Dernier volet du bilan de la saison de KHL 2022/23 pour boucler les champîonnats 2022/23. Derrière le nouveau rideau de fer, quelques-unes des plus grandes légendes de l’histoire du hockey sur glace se taillent une nouvelle réputation en tant qu’entraîneurs.
CSKA Moscou (1er) : les spécialistes du septième match
Cette deuxième saison de Sergei Fedorov à la tête du CSKA, avec des adjoints différents, devait être l’heure de vérité pour le jeune entraîneur. Elle aurait pu détruire sa renommée si elle s’était achevée au premier tour de play-offs par une élimination contre le petit Severstal. C’est passé tout près, avec deux buts de retard au septième match.
Les coupables auraient été tout trouvés : les gardiens. Après le titre 2022 obtenu avec Ivan Fedotov (tombé dans l’oubli après avoir été envoyé au service militaire pour l’empêcher de partir en NHL), Fedorov a d’abord essayé de rééditer le même coup avec un gardien russe, Aleksandr Sharychenkov, mais celui-ci a vite montré ses limites en concédant trois égalisations au troisième match. Le Suédois Adam Reideborn a alors obtenu sa chance en troisième période, mais lui non plus n’a pas été impérial. Les buts décisifs dans ce match 3 puis au match 6 n’étaient pas imparables et un palet dévié dans l’axe aurait pu être fatal au match 7. Ses coéquipiers l’ont sauvé en renversant la rencontre.
Au tour suivant face au Lokomotiv, le CSKA a gagné tous ses matches avec moins de lancers cadrés que son adversaire et plus