La Women’s League, la ligue élite féminine suisse, débute ce samedi, et cette saison 2023-24 cultive de nouveaux espoirs, ceux d’un championnat moins amateur. Ce qui permettrait d’éviter un feuilleton comme celui de Lugano, une pointure du championnat victime d’un escroc et dont l’avenir demeure incertain.
L’espoir miné par un escroc
Histoire et performance, les Ladies Lugano ont conjugué ces deux notions sur plusieurs décennies. Créée en 1991, la section féminine luganaise est devenue une puissance en Suisse. Les Bianconere constituent le deuxième club féminin le plus titré du pays avec huit championnats, derrière Zurich et ses dix trophées. L’ancienne joueuse de l’équipe de France Lara Escudero a d’ailleurs obtenu le sacre en 2019. Les Ladies Lugano ont été finalistes 16 fois ces 18 dernières années, c’est dire leur compétitivité sur l’échiquier suisse.
Pour autant, l’équipe féminine fonctionnait de manière autonome depuis la saison 2018-19, auparavant intégrée à la structure du HC Lugano. Malgré de très bons résultats sportifs, l’association des Ladies Lugano a vu les difficultés s’accumuler, jusqu’à annoncer à la mi-mars l’arrêt de ses activités. Dans un communiqué, le deuxième meilleur club féminin de Suisse annonçait la fin de son histoire : « il n’y a plus les conditions réunies pour continuer. L’histoire des Ladies s’arrête ici ! » pouvait-on lire dans un communiqué. En faillite, les Ladies Lugano pointaient un isolement redoutable : « sous nos latitudes, le sport féminin continue à être confronté à de nombreux (trop nombreux) défis, notamment la discrimination, le manque d’attention de la part des politiques, de la population et des médias. Tout cela contribue au fait que nous ne trouvons que peu de sponsors. »
C’en était terminé pour les Ladies Lugano au printemps dernier… avant un premier coup de théâtre. Au mois de mai, un groupe privé mené par un Italien de 44 ans, Cesare Badila, reprenait les Ladies Lugano, l’espoir était en train de renaître. Un nouveau staff s’est reformé, et les joueuses retrouvaient l’entraînement début août. Cinq points étaient évoqués pour permettre de relancer l’équipe des Bianconere : l’équité en terme de ressources et d’accès aux équipements, l’investissement dans les infrastructures, une amélioration de la visibilité dans les médias et sur les réseaux sociaux, investir dans un programme de développement des joueuses, et enfin renforcer la synergie avec les autres organisations sportives et fédérations.
L’optimisme était de nouveau de mise dans le Tessin plusieurs mois après la faillite annoncée. Avant un deuxième coup de théâtre dont les Ladies Lugano ne pourront se relever. À une semaine seulement du début de la Women’s League 2023-24, les médias locaux laissaient entendre un avenir sombre pour les Bianconere, des problèmes financiers semblaient resurgir et menaçaient leur saison. La raison de ce nouvel effondrement paraît impensable, elle est l’œuvre d’un escroc : le nouveau président Cesare Badila lui-même.
Badila a été arrêté par la police suisse, menottes aux poignets, pour des faits graves de malversation. Le dirigeant italien est soupçonné d’avoir utilisé plus d’une vingtaine de sociétés pour contracter des dettes. Pour la plupart dans le secteur du bâtiment et de l’automobile, ces sociétés étaient inscrites au registre du commerce mais majoritairement radiées. Il aurait par ailleurs obtenu une aide Covid sans remplir les conditions, qui s’élèverait à 420.000 euros. L’affaire inclut des soupçons de fraude, faillite frauduleuse, mauvaise gestion, réduction d’actifs au détriment des créanciers, absence de comptabilité, falsification de documents et blanchiment d’argent. Badila a empilé les dettes tout en ayant à l’esprit qu’elles ne seraient jamais résorbées, il vivait bien au-dessus de ses moyens.
Quant au club des Ladies Lugano, Cesare Badila n’a pas tenu ses promesses, il n’y a finalement investi aucun argent. Les engagements n’ont donc pas été tenus auprès des partenaires, du staff et surtout auprès des joueuses auxquelles on avait promis la fin du cauchemar. En leur tendant la main au printemps alors que tout semblait perdu, le président escroc leur a fait miroiter une nouvelle ère, il les a finalement enfoncées plus bas que terre. Son arrestation est un choc pour toute la communauté.
Le week-end dernier, malgré le scénario surréaliste, les Bianconere ont poursuivi leurs entraînements tout en recherchant des sponsors en urgence. L’organisation du HC Lugano, qui a préféré se séparer de la section féminine il y a cinq ans, a rapidement confirmé qu’il n’interviendra pas dans cette mission de sauvetage. Le club phare préfère se contenter de la formation, rien ne plus, « à recruter et à former des filles passionnées de hockey sur glace et à s’engager dans ce sens » comme ils l’ont précisé dans un communiqué.
Ces dernières années, les Ladies Lugano ont dû se débrouiller seules, en complète autonomie. Sous une entité distincte du grand club de la ville, elles devaient se charger de la gestion, l’administration et des finances du club. Un mode de fonctionnement incompatible pour le hockey féminin, en plein essor, mais avec une nécessité d’être accompagné pour ne pas se perdre en chemin. L’équilibre est fragile, à l’échelle d’une ligue ou d’une équipe, et si les efforts ne sont pas mutualisés pour avancer, ceux-ci sont condamnés à l’échec
Au final, les difficultés des Ladies Lugano étaient inéluctables, comme ce fut le cas d’un autre club féminin indépendant, le Göteborg HC. Cette structure suédoise n’était pas rattachée au grand club de la ville, Frölunda, qui a tardé pour mettre en place une équipe féminine de premier plan. Le GHC a fini par déclarer forfait en novembre 2022 avant de s’éteindre. La participation des Ladies Lugano a été confirmée pour la Women’s League 2023-24, mais les dettes feront elles partie du passé ?
