Il est des personnages que l’on croirait indestructibles, et l’icône suédoise Börje Salming en fait partie. Mais la vie peut aussi très vite basculer, face à une maladie incurable et paralysante qui vous laisse désemparé. Son destin est désormais lié à cette bataille de tous les instants.
C’est le 17 octobre dernier que le média suédois Expressen partageait une vidéo choc. On y voit Börje Salming, 71 ans, l’une des plus grandes légendes du hockey, à la silhouette amincie, au visage figé, peinant à se déplacer, incapable de parler. Et submergé d’émotions, en pleine détresse dans ce reportage. Sept mois plus tôt, il disputait pourtant un match de hockey avec des anciennes gloires de la Tre Kronor. Il a dû toutefois abandonner ses coéquipiers parce que ses muscles se contractaient de manière inhabituelle. Plusieurs semaines plus tard, le diagnostic tombe : l’ex-défenseur star de Toronto souffre d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA), plus connue sous le nom de maladie de Charcot, une paralysie progressive rendue célèbre par le regretté scientifique Stephen Hawking. Les patients qui peuvent vivre longtemps avec la SLA doivent avoir des marqueurs dans le liquide céphalo-rachidien inférieurs à 500. Ceux de Börje sont supérieurs à 1500, c’est dire la gravité de la situation.
Un sentiment d’abandon
En l’espace de seulement quelques mois, son état s’est rapidement aggravé, sa femme Pia voit la maladie gagner du terrain chaque semaine. Liée au triste destin de son mari, elle a vu sa vie basculer. Policière, elle a dû réduire son temps de travail alors qu’elle se sent délaissée par un accompagnement défaillant de la part des institutions. En Suède, pour un tel cas, selon la loi sur l’aide et les services pour les personnes en situation de handicap, vous ne pouvez pas bénéficier d’une aide permanente à domicile après 65 ans. Son mari diagnostiqué « trop tard », Pia Salming doit donc sacrifier énormément de son temps pour veiller sur lui au quotidien, ne pouvant compter que sur une aide ponctuelle. Être un proche atteint d’un syndrome SLA exige beaucoup de temps et d’énergie, c’est aussi une épreuve en soi.
Autre aberration. Börje, sa femme Pia et sa fille Teresa sont allés au Canada pour consulter un spécialiste de la maladie de Charcot. Ce dernier a prescrit un médicament, commandé par la suite par la famille… qui n’a jamais été reçu en Suède. Le colis a été bloqué par la douane à l’entrepôt d’Upplands Väsby, avant de repartir au Canada. Le médicament, l’Albrioza, a été approuvé au Canada, au bout de six mois d’expérimentation, mais il n’est qu’en voie d’approbation en Suède, l’Union Européenne exigeant douze mois d’expérimentation. Malgré la consultation et la prescription d’un médecin canadien, ce médicament, qui permet d’atténuer les effets de la maladie, n’a pu être réceptionné. Une situation qui a scandalisé la famille, dont Teresa qui est parvenue à contacter un douanier qui tenait alors le colis entre ses mains : « Tu tiens quelque chose qui peut permettre à mon père de vivre plus longtemps, et tu me dis que je ne peux pas l’avoir » lui a-t-elle rétorqué. Pia ne cachait pas non plus sa colère dans les colonnes d’Expressen : « Les gens achètent tout et n’importe quoi, des choses qui ne sont pas contrôlées. Étant policière, je suis bien placée pour le dire. Mais [les autorités] sont inflexibles sur la médecine, y compris pour une maladie dont on meurt. »
Ce précieux colis, qui peut soulager une vie désormais condamnée à la souffrance, a d’ailleurs beaucoup interpellé, et pas seulement en Suède. Mark Kirton connaît très bien le sujet puisque cet ancien coéquipier de Salming aux Maple Leafs souffre également d’un syndrome SLA, qu’on lui a diagnostiqué en 2018. Très impliqué sur les réseaux pour faire connaître la maladie de Charcot, Kirton a fustigé les autorités suédoises sur le fait d’avoir bloqué le médicament : « J’espère que les services douaniers ont pris la mesure de l’état de santé dans lequel se trouve Börje. Ne pas autoriser la médecine pour un tel héros national, ils devraient avoir honte ! »
