L’un pleure, l’autre rit. Si le champion d’Europe en titre Tappara (la hache) s’est fait ratiboiser hier soir à Bienne, l’autre club de Tampere, Ilves (le lynx), s’est qualifié haut la main pour les huitièmes de finale de la Champions Hockey League. Il n’a encore perdu aucun match dans le temps réglementaire, et peut même figurer dans les trois premiers du classement général s’il gagne ce soir à Rouen.
De leur côté, les Rouennais – qui ont subi leur premier revers en championnat vendredi face à Chamonix – n’ont rien à gagner… sauf le prestige du hockey français ! N’est ce pas le plus important quand on a l’honneur d’être invités à la table des grands clubs d’Europe ? Les supporters normands ont encore en mémoire la démonstration des Pelicans de Lahti lors du dernier match de CHL joué sur l’île Lacroix (3-8). S’ils sont friands de voir un tel hockey de haut niveau, ils n’ont pas non plus envie de revoir leur équipe prendre une telle leçon.
Le risque est moindre à la vue de l’effectif finlandais. Ilves a laissé ses cadres au repos, notamment le champion olympique Niklas Friman et ses trois internationaux tchèques. Mais c’est bien le gardien qui a le plus joué – tant en Liiga qu’en CHL – qui est titulaire : Jakub Málek, un Tchèque de 21 ans, choix de quatrième tour de draft des New Jersey Devils en 2021.
La personnalité la plus célèbre – ou qui le sera bientôt – sur le banc d’Ilves est donc le coach : il y a trois semaines, Antti Pennanen a été nommé futur entraîneur national de la Finlande, à partir de l’été prochain et au moins jusqu’aux prochains Jeux olympiques, avec une option sur la saison 2026/27.
Anthony Rech intercepte en zone neutre la relance du défenseur Otto Latvala, fonce seul à la cage et place parfaitement son tir juste au-dessus de la jambière gauche du gardien. Revenu en France après six saisons en DEL, Rech avait un peu déçu certains partisans rouennais en n’étant pas vraiment dominant. Il inscrit là son premier but de la saison en CHL, le deuxième dans sa carrière (il en avait mis un pour TPS l’an passé lors de son passage de six mois)
À la troisième minute, Rouen remet ça conclut une séquence de pression en zone offensive. Rolands Vigners est contré par le centre canadien Jérémy Grégoire en attaquant la cage, Joris Bedin tente sa chance sur le rebond et le palet revient sur Vigners qui s’est frayé un passage au poteau opposé avec peu d’opposition physique de Grégoire (2-0). Ce score ne doit rien au hasard car Rouen mène 5 tirs cadrés à 0 !
Le premier lancer d’Ilves, par Robin Alvarez après une mise au jeu, arrive en pleine poitrine de Pintarič. Les Dragons sont comparativement plus dangereux sur une déviation à ras glace de Bedin dans l’enclave. La première vraie alerte vient d’une perte de palet de Nesa en zone neutre, mais elle n’aboutit qu’à un tir de Grégoire sans grand danger pour le gardien slovène. Samuli Ratinen est ensuite le premier Finlandais à s’infiltrer avec la rondelle jusqu’à la cage française, mais il est gêné par la crosse de Francis Perron sans que l’arbitre n’y voit à redire.
Les meilleures occasions restent rouennaises avec un centre d’Emil Kristensen dévié face à la cage par Milan Kytnár. Il y a bien une situation qui fait frémir l’île Lacroix, mais Matias Mäntykivi met trop de temps à contrôler du patin une passe au second poteau avec la cage ouverte. Milan Kytnár commet la première faute, une obstruction sur Hietaniemi dans la balustrade, mais l’infériorité numérique donne lieu à un 2 contre 1 des Dragons : Bedin décale Rech… qui frappe le poteau ! Rouen aurait même pu mener 3-0 à la pause…
Le troisième but arrive quand même, à la reprise. Un lancer de la bleue de Guimond est dévié par Perron… ou plutôt par Antonin Honejsek d’après l’annonce (3-0). C’est l’occasion de faire remarquer les nombreuses interceptions défensives réussies depuis le début du match par Honejsek, qui est bel et bien de retour de sa semaine en Tchéquie pour motifs personnels même si certains pensaient ne plus le voir longtemps depuis qu’il avait perdu sa place dans l’alignement rouennais.
Les Dragons se relâchent et encaissent un but 25 secondes plus tard. Samuli Ratinen embarque Pintarič, passe derrière la cage et remet en retrait dans le slot où Enzo Cantagallo a laissé Jérémy Grégoire s’installer trop seul (3-1). Mais dès la reprise du jeu, la crosse d’Eetu Päkkilä s’élève au visage de Chakiachvili. En supériorité numérique, la passe transversale de Francis Perron trouve Anthony Rech, dans le cercle gauche, qui contrôle et place son tir côté mitaine (4-1, photo ci-dessous).
