Pour bien des anciens joueurs, notamment ceux ayant côtoyé le haut voire le très haut niveau, la reconversion semble tracée d’avance : enfiler la casquette d’entraîneur. Un choix logique qui permet de rester au cœur de la patinoire, de mettre à profit les réflexes et savoir-faire forgés pendant la carrière, et surtout de partager ce vécu unique avec la nouvelle génération.
Mais tous ne choisissent pas cette voie « royale » et certains bâtissent leur après-carrière bien loin de la glace. Parfois, un fil conducteur relie encore leur nouveau métier à leur « ancienne vie », mais il arrive aussi que le virage soit radical. Chez HockeyArchives, nous aimons explorer ces trajectoires inattendues, aussi nous vous proposons d’explorer le parcours de Benoît Bachelet.
Figure emblématique des Brûleurs de Loups de Grenoble — son numéro 46 flotte à jamais aux cintres de la patinoire PôleSud — et ancien pilier de l’équipe de France (il a notamment disputé les Jeux Olympiques à Salt Lake City), il a toujours su conjuguer études et hockey. Une discipline qui l’a mené, une fois les patins rangés, sur… les parquets des tribunaux. Aujourd’hui Procureur de la République à Albertville, Benoît Bachelet a accepté de revenir pour HockeyArchives sur les étapes marquantes d’une vie, de la glace aux prétoires.
Des débuts bien ancrés sur la glace
« J’ai commencé le hockey très tôt, vers l’âge de 4 ans. Comme tous les petits Gapençais de ma génération, on faisait du ski et du hockey : c’était presque un passage obligé », se souvient Benoît Bachelet. « Ensuite j’ai eu la chance de faire à Gap la section hockey-études et de pouvoir y réaliser tout mon collège et mon lycée ». Cap ensuite sur Grenoble pour poursuivre ses études universitaires… toujours avec un objectif clair : trouver un cursus compatible avec la pratique du hockey de haut niveau « Je suis ensuite parti à Grenoble pour poursuivre mes études, à l’université ».
Grenoble, c’était un choix d’études me permettant de faire du hockey.
« J’ai même dû demander une dérogation, raconte-t-il, car je dépendais de l’académie d’Aix-Marseille, puisqu’aucune équipe de mon académie ne me permettait d’évoluer à ce niveau. »
Les études avant tout
Ses parents n’étaient pas issus du milieu du hockey. La priorité, à la maison, c’était les études : « J’ai eu la chance d’avoir des parents compréhensifs qui ont dit que si je voulais faire du hockey, ils me laisseraient faire tant que les études suivent. C’était le deal à ce moment-là. ».
Mais rêvait-il d’une carrière professionnelle ? Pas vraiment : « Cela n’a jamais été un rêve. »
Je n’imaginais même pas qu’il soit possible de faire carrière dans le hockey. Je n’avais aucune notion de ce qu’était le sport professionnel.
« Lorsque je suis parti à Grenoble, ma seule idée était de continuer à faire ce que j’aimais. Je n’ai jamais eu de plan de carrière ou de rêve particulier en étant plus petit parce que c’était un univers qui m’était totalement étranger. »
Le hockey pro… version années 1990
Ses débuts professionnels, en 1992, se font dans un contexte bien différent de celui d’aujourd’hui. « Nous étions à des années-lumière en comparaison avec ce qu’est le professionnalisme aujourd’hui. Cela a peut-être été aussi ma chance. Comme on était sur les balbutiements du sport professionnel, c’est peut-être pour cela que j’ai réussi à concilier les deux : sport et études. Le championnat était beaucoup moins dense que ce qu’il est aujourd’hui, les entraînements étaient le soir alors qu’ils sont maintenant plutôt en journée ou en matinée. Cela permettait soit de travailler, soit d’aller en cours, et de faire un match le week-end. »
Le droit comme fil conducteur
Côté études, Benoît Bachelet se lance directement en droit, avec un objectif précis : s’offrir un maximum de temps pour jouer : « Je suis allé directement en droit. J’ai choisi une orientation qui me permettait de poursuivre le hockey le plus longtemps possible. »
J’ai choisi de faire un doctorat, ce qui me laissait le temps de m’organiser plus facilement que s’il avait fallu rentrer dans la vie active à l’issue de la maîtrise.