This video below is heartbreaking and I feel every emotion that they are dealing with. Shame on Swedish border for not allowing needed North American approved safe drugs through the border to a national hero. Be strong my friend! @DougMaclean @Ron_MacLean @RealKyper @NHLAlumni https://t.co/pLgROvoOki
— Mark Kirton (@KirtSpeaksALS) October 18, 2022
Dans l’attente d’un éventuel nouveau voyage au Canada pour récupérer soi-même le médicament, Pia a invité la caméra d’Expressen pour sensibiliser sur cette maladie incurable, et sur certaines aberrations qui l’entourent, leurs victimes et leur entourage se sentant injustement abandonnés. Mettre en lumière cette maladie et ses difficultés, tenter de percée le mystère de cette terrible maladie, c’est une priorité pour la famille. Pour promouvoir la recherche sur la SLA, l’association Börje Salming a été constituée. Outre Pia et Teresa, deux personnalités sont membres de son conseil d’administration, deux anciennes stars qui ont franchi, avec brio, le seuil des portes de la NHL ouvertes par Salming. : Peter Forsberg et Nicklas Lidström. « Lidas », proche de la famille, n’a pas hésité une seule seconde à rejoindre l’association, lui qui considère Salming comme son idole. Malgré une différence d’âge de 19 ans, il a d’ailleurs eu l’honneur de jouer avec son modèle, Salming et Lidström formant une paire défensive lors de la Coupe Canada en 1991 avec l’équipe de Suède.
« Je souffre en voyant Börje, de voir le désespoir de sa famille. C’est émotionnellement difficile de voir Börje dans cette situation, et je suis triste pour Pia, à qui il incombe une lourde charge, ainsi que pour toute sa famille » confiait Lidström à Expressen. Le soutien de l’ancien défenseur de Détroit ne s’arrête pas là puisque, mercredi, à l’occasion de l’émission matinale Nyhetsmorgon sur TV4, Lidström a annoncé qu’il présiderait la fondation de Börje Salming.
L’association créée par la famille Salming est au centre des attentions. De nombreux supporteurs de Brynäs s’étaient d’ailleurs rapprochés du club avec lequel Salming a été sacré champion de Suède par deux fois afin de réaliser une collecte. Dans un récent communiqué, l’équipe de Gävle a annoncé qu’elle planche sur un plan d’action avec plusieurs initiatives dans le but de soutenir l’association. Comme son célèbre numéro 21 qu’il a porté durant sa carrière, la 21e journée du championnat suédois sera d’ailleurs consacrée à Börje et à la maladie de Charcot, des initiatives de collecte seront alors réalisées dans les trois championnats majeurs, la SHL, l’Allsvenskan et la SDHL joindront leurs efforts.
Icône et modèle pour plusieurs générations
Si le nom de Salming est désormais associée à une redoutable maladie, il évoque surtout l’une des grandes légendes de la discipline, une personnalité toujours vénérée à Toronto où il a passé 16 saisons de sa longue carrière, entre 1973 et 1989.
Ce joueur natif de Kiruna, en Laponie suédoise, est l’un des pionniers du hockey suédois, débutant le 10 octobre 1973 en NHL, dans une ligue qui misait alors encore peu sur les joueurs européens. Très apprécié par les fans des Maple Leafs pour son abnégation, aussi pour sa gentillesse et son côté réservé, le timide Börje Salming est devenu le premier joueur européen à être sélectionné sur une équipe étoile de la NHL. En 1980, il passe d’ailleurs près de devenir le premier européen à remporter le trophée Norris remis au meilleur défenseur de la NHL, devancé de peu par Larry Robinson. Salming a amassé 787 points en 1148 matchs de NHL, ses 620 passes avec les Leafs demeurant, encore aujourd’hui, un record pour un joueur de Toronto. Son numéro 21 a été immortalisé dans l’enceinte torontoise et il a été intronisé au Temple de la renommée du hockey en 1996. Il est, à ce jour, toujours considéré comme le meilleur défenseur de l’histoire de la franchise de Toronto (histoire qui dure tout de même depuis 105 ans, c’est important à souligner).