L’avantage numérique du RHE se poursuit mais il tourne mal quand Sacha Guimond se fait contrer à la ligne bleue par Ratinen : le défenseur canadien fait faute une première fois juste après avoir perdu le palet, puis une seconde en faisant tomber l’attaquant finlandais après son entrée en zone offensive. C’est donc la double peine : pénalité plus pénalty. Ratinen semble avoir réussi à déporter Pintarič juste ce qu’il faut par son dribble droite-gauche, mais le gardien slovène réussit à bloquer le palet sous le bout de son patin (photo ci-dessous). Miracle !
Là où on ne comprend plus (et ni le capitaine Lampérier ni le coach Lhenry ne comprennent d’après les palabres qui suivent), c’est qu’un second tir de pénalité est tenté à la suite. Emil Järventie perd carrément dans sa feinte…
Les Dragons ont survécu au double pénalty, mais celui-ci se double en fait de deux pénalités mineures. La foule rouennaise peut chanter son « Pinta », magistral durant toute cette séquence face aux tirs répétés d’Ilves. Rouen n’est pas loin de marquer en infériorité avec une belle passe levée du revers de Nesa pour Quentin Tomasino, mais celui-ci n’arrive pas à remporter son face-à-face avec Malek et à marquer entre les bottes. Ilves a eu aussi une énorme chance avec un rebond en cage apparemment grande ouverte pour Juuso Könönen, mais il a tiré dans la jambe du défenseur letton Kristaps Sotnieks, debout en opposition.
Au retour à cinq contre cinq, Rouen reprend sa marche en avant et se procure des occasions en jouant avec beaucoup de rythme, sans se contenter d’être « tatasse » (terme d’argot local signifiant psychorigide de l’organisation selon la biographie parue ce jour de l’astronaute rouennais Thomas Pesquet).
Les Dragons se font peur à deux minutes de la pause après une succession de petites erreurs dans leur zone. Emil Kristensen contrôle mal le palet dans son enclave et l’abandonne à Robin Alvarez qui arrive seul devant le but : le vétéran suédois ne se distingue vraiment pas par son efficacité !
Comme le premier, ce deuxième tiers-temps s’achève par un lancer rouennais sur le poteau, ou plutôt sur la transversale, cette fois par Alexandre Mallet sur passe de derrière la cage de Perron ! En comptant ces deux poteaux, on comprend que le RHE mérite de dominer 4-1 même s’il fait passer devant aux tirs (lors de l’infériorité numérique de quatre minutes).
Rouen aborde la troisième période avec le même dynamisme, mais se fait prendre à revers par un 2 contre 1 : Emil Järventie prend le tir et Jérémy Grégoire a le but tout fait sur le rebond… mais rate son tir en ne touchant qu’à moitié le palet, qui part à côté des filets ! Les Dragons maintiennent leur forte intensité de jeu, à l’instar d’un Alexandre Mallet qui finit ses charges en allant au forechecking.
Après un dégagement hors de l’aire de jeu de Samu Bau, le deuxième meilleur jeu de puissance de la CHL (hé oui, derrière Vitkovice) fait circuler la rondelle de manière fantastique pendant plus deux minutes. La défense finlandaise n’arrive pas à suivre et subit les passes sans jamais parvenir à bloquer le milieu. Cette superbe séquence collective se poursuit même quand le cinquième Finlandais revient en jeu et Emil Kristensen reprend dans des filets complètement déserts la passe transversale parfaite de Honejsek (5-1).
Le pauvre Malek – qui vit une très mauvaise soirée – s’était déporté très loin de ses cages. Désolé pour les scouts des Devils, le match de gardiens a clairement tourné en faveur de Matija Pintarič ce soir. Il signe encore un bel arrêt en cherchant très bas de la mitaine un tir de Matias Mäntykivi parti en contre-attaque. Le dernier mot est donc rouennais. Rolands Vigners sort de l’arrière de la cage et prend un tir en pivot, dévié par le corps de Joris Bedin dans le slot (6-1). La partie se termine par une Marseillaise enjouée du public rouennais dans la dernière minute.
Les champions de France ont magnifiquement tenu leur rang. Même si l’adversaire s’était amputé de moitié et avait complété avec des jeunes, des joueurs habitués à un championnat d’élite ont été défaits à plate couture par une équipe de Ligue Magnus motivée à pratiquer du beau hockey, rapide, technique et physique. C’est le troisième gros score pour les Dragons dans cette CHL, mais ce coup-ci il est en leur faveur !
