Pour la première fois depuis 2004, les Maple Leafs de Toronto ont remporté une série. Pourtant, loin de faire avancer l’équipe, cette édition 2022-2023 se transforme sous nos yeux en implosion totale.
Lorsque Nick Cousins enterre les espoirs de Toronto, en prolongation du match 5 contre les Panthers, cette défaite au deuxième tour enclenche une mécanique d’autodestruction spectaculaire.
À peine quelques jours après cet échec, le manager général Kyle Dubas s’est vu montrer la porte de sortie, après des conférences de presse d’une franchise déconcertante.
À Toronto, on ne fait rien de simple, et l’ère du président Brendan Shanahan, en poste depuis 2014 n’échappe pas aux pires années. L’impression que, finalement, personne ne sait quoi faire. Que des décisions sont prises abruptement, effaçant des années de travail. Bref, quel est le plan, maintenant ?
Un bilan en demi-teinte
Le bilan de Kyle Dubas est bon, mais pas décisif. Cinq saisons, plus de 200 victoires, des saisons à plus de 100 points… Toronto n’a jamais eu de mal à se qualifier en playoffs, mais la mécanique s’est toujours enrayée quand les enjeux ont augmenté.
En 2019, l’équipe échoue au match 7 contre Boston, après avoir mené la série 3-2. Dans la « bulle Covid » de 2020, les Leafs se font sortir dès le tour préliminaire par Columbus, 3-2, blanchis au match décisif. En 2021, c’est Montréal qui renverse la table. Menant 3-1, Toronto gaspille cette avance avec deux défaites en prolongations et un match 7 transparent, une nouvelle fois blanchi. Puis, en 2022, Tampa Bay, mené 3 victoires à 2, remonte la série à son tour avant de gagner le match 7 sur la glace des Leafs.
La saison 2022-2023 a vu Toronto tellement se concentrer sur le duel contre Tampa Bay, connu quasiment dès novembre, et y investir tellement – échanges de Ryan O’Reilly entre autres à la deadline – que l’équipe est presque surprise de gagner trois overtimes et de sortir le triple finaliste. La série de défaites au premier tour, qui datait de 2004, enfin interrompue, l’équipe est passée à côté du deuxième tour contre Florida. Comme si les joueurs avaient déjà gagné leur finale. Le « we want Florida! » clamé par les fans leur est revenu en pleine figure…
L’ère Dubas est donc un échec sportif. Le jeune GM (38 ans) féru de statistiques avancées a monté une équipe de qualité, mais à la faiblesse mentale chronique.
Des conférences de presse étonnantes
En fin de contrat, il explique dans une conférence de presse vouloir prendre le temps de la décision et passer du temps avec sa famille. Unanimement reconnu pour ses qualités humaines, Dubas est apprécié de tous. Son émotion au podium est lisible. On sent à quel point il tient à ce club, lui le natif de l’Ontario. Et sa volonté de réfléchir n’est-elle pas naturelle après plusieurs années à la barre de la franchise la plus médiatique ? Après tout, on l’autorise aux joueurs…
Deux jours plus tard, il est pourtant lâché par Shanahan dans une contre-conférence de presse. Le président y explique avoir déconseillé à Dubas de faire cette conférence de presse. Lui avoir offert une prolongation de contrat généreuse, avant de faire machine arrière en ne le sentant pas assez « motivé » après ces déclarations. Des semaines de négociations, d’offres et de contre-offres, balayées par une conférence de presse ?
On peut s’interroger sur les motivations de ce choix. Financières, humaines ? Pourquoi ce changement de plan de la part de Shanahan ? Pourquoi ces réticences de Dubas à prolonger ? Famille, conflit, absence de liberté de choix face à son président ? On ne le saura peut-être jamais.
La conférence de presse de Shanahan a été d’une minutie surprenante. Un rappel presque jour par jour des négociations, un luxe de détails inédit dans ce genre d’exercice. Derrière, les trois coachs des Marlies (AHL), eux aussi balayés en playoffs, sont évincés, et l’assistant du manager général Jason Spezza démissionne : très proche de Dubas, l’ancien NHLer ne semble pas apprécier le changement de direction. Les rumeurs d’animosité entre le président et son manager général font surface, Shanahan ayant bloqué des transactions voulues par Dubas.
Plusieurs sources au sein de l’organisation comparent la situation au club comme un « Game of thrones », entre partisans de Dubas et opposants. Une ambiance délétère, dans une franchise privée de titre depuis 1967, et qui avait tant investi cette année encore.
Des rumeurs font état de discussions entre Shanahan et Gary Bettman : l’ex-attaquant aurait demandé des conseils au commissionnaire pour choisir le remplaçant, à la recherche d’un homme d’expérience… Le retour du « old boys club », de cet entre-soi où GM et entraîneurs passent d’un club à l’autre au fil des ans, sans jamais être réellement comptables de leurs incompétences.
La fin d’une époque ?
L’ère Dubas s’achève donc, et l’état de l’effectif accentue une impression de fin d’époque, celle du « Core Four ».
Toronto a en effet massivement investi sur quatre attaquants. Le capitaine John Tavares, 11 millions de dollars, est âgé de 32 ans et est sous contrat jusqu’en 2024-2025. Même date pour Mitch Marner, 26 ans, 10,9 millions. S’y ajoutent la figure de proue Auston Matthews, 11,6 millions jusqu’en 2023-2024, 25 ans ; et William Nylander, 27 ans, 6,9 millions lui aussi jusqu’en 2023-2024.
Que faire des prochains contrats de ces joueurs ? Faut-il sacrifier l’un de ces attaquants pour des profils plus « visibles » en playoffs ? La tendance du quatuor à disparaître dans les matchs clés est fortement critiquée par les fans, pas toujours à raison, surtout cette année – Marner, très critiqué, a un meilleur bilan en playoffs en carrière que Matt Tkachuk, encensé par la critique. Mais lorsque ces supporters voient ce dernier aussi décisif, ils ont raison de vouloir que les meilleurs joueurs des Leafs répondent eux aussi présents dans les matchs-clés, quand bien même l’ancien Flames n’avait jamais brillé en phases finales dans l’Alberta…
Toronto est à la croisée des chemins. Le GM parti, son remplaçant devra gérer le dossier de ses quatre attaquants, mais aussi d’un effectif où la moitié des joueurs est en fin de contrat.
Kerfoot, O’Reilly, Bunting, Kämpf, Acciari, Simmonds, Aston-Reese en attaque ; Holl, Schenn, Gustafsson en défense, ont peut-être porté pour la dernière fois le maillot des Leafs.
Il ne reste que 7 attaquants sous contrat, une poignée de défenseurs, et deux gardiens qui n’ont pas tenu la distance. Matt Murray, 4,6 millions jusqu’en 2023-2024, a passé la moitié de l’année à l’infirmerie. Ilya Samsonov, 1,8 millions, a joué le numéro 1 mais ses résultats en phase finale restent décevants.
Reste aussi le problème Sheldon Keefe : l’entraîneur, arrivé en 2018-2019 lorsque Mike Babcock est évincé pour son management brutal, sera-t-il conservé, alors qu’il lui reste un de contrat ? Le club continue de payer une somme rondelette à Babcock, en indemnités, et les propriétaires (Maple Leaf Sports & Entertainment) n’ont peut-être pas envie de payer encore dans le vide.
MLSE, le coeur du problème ?
Maple Leaf Sports & Entertainment est le conglomérat à la tête du club. Une entité monstre, qui regroupe, outre les Maple Leafs, les Raptors en NBA, les Argonauts en football, le Toronto FC en soccer, les Marlies en AHL. On y trouve aussi des chaînes de télévision.
Le groupe appartient à 37,5% à Bell, l’opérateur téléphonique, et à 37,5% à Rogers, le géant des médias. L’homme d’affaire Larry Tanenbaum en détient 25% par le biais de la holding Kilmer sports.
Le problème, c’est que le dirigeant Tim Leiweke, CEO du groupe et architecte du succès des différentes franchises, est parti en 2015. Le départ de Leiweke a, selon certains, sonné le glas de la « culture » d’équipe, dans toutes les franchises, et introduit les désaccords entre Bell et Rogers au cœur du management de l’équipe des Leafs. Son successeur, Michael Friisdahl, un ancien de l’aéronautique, aura dirigé les choses de 2017 à 2022. Et depuis janvier 2022, il n’y a plus de CEO, plus de relais entre Shanahan et le « board », ce groupe d’actionnaires de MLSE.
Autrement dit, toute décision de Kyle Dubas – signature de contrat, négociations pour un échange de joueurs – devait être validée par Shanahan, puis par le board. Certains évoquent la frustration du manager général qui avait un échange pour un défenseur – sans doute Jakob Chychrun – et les validations en haut lieu ont tant trainé que le joueur s’est retrouvé chez un concurrent, Ottawa. On peut comprendre que Dubas souhaitait plus de pouvoir décisionnel afin d’accélérer les transactions. Mais les envies divergentes de Bell et Rogers ont continué de peser. Et les deux sociétés n’ont plus d’interface, d’interlocuteur qui serve de bouclier entre le sportif et les actionnaires.
La situation des Leafs fait écho à celle du Toronto FC en soccer, où les actionnaires mettent beaucoup trop le nez dans les affaires du club, au point que celui-ci est dans une situation catastrophique depuis deux ans – 13e sur 14 équipes dans la conférence !
Dubas à Pittsburgh, Treliving à Toronto
Les noms se sont accumulés. Brandon Pridham, le spécialiste du salary cap, assurait l’intérim. Les assistants de Dubas, Ryan Hardy, Darryl Metcalf, Hayley Wickenheiser étaient sans doute vus trop proches de l’ancien régime. Leur avenir au club est inconnu.
Finalement, Brad Treliving, ancien dirigeant de Calgary, a été choisi et appointé le 2 juin à la tête des Maple Leafs. Ancien défenseur professionnel, Treliving a dirigé Calgary de 2014 à avril 2023 et son bilan est discutable : quatre saisons hors des playoffs sur neuf, cinq défaites dès le premier tour. Et un échange majeur : obtenir Jonathan Huberdeau et Mackenzie Weegar contre Matthew Tkachuk, qui avait des envies d’ailleurs… tout comme Johnny Gaudreau, parti en agent libre.
Il arrive avec une réputation positive, consensuel… bref, son recrutement fait figure de geste apaisant, mais on peut se demander en quoi Treliving est une amélioration sur Kyle Dubas. Le choix de Shanahan semble presque un choix par défaut, traditionnel, rassurant. Mais quel est le plan ?
On a même évoqué un retour de Joel Quenneville en tant que coach, un retour qui devrait être « accepté » par Gary Bettman, car le coach d’expérience a été écarté de la ligue suite à l’affaire de viol étouffée aux Blackhawks de Chicago en 2015. Il est peu probable que cela se produise, et Keefe devrait diriger l’équipe quelques mois de plus…
L’intersaison s’annonce mouvementée dans l’Ontario. Et les Leafs ne peuvent accuser personne d’autre qu’eux-mêmes de cette situation ubuesque. Treliving a une feuille de route très basique : flatter le plus possible Auston Matthews pour éviter le départ de l’icone du club, de la face de la franchise – et dont le nom rapporte des millions au club en merchandising… Car Matthews n’a pas caché ses doutes suite au départ de Dubas, un homme qu’il appréciait beaucoup…
Quant à Dubas, il n’aura pas traîné. Immédiatement contacté par les Pittsburgh Penguins, il a accepté leur offre pour devenir non pas manager général, mais « président des opérations hockey ». En somme, le niveau de pouvoir qu’il souhaitait avoir à Toronto. En parallèle, il est sous enquête du syndicat des joueurs, la NHLPA, car son agent fait partie de la même agence, Wasserman, que… l’agent d’Auston Matthews. La NHLPA vérifie donc un éventuel conflit d’intérêt !
Les prochains choix de Toronto en diront long sur la direction voulue par Shanahan. Car la division Atlantique s’annonce de plus en plus forte. Tampa Bay est toujours là. Boston a remporté le trophée du président. Florida a eu ce trophée l’an dernier et brille en playoffs cette année. Buffalo a manqué la qualification d’un cheveu avec un effectif très jeune et prometteur. Detroit et Ottawa ne sont plus très loin. Montréal accumule des pièces de qualité et remontera vite la pente.
Le temps des Leafs est-il déjà révolu ? L’ère Matthews, qui n’a que 25 ans, est-elle déjà finie ?