Vers une métamorphose historique
Les déboires des Ladies Lugano et le dos tourné du HC Lugano sont tellement à contre-courant d’une réelle prise de conscience en Suisse. Nous basculons probablement vers une saison charnière pour la Women’s League avec un cap qui sera franchi. Le géant PostFinance, qui a depuis des années d’importantes connexions avec le hockey suisse, est devenu sponsor majeur de la Women’s League dès décembre 2022. Quant aux matchs, ils sont tous retransmis sur la plateforme RED+, et une affiche par semaine sur Blick. La ligue veut également passer un palier en termes de communication sur les réseaux sociaux.
Les clubs, eux, ont entamé une profonde mutation ces derniers mois. Contrairement au HC Lugano qui persévère dans son désunion avec l’équipe féminine de la ville, cinq des huit équipes en lice en Women’s League sont désormais rattachées à une équipe de National League masculine. Le modeste EV Bomo Thoune a été intégré officiellement au CP Berne dont il a repris le nom. Les Bleues Marie-Pierre Pélissou et Estelle Duvin, témoins de premier plan de cette mutation, évolueront désormais dans la grande PostFinance Arena. Un réel progrès comme nous le confie l’attaquante des Bleus : « On reste quand même une branche à part concernant le hockey féminin avec la même direction qu’à Bomo. Donc à ce niveau ça n’a pas trop évolué. Par contre oui, il y a un peu plus de moyens, mais surtout de meilleures infrastructures. On partait vraiment de rien à Bomo, pas de préparation physique, pas de propres vestiaires, pas de salle de musculation… Ce sont des choses que l’on a maintenant à Berne. »
Un pas est franchi même s’il reste encore beaucoup à faire : « On ne peut pas dire que tout est très pro non plus. On n’a pas de kiné, pas de chef matériel, un vestiaire très petit. Mais ça évolue doucement. » Les efforts semblent aller dans la bonne direction. EV Bomo désormais intégré au CP Berne, le HC Davos en a fait de même en reprenant les Thurgau India Ladies, devenues Davos Ladies. Ambrì-Piotta et Fribourg-Gottéron, engagés également dans l’élite Women’s League, ont aussi enclenché un vrai plan pour le hockey féminin.
Mais c’est à Zoug que l’on constate la mutation la plus spectaculaire. Cela fait 14 ans qu’il n’y avait plus d’équipe féminine mais l’organisation n’a pas fait dans la demi-mesure pour corriger cette erreur. L’investissement pour la discipline est sans commune mesure, le souhait de l’organisation est tout simplement de bousculer les standards du hockey féminin en Suisse.
L’EV Zoug a lancé en janvier 2023 le programme « Women & Girls Programm » qui a permis la création d’une équipe féminine à partir de zéro. Daniela Diaz, impliquée les années précédentes avec l’équipe nationale en tant qu’entraîneure et directrice sportive, occupe maintenant ces deux fonctions à l’EV Zoug Women. Le projet a convaincu l’une des meilleures attaquantes au monde, Lara Stalder, en plus d’autres internationales, Lena-Marie Lutz, Noemi Ryhner et Nadine Hofstetter, qui vont débuter l’aventure en SWHL B, le deuxième échelon, mais avec une équipe de calibre élite – ce qu’avait réalisé la saison dernière Frölunda en Suède.
Le budget de l’EVZ féminin bouscule totalement les normes puisqu’il est de 1,25 millions d’euros, dont 500 000 euros consacrés aux salaires des joueuses. De fait, elles sont 40% salariées du club zougois, elles s’entraînent tous les après-midis – au lieu du créneau du soir souvent dévolu aux équipes féminines – et profitent de toutes les installations de la Bossard Arena. Infrastructures, vestiaires, matériel, déplacements, tout est pris en charge par la grande organisation de l’EV Zoug. Le programme zougois vise également à promouvoir le hockey féminin à tous les niveaux, en commençant par l’école de hockey. Recordwoman du nombre de points par deux fois en SDHL suédoise, Stalder ne regrette en rien son choix comme elle le confiait à watson.ch : « Cela fait dix ans que je joue à l’étranger. Logiquement, j’aurais pu continuer à jouer encore quelques années, mais j’ai eu ici cette opportunité unique. » Et elle ajoute sans détour : « Ce n’est pas sorcier. Si vous avez vraiment le souhait de développer le hockey féminin, vous avez déjà toutes les structures existantes du hockey masculin. » À bon entendeur luganais…
L’annonce en janvier de Zoug d’un investissement important dans le hockey féminin a probablement été un élément déclencheur pour d’autres clubs. La Suisse est la troisième nation mondiale féminine au classement IIHF derrière le Canada et les États-Unis, mais elle accusait un retard important quant à son championnat national encore amateur. Et pourtant en Suisse, les infrastructures sont là, il ne manque que les initiatives. Avec la prise de conscience générale, la Women’s League est en passe d’amorcer une transformation bienvenue.