La vidéo ci-dessous permet de comprendre à quel point Börje Salming est une icône à Toronto. Nous sommes en 1976 à la Coupe Canada à Toronto, le robuste défenseur représente la Suède et, gêné par sa timidité, il s’excuserait presque de recevoir cette ovation (pendant plusieurs minutes) de la part du public du Maple Leaf Gardens, venu supporter le Canada. « Après quelques minutes, c’est devenu embarrassant, je ne savais pas comment réagir » avouera-t-il au quotidien suédois NSD.
Car, bien des années avant le King Henrik Lundqvist de New York, il y eut le King comme on le surnommait à Toronto. Salming était la première star européenne de la NHL, le premier joueur européen d’ailleurs à atteindre le seuil des 1000 matchs dans la plus grande ligue du monde. À cet égard, Salming a longtemps fait figure de modèle en Suède, en particulier aux yeux des différentes générations de talents dorés de la Tre Kronor qui se sont succédées. On parlait de Lidström, ce fut le cas aussi de l’ancienne icône des Sénateurs d’Ottawa Daniel Alfredsson qui reconnaissait son influence dans The Hockey News : « Il a ouvert la voie pour nous Suédois, et probablement les Européens de manière générale, par sa manière de jouer. C’est l’un de nos grands pionniers. » Et bien évidemment Mats Sundin, premier européen à devenir capitaine d’une équipe NHL, Toronto de surcroit, alors même que Salming avait refusé le capitanat des années avant : « Börje est le joueur que j’ai vu au plus haut niveau tout au long de ma carrière. C’est mon modèle et mon idole, il m’a guidé. Nous pensons tous à Börje et à sa famille » disait l’ancien numéro 13 dans un communiqué.
L’histoire touche beaucoup en Suède, celle de ce joueur vénéré désormais paralysé par la maladie, mais elle a également traversé l’Atlantique grâce notamment à TSN et Sportsnet, ainsi que les médias basés à Toronto. Beaucoup de personnalités du hockey ont apporté leur soutien à Börje, dont d’anciennes icônes des Maple Leafs comme Darryl Sittler ou Lanny MacDonald
Börje Salming — who can no longer speak due to the advancement of his ALS diagnosis — shares a message with his fans. Watch the full interview with Börje and his wife Pia on https://t.co/XalW2j5jjs
(🎥: @Expressen) pic.twitter.com/k2agzUFWZw
— TSN (@TSN_Sports) October 18, 2022
Déjà hospitalisé en mars 2020 pour une violente infection au covid qui lui a causé une grosse frayeur, Börje est désormais condamné à batailler contre la souffrance de la maladie de Charcot. Lui qui a toujours gardé une silhouette athlétique a perdu dix kilos en quelques mois. Désormais nourri via une sonde depuis que la maladie s’est installée dans la gorge, il lui est impératif de respecter une alimentation riche en calories pour ne pas perdre davantage de poids, sous peine de voir la maladie prendre définitivement le dessus.
Il a en tout cas le soutien de toute sa famille, Pia, Teresa. Également son autre fille Bianca qui, une semaine seulement après le douloureux diagnostic de son père, disputait les championnats d’Europe d’athlétisme et battait son record personnel en terminant huitième de l’heptathlon, sous les yeux de son père présent dans les tribunes de Munich. Bianca est témoin de l’incroyable élan de solidarité qui entoure son père, à Hockeysverige : « Il y a eu une quantité absolument incroyable d’amour de la part des gens. C’est bien sûr quelqu’un de formidable et de très apprécié, mais cela permet aussi d’attirer l’attention sur la SLA comme jamais. »
Le grand frère de Börje, Stig, surnommé « Ugly Stig » pour son tempérament hargneux, à la carrière entièrement suédoise et trois fois médaillé aux championnats du monde, s’est probablement rapproché encore davantage de son frère.
Proches, amis, anciens coéquipiers, stars du hockey, clubs, ligues, fans, Börje n’est pas seul pour résister, jusqu’au dernier souffle, à la maladie.