci nous aide vraiment à nous rassembler et à nous faire prendre conscience que : « oui, il y a une communauté de filles noires dans le hockey, et oui, nous sommes aussi douées que n’importe qui. Nous vous avons, nous vous soutenons, nous sommes là pour vous soutenir. »
Saroya Tinker est un exemple à suivre. Elle a joué les deux saisons précédentes à Toronto dans la défunte PHF et, à 25 ans, elle tentera d’obtenir une place dans la nouvelle ligue pro féminine PWHL lors du camp à Ottawa en novembre. Mais depuis un an, Tinker est aussi directrice générale de Black Girl Hockey Club Canada. Au départ bénévole, elle est parvenue à recueillir 32.000 dollars pour fonder en novembre 2022 la branche canadienne de BGHC… alors qu’elle avait pour objectif de récolter 5 000 dollars ! Elle se sent très investie dans cette cause qui œuvre pour la représentation, comme elle le signalait à Radio Canada : « en grandissant, je n’ai jamais eu d’idole noire provenant du hockey, encore moins une femme noire. Dans ce sens, je pense que c’est très important de donner à ces jeunes filles cet esprit de communauté et ces possibilités de réseautage. »
Saroya Tinker est entrée en contact avec Noa, la jeune défenseure bleue la perçoit « un peu comme une sœur aînée ». Noa a obtenu une bourse de 3.000 dollars, Black Girl Hockey Club lui permet ainsi de cultiver son rêve, intégrer l’Université de Yale, où a d’ailleurs évolué Tinker de 2016 à 2020. En attendant, Noa Diop est revenue à Chicago, elle évolue désormais au Windy City Storm, et porte régulièrement les couleurs de l’équipe de France U18, dont le prochain tournoi des quatre nations à Vaujany en novembre.
La passion au cœur de l’association
Black Girl Hockey Club a été fondé en octobre 2018 par Renee Hess, qui réside en Californie et travaille à l’Université la Sierra. Mais c’est à Pittsburgh, qu’elle avait rejoint à l’occasion d’une conférence académique, que le premier contact avec le hockey s’effectue. Elle voit un match à la télévision et constate l’effervescence des fans à la sortie d’un restaurant. Elle franchit finalement les portes d’une patinoire en 2016 lors d’un match entre Anaheim et Dallas, elle se retrouve fascinée par la discipline et les joueurs. Le fameux coup de foudre de la glace que chaque passionné de hockey connaît : « j’ai toujours dit aux gens « aller voir un match et vous serez scotché » car c’est tellement fascinant à regarder » assure-t-elle à En Fuego. Elle qui ne s’intéressait pas forcément au sport a été complètement happée par le hockey.
Pour autant, mariée à un blanc, Glenn, Renee Hess se sent seule de par sa couleur de peau. La passion la pousse à voir toujours plus de matchs, mais le constat est le même, elle ne voit que rarement des spectateurs noirs, encore moins des femmes noires. Devenue fan assidue des Pittsburgh Penguins, elle lance un groupe de discussion qu’elle nomme en plaisantant « The Black Girl Hockey Club », qui deviendra bien plus qu’un espace de bavardage. A Undefeated, elle se justifiait ainsi : « vous savez comment peuvent être les réseaux sociaux, ce n’est pas toujours le meilleur environnement. Il peut toujours y avoir une petite teinte de racisme lorsque vous parlez d’un sport à prédominance blanche. Je voulais simplement qu’il y ait un espace sûr pour les femmes noires afin de converser et parler hockey. »
Le 15 décembre 2018, une étape est franchie avec la première rencontre de plus d’une quarantaine de femmes, âgées de 6 à 91 ans, à Washington. Un groupe qui ne passe pas inaperçu et qui rencontre deux joueurs noirs, Madison Bowey et Devante Smith-Pelly. « Voir un groupe de femmes noires unir leurs forces pour l’amour du jeu, c’est fou, c’est quelque chose que je n’aurais jamais pensé voir » avouait Smith-Pelly à l’issue du match.
