La vidéo de la bagarre entre Matt Rempe et Nicolas Deslauriers a fait le tour du monde et soulevé beaucoup d’interrogations. Pourquoi se battre au hockey sur glace ? Dans quel intérêt ? Voici venu le temps de débunker le mythe du « sport de bûcherons ».
>Si vous êtes utilisateur-ice de X (ex-Twitter) vous avez possiblement vu passer les tweets de comptes comme @Pierre_B_y ou @LaSueurOff réagissant à la bagarre entre Matt Rempe et Nicolas Deslauriers aussi bien impressionnante… qu’inutile. Si ces tweets ont entraîné tout un tas de réactions, ils ont aussi soulevé tout un tas de questions restées sans réponse.
C'est vraiment un sport de bûcherons.https://t.co/manyuegMhy
— Pierre B. (@Pierre_B_y) February 24, 2024
La bagarre au hockey, vraiment ?
Comme entre la NBA et la FIBA, les règles diffèrent entre la National Hockey League (NHL) et le reste des compétitions régies par la Fédération Internationale de hockey sur glace (IIHF). Si sur le continent américain les bagarres sont tolérées (bien que sanctionnées d’une pénalité majeure de cinq minutes), elles ne le sont pas dans la plupart des autres championnats et compétitions internationales.
Selon le livre des règles publié par la fédération internationale «La bagarre ne fait pas partie de l’ADN du hockey […] les joueurs ayant volontairement participé à une bagarre doivent être pénalisés par les arbitres […] peuvent être expulsés de la rencontre et une procédure disciplinaire démarrée à leur encontre». En clair : les bagarres ne sont pas autorisées. Dans la plupart des cas, dès lors que deux joueurs ont volontairement retiré leurs gants, ils sont considérés comme “instigateurs” et expulsés. Du moins, dans le cadre des compétitions IIHF.
Quid de la NHL ?
De l’autre côté de l’Atlantique, les bagarres font partie intégrante du jeu. Plus encore, les équipes recrutent volontairement des joueurs à la réputation de bagarreurs. C’est d’ailleurs ce qui a amené la vidéo du combat entre Rempe et Deslauriers. Matt Rempe, 21 ans, a fait ses débuts avec les Rangers de New York cette saison. Si le joueur a connu une saison prometteuse en amont de son repêchage dans la grande ligue, c’est sa réputation de joueur rugueux et bagarreur qui a convaincu les Rangers de lui donner sa chance en tant que « goon », surnom donné aux joueurs bagarreurs. Un rôle détestable mais important que le film Goon (2022) illustre à la perfection.
C’est simple, le rookie new-yorkais a passé plus de temps sur le banc des pénalités que sur la glace. Après un premier combat – remporté – pour son premier match dans la ligue, il a été expulsé pour une charge rugueuse deux rencontres plus tard. Depuis, tous les joueurs goons de la ligue veulent se frotter à lui, avec plus ou moins de succès. Mais la NHL n’a pas attendu Rempe pour connaître son lot de bagarres.
Dans la grande ligue, les bagarres sont tolérées pour une raison simple, elles ont un aspect tactique qui peut avoir son importance dans bien des situations.
Dans quel intérêt ?