Du fait de la victoire de Belfast contre Pardubice au même moment – inutile car le champion tchèque Třinec avait assuré la dernière place qualificative sans difficulté un peu plus tôt – Rouen n’est pas le meilleur club des « pays invités » dans cette CHL réduite. Il finit 19e sur 24 avec 6 points, un point derrière le tenant du titre Tappara. Il en aurait fallu 9 pour se qualifier, ce qu’avait anticipé Fabrice Lhenry. Cela reste une grosse performance avec un tirage au sort difficile. Ilves recule en sixième position et affrontera donc Pardubice en huitièmes de finale (alors que les Finlandais auraient affronté le petit poucet Innsbruck en cas de victoire).
Commentaires d’après-match (au micro de la CHL) :
Fabrice Lhenry (entraîneur de Rouen) : « C’est sûr qu’on voulait bien finir pour bien figurer dans cette compétition, la respecter déjà. Je l’avais dit quelques jours, on a été invités en CHL. Il y a des wild-cards, il faut les mériter, il faut le prouver à chaque match. Pour le prochain club français, car j’espère qu’il y aura encore une équipe française l’année prochaine, cela montre à la CHL qu’on prend cette compétition au sérieux et qu’on la joue jusqu’au bout. Sur les premiers matches, on n’était pas assez prêts dès fin août. On avait changé beaucoup de joueurs aussi, on n’avait pas le niveau qu’on a aujourd’hui. On progresse, on a appris, ce qui est positif. C’est sûr qu’on aurait aimé aller au tour suivant, mais je pense qu’on a bien figuré. Je suis quand même fier des joueurs, de ce qu’ils ont rendu, je pense qu’on a bien représenté le hockey français dans cette champions League. »
Antti Pennanen (entraîneur d’Ilves) : « Quel bruit ici ! Je ne vous entends pas. Quelle atmosphère ! Mauvais départ. On était venu avec un banc un peu court, mais pas d’excuses. Félicitations à Rouen, ils ont joué un bon match. Nous avons eu un bon départ dans cette Champions Hockey League avec beaucoup de buts, nous voulons la gagner bien sûr et nous avons bien joué, donc nous sommes confiants. »
Rouen – Ilves Tampere 6-1 (2-0, 2-1, 2-0)
Mercredi 18 octobre 2023 à 20h00 à la patinoire Nathalie-Péchalat. 3279 spectateurs.
Arbitres : Nicolas Cregut (FRA) et Michał Baca (POL) assistés de Nicolas Constantineau et Clément Goncalves (FRA).
Pénalités : Rouen 6′ (2′, 4′, 0′) ; Ilves 4′ (0′, 2′, 2′).
Tirs : Rouen 24 (6, 8, 10) ; Ilves 27 (6, 13, 8).
Évolution du score :
1-0 à 00’41 : Rech
2-0 à 02’33 : Vigners assisté de Bedin et Sotnieks
3-0 à 21’42 : Honejsek assisté de Mallet et Guimond
3-1 à 22’17 : Grégoire assisté de J. Kos
4-1 à 23’27 : Rech assisté de Perron et Bedin (sup. num.)
5-1 à 55’32 : Kristensen assisté de Honejsek et Mallet
6-1 à 58’00 : Bedin assisté de Vigners et Cantagallo
Rouen
Attaquants :
Loïc Lampérier (C) – Milan Kytnár (2′) – Tommy Perret
Anthony Rech (+1) – Vincent Nesa (+1) – Quentin Tomasino (+1)
Antonin Honejsek (+2) – Francis Perron (+1) – Alexandre Mallet (+2)
Joris Bedin (+1) – Jordan Hervé (+1) – Rolands Vigners (+2)
Arrières :
Florian Chakiachvili (A, +1) – Kristaps Sotnieks (+1)
Sacha Guimond (+3, 4′) – Emil Kristensen (+3)
Dylan Yeo (A) – Enzo Cantagallo
Noa Goncalves Nivelais [1 présence]
Gardien :
Matija Pintarič
Remplaçants : Tonin Caubet (G), Antoine Addamo (A). Absent : Marcel Haščák (fracture au niveau de la cheville).
Ilves Tampere
Attaquants :
Juuso Könönen – Matias Mäntykivi (-1) – Eetu Päkkilä (2′)
Robin Alvarez (-3) – Samu Bau (-3, 2′) – Ondřej Kos (-2)
Samuli Ratinen (-1) – Jérémy Gregoire (-1) – Jakub Kos (-1)
Emil Järventie (-1)
Défenseurs :
Otto Heinonen (-2) – Otto Latvala (-1)
Joni Jurmo (-2) – Sebastian Soini (-1)
Jarkko Parikka (-1) – Veeti Hietaniemi
David Svozil
Gardien :
Jakub Málek
Remplaçant : Ondřej Bizoň (G). Absents : Jonas Gunnarsson (G), Niklas Friman, Dominik Mašín, Artu Pelli, Les Lancaster (D), Oula Palve, Petr Kodýtek, Šimon Stránský, Jani Nyman, Joona Ikonen, Eemeli Suomi, Ville Meskanen, Santeri Virtanen (A).