What a night! Devante Smith-Pelly scored his 100th career point and met Renee Hess, founder of the Black Girl Hockey Club #BGHC #hockeyisforeveryone #ALLCAPS pic.twitter.com/uud1nVAOJi
— TheColorOfHockey (@ColorOfHockey) December 16, 2018
L’union fait la force
Et tout s’est enchaîné. Le 1ᵉʳ février 2019, une douzaine de membres de Black Girl Hockey Club rencontre Gary Bettman à son bureau à New York. Neuf jours plus tard, elles se retrouvent à Nashville pour le deuxième match à l’occasion d’un duel entre les Predators et les St. Louis Blues, suivi d’une rencontre avec PK Subban et du All Star Game NWHL. Et trois mois plus tard, elles sont 200 à se voir à l’occasion d’un autre match, un rituel qui a désormais lieu plusieurs fois par an.
Mais au-delà des rencontres, des discussions, une volonté émerge, celle de réaliser des initiatives pour permettre aux jeunes hockeyeuses noires de bénéficier des meilleures conditions, en palliant aux coûts financiers. En 2019, une jeune Américaine Kalei Forga a lancé une campagne GoFundMe, elle était sélectionnée pour disputer les World Selects à Chamonix mais le coût de 3700 dollars pour y participer était trop onéreux pour sa famille. Renee Hess en a eu vent, a partagé la cagnotte, et Matt Dumba alors au Minnesota Wild s’en est mêlé. Kalei Forga a finalement obtenu 9 000 dollars, assez pour lui permettre de rejoindre Chamonix en compagnie de sa sœur et de ses parents.
Depuis 2020, ce sont plusieurs dizaines de milliers de dollars dédiés aux bourses d’études qui ont été versés à une quarantaine de jeunes hockeyeuses. Au cours de sa première année d’existence, BGHC Canada a délivré 30.000 dollars de bourses ainsi que 15.000 dollars d’aides financières supplémentaires. L’équipementier Bauer est désormais un allié de poids, en s’engageant à délivrer une subvention de 100.000 dollars sur 4 ans. De nombreuses entreprises se sont ralliées à la cause, et la NHL y prête une oreille attentive.
Black Girl Hockey Club s’efforce d’accompagner les jeunes hockeyeuses avec les bourses d’études, des programmes de mentorat, des camps d’entraînement et bien d’autres initiatives. Renee Hess a également lancé la campagne « Get Uncomfortable », née des dérapages d’une Amérique fragile après les décès d’Ahmaud Arbery, Breonna Taylor, George Floyd et Jacob Blake. Elle a pour vocation d’alerter sur le racisme et l’exclusion, et faire du hockey un environnement sain pour chacun, quelle que soit la couleur de peau. Get Uncomfortable regroupe un ensemble de recommandations destinées à tous les acteurs du secteur, des clubs aux sponsors en passant par les médias.
Allow us to reintroduce ourselves. We are Black Girl Hockey Club 🙌🏾 pic.twitter.com/c6lq5q7ACF
— Black Girl Hockey Club (@BlackGirlHockey) October 2, 2023
Certains aspects propres au hockey doivent s’estomper, comme le confiait Renee Hess à CBC : « les commentaires de Don Cherry ont démontré à quel point nous avions besoin de changement dans la culture du hockey, nous devons reconnaître qu’il existe un racisme profondément enraciné dans le hockey. La culture de ce sport en est imprégnée. Et pour l’éliminer, nous devons le reconnaître, avant d’opérer le changement. »
Le hockey est en passe de se redéfinir, plus accessible et mieux représenté. La superstar Sarah Nurse, qui joue également les ambassadrices de choc, est une figure inspirante. Elle est suivie dans son sillage par la star en devenir Laila Edwards qui sera la première joueuse noire de l’histoire à représenter les États-Unis lors de la prochaine Rivalry Series, et Noa Diop qui a les cartes en main pour devenir une patronne de la défense des Bleues. Faire tomber les barrières pour apporter une juste diversité, s’assurer que « hockey is for everyone », c’est ce que recherche la communauté grandissante de Black Girl Hockey Club.
Plus d’informations sur l’association sur le site de Black Girl Hockey Club, ouverte aux dons et à toutes initiatives : https://blackgirlhockeyclub.org/
Par ailleurs, en début d’année, la NHL a consacré un reportage de 44 minutes sur Black Girl Hockey Club intitulé « Ice Queens ».