L’intérêt – dans l’esprit de la NHL – des bagarres est multiple. Comme souligné par plusieurs internautes, il y a d’abord une question de protection. Ici l’intérêt est d’éviter les débordements et blessures. Comme dans tous les sports, il existe une grande disparité de gabarits et un joueur au physique imposant peut tout à fait décider d’aller jouer des coudes avec un joueur plus «frêle». Dans un sport à la vitesse de jeu rapide et aux les contacts sont appuyés, un gros gabarit qui charge un petit gabarit pourrait entraîner une blessure plutôt sérieuse. L’intérêt est donc ici de venir dissuader l’adversaire d’envoyer ses gros gabarits se frotter aux plus petits et inversement. Idem pour les joueurs stars, une charge manquée, un contact trop appuyé sur un joueur clé et voilà que les gants volent. Cela peut paraître idiot, mais les bagarres jouent un rôle important dans la protection des joueurs… En témoigne cette rixe entre Steven Stamkos et Auston Matthews…
Energie et momentum
À plusieurs reprises au cours des dernières saisons, nous avons vu des équipes afficher un visage tout autre après une bagarre. Au-delà d’envoyer un signal fort aux deux bancs, les luttes, souvent longues à l’échelle d’un temps de présence et qui entraînent des pénalités, viennent casser un momentum. Une équipe qui concède un temps faible et quelques buts peut venir interrompre ce temps faible en provoquant une bagarre. Si elles sont plutôt rares en saison régulière, en playoffs, les enjeux d’un match sont tellement importants que ces bagarres sont plus régulières. Et trouvent leur importance, qui plus est lorsqu’une rivalité existe… En témoigne ces brassages multiples dans le derby de Floride entre Tampa Bay et Florida.
Bagarres inutiles, risques et questionnements
Pour en revenir à nos chers amis Rempe et Deslauriers, leur rixe pose plusieurs questions importantes. Quid du développement des jeunes joueurs à la réputation de bagarreur ? Quels risques encourus pour leur santé ?
À seulement 21 ans, Matt Rempe semble ne plus être en mesure de jouer. Non pas parce qu’il est blessé à force de se battre, mais plutôt comme sa simple présence sur la glace paraît suffire à provoquer une bagarre – dépourvue de sens. Car oui, si l’on peut parfois trouver une utilité à ses rixes, force est de constater que depuis l’arrivée du New-Yorkais dans la grande ligue, tous les bagarreurs veulent se frotter à lui sans raison particulière. Deslauriers l’autre jour, Olivier cette nuit… Cette série – critiquée par beaucoup d’observateurs – semble destinée à se poursuivre. Mais à quel prix ? Le développement du joueur est remis en question. Privé de temps de jeu, il n’a donc pas l’occasion d’apprendre et de progresser autant qu’il aurait été escompté. N’a-t-il pas ce rôle justement parce que son potentiel était déjà limité à son arrivée dans la ligue ? Si la question peut se poser, impossible de se faire un avis tant le comportement de joueurs confirmés à son égard freine celui-ci, et ce, malgré l’inconnue autour de son plafond.
Nic Deslaurier and Matt Rempe with the Fight of the Year! The 6-foot-1, 218-pound Deslauriers stood toe-to-toe with the 6-7, 241-pound Rempe. #LetsGoFlyers pic.twitter.com/AQdMvWPSTH
— Philly Sports Trips (@SportsTripsPHL) February 25, 2024
L’autre question est bien sûr celle qui réside autour de la santé des joueurs. Si les visages des deux joueurs témoignent de la violence des chocs reçus à la tête, la multiplication de bagarres, des traumatismes crâniens et des commotions cérébrales qui peuvent en résulter inquiètent. Dans un sport déjà violent où la santé des joueurs à long terme est questionnée, la ligue gouvernée par Gary Bettman doit donc se positionner sur la réglementation de ces bagarres jugées inutiles par beaucoup.
Si l’on continue de découvrir de plus en plus de commotions cérébrales grâce aux moyens de détection bien plus développés qu’à l’époque, beaucoup de joueurs, actifs ou retraités, questionnent ces attitudes. À l’image de l’enquête du Washington Post sur les “concussion files” de la NFL , la NHL s’expose de plus en plus à une enquête similaire tant, par sa volonté de laisser les joueurs exprimer leur frustration et faire le spectacle, elle met la santé de bien des joueurs en péril.
En outre, si les bagarres ont un rôle tactique de l’autre côté de l’Atlantique et viennent renforcer le show, elles soulèvent aussi la question de la protection des joueurs dans un sport marqué par les accidents récents de Sanni Hakala (paralysée à la suite d’un choc contre le poteau) et d’Adam Johnson (décédé après avoir été blessé à la gorge par un patin).