« Je savais qu’en faisant cela, j’aurais ensuite des possibilités pour soit poursuivre dans une carrière d’enseignement, soit m’orienter vers la profession d’avocat, soit vers la magistrature. Je n’avais pas d’idée arrêtée. »
Il obtient son master en 1997 et son doctorat en 2004, avec une thèse en droit privé : « Une thèse en droit et en sciences sociales en général, c’est plus long que dans les sciences dures, parce qu’on n’a pas tous ces aspects d’expériences, d’expérimentation et d’analyse des résultats. En quelques mots, une thèse c’est une dissertation de 600 pages, sachant qu’il faut essayer d’apporter quelque chose à la matière. Ce n’est pas un exercice simple. J’ai peut-être pris un peu plus de temps que les autres, sachant qu’entre temps j’ai aussi eu une année de service militaire, même si j’étais sur la toute fin du service militaire. Je l’ai effectué au bataillon de Joinville, ce qui m’a d’ailleurs permis de jouer à Milan cette année-là. » Le tout en articulant avec la vie de famille, puisque Matias voit le jour en 2003.
Ironie du sort : lui qui a planché sur le droit des contrats avec la soutenance de sa thèse a ensuite fait toute sa carrière dans… le droit pénal : « Ce qui est marrant, c’est qu’en rentrant dans la magistrature, en réalité je n’ai fait que du droit pénal. J’ai choisi une direction encore différente. »
Le virage vers la magistrature
Après son doctorat, il enchaîne quelques années d’enseignement et prend le temps de réfléchir à la suite : « J’avais aussi à ce moment-là l’idée de poursuivre vers une carrière universitaire, ce qui ne s’est pas fait. C’est aussi une question d’opportunités et de possibilités. Lorsque l’opportunité de la magistrature s’est présentée, je l’ai saisie et je ne regrette absolument rien. »
Après avoir raccroché les patins sur un titre de champion de France, a-t-il été tenté par une après-carrière dans le hockey, comme entraîneur ou manager général ? « Bien évidemment la question a pu se poser. »
Je ne me voyais pas continuer comme ça dans le hockey, ne serait-ce parce que j’avais une telle envie de glace que je ne me voyais pas venir à la patinoire tous les jours et ne pas jouer.
« J’avais aussi dans l’idée que depuis des années j’avais préparé la suite. Et finalement, la suite me paraissait assez logique. » Quand la carrière s’est arrêtée, il était temps de tourner la page : « Parce que j’avais le sentiment que je n’aurais pas pu connaître, en restant dans le hockey, des choses aussi intenses que ce que j’avais vécu. J’avais le sentiment que je risquais d’être déçu. » Après le hockey, et un deuxième titre de champion de France, direction l’École Nationale de la Magistrature, en 2007. « On termine la saison fin mars/début avril et début mai, j’étais à Bordeaux, à l’ENM. »
Du vestiaire au parquet judiciaire
Il explique le fonctionnement d’un parquet : « C’est là que c’est intéressant par rapport à ce que j’ai connu comme joueur. Le parquet c’est une équipe dirigée par un Procureur de la République. Ses principales prérogatives sont d’une part de diriger toutes les enquêtes de police et de gendarmerie dès lors qu’il y a une plainte déposée ou des dossiers ouverts par le parquet ou les enquêteurs. C’est le parquet qui est directeur d’enquête : il donne des directives aux enquêteurs, oriente les procédures – est-ce qu’on poursuit ou non – et, à l’audience, représente les intérêts de la société. Le parquet requiert ce qui lui semble juste, en termes de peine, mais aussi au-delà : après jugement, il intervient sur l’application et l’exécution des peines. »
Le parallèle avec le sport existe, mais il nuance « Oui, si ce n’est que lorsqu’on représente un club, on représente des intérêts privés. »
Représenter la société, c’est être le garant de l’application des règles et de la loi telle qu’elle est votée par nos représentants.
et comme au hockey : « D’une façon générale, tout ce qui relève de la gestion d’un groupe ou d’une équipe peut être transposable dans le domaine de la magistrature, en tout cas pour les magistrats du parquet. Pour les magistrats du siège, il n’y a pas ce fonctionnement d’équipe que l’on connaît au parquet. »
De Grenoble à Albertville
Après sa formation à l’École nationale de la magistrature, Benoît Bachelet entame en 2009 un long parcours au sein du parquet de Grenoble. Il y exerce successivement comme substitut placé, en charge du parquet des mineurs, puis de la lutte contre les stupéfiants. Nommé vice-procureur en 2016, il occupe aussi la fonction de vice-procureur placé avant d’être promu vice-procureur de Grenoble en 2018. En 2020, il rejoint la cour d’appel de Grenoble comme substitut général, poste qu’il occupera jusqu’à sa nomination, en janvier 2025, comme procureur de la République d’Albertville.
Il revient aussi sur son parcours au sein du parquet de Grenoble : « Quand on est au parquet, on peut être spécialisé dans un certain nombre de domaines. J’avais donc un certain nombre de spécialités différentes. Cela dépend aussi de la taille des parquets : plus le parquet est grand, plus l’équipe est étendue et plus on va être spécialisé. Au contraire, dans un parquet de plus petite taille, tout le monde est amené à toucher à tous les domaines et à faire preuve de polyvalence. »
Procureur de la République à Albertville, Benoît Bachelet explique le cheminement qui l’a mené à ce poste : « On candidate sur des postes. Il y a un processus interne : la direction des services judiciaires auditionne les candidats et en propose certains au Conseil National de la Magistrature, qui rend ensuite son avis. »
Endosser la fonction de procureur marque pour lui un véritable changement de responsabilités : « Le principal changement, c’est que je suis désormais chargé de gérer le parquet d’Albertville. Cela implique des fonctions de direction — je préfère ce terme à “management” — ce qui est nouveau pour moi. »
Jusqu’à présent, j’étais membre d’une équipe dirigée par un procureur. Aujourd’hui, c’est moi qui la dirige. C’est un poste sur lequel on reste au minimum trois ans, et au maximum sept ans.
Chaque ressort ayant ses propres spécificités, il découvre progressivement les enjeux locaux : « On comprend bien que les problématiques de délinquance ne sont pas les mêmes à Albertville qu’à Bobigny, Grenoble ou Marseille. Il faut donc s’adapter aux particularités du territoire. Mon objectif est de développer et d’ajuster une politique pénale qui tienne compte des enjeux spécifiques du ressort sur lequel je suis désigné. » Ces enjeux incluent des problématiques environnementales liées aux massifs montagneux, avec la spécificité du parc national de la Vanoise, mais aussi des questions d’urbanisme en lien avec les stations de ski. S’ajoutent des problématiques courantes comme les stupéfiants, ainsi qu’un aspect particulier : la saisonnalité :
En hiver, la population du ressort est multipliée par quatre avec l’afflux dans les grandes stations de Savoie.
Un regard teinté d’amertume sur l’évolution du hockey français
En parallèle de sa carrière, Benoît Bachelet s’est longtemps impliqué dans le hockey mineur : « J’avais à cœur d’apporter quelque chose. Je me suis investi longtemps, avec les difficultés que l’on connaît dans le hockey français pour faire bouger les choses. J’ai essayé d’apporter ma pierre à l’édifice… J’aurais aimé en faire plus et différemment, mais la vie est ainsi faite. Quand on se rend disponible et que, finalement, on vous dit que ce que vous proposez ne convient pas encore, il n’y a pas de raison de se battre davantage. »
Son constat sur l’état du hockey français est lucide mais sévère : « Depuis vingt ans, ce sont toujours les mêmes problèmes, les mêmes difficultés… Finalement, pas grand-chose ne change, et c’est malheureux pour notre sport. »
La principale difficulté, c’est que chacun travaille dans son coin en pensant être le meilleur. Il faudrait davantage de modestie, accepter un regard extérieur, des visions différentes, et surtout la contradiction, car c’est elle qui permet de progresser.
Quant à savoir si la Fédération est responsable, il estime que le problème est plus global : « C’est à tous les niveaux. Au début des années 2000, nous faisions jeu égal avec les Suisses. Eux se sont posé les bonnes questions et ont pris une direction totalement différente, tout comme le Danemark. Je trouve dommage qu’on ne parvienne pas à faire de même alors que nous avons désormais des structures intéressantes et un nombre de licenciés honorable par rapport à d’autres nations du top mondial. Mais nous avons encore du mal à avancer. » Les résultats du dernier championnat du monde avec la Suisse finaliste, le Danemark demi-finaliste et la France reléguée ne peut qu’appuyer les propos de Benoît Bachelet.
La transmission, au-delà du sport
Sur un plan plus personnel, il veille à ne pas interférer dans le parcours hockeyistique de son fils Matias : « Je ne m’implique pas dans l’aspect hockey car je ne pense pas que cela fasse partie des relations que l’on doit avoir avec ses enfants. En revanche, je suis très heureux d’en parler avec lui et de partager cela. Mon rôle de parent, c’est d’inculquer les valeurs qui me semblent importantes. »
Capitaine emblématique des Brûleurs de Loups, deux fois champion de France, international avec les Bleus, docteur en droit et diplômé de l’École nationale de la magistrature… le parcours de Benoît Bachelet force le respect et illustre une reconversion hors norme.
Illustrations par Philippe Crouzet et Thierry Frechon
Notes :
Entretien réalisé par l’auteur le 16 mars 2025.
L’auteur remercie Benoît Bachelet pour le temps accordé, Romain Bachelet pour la mise en relation et Josselin Giret pour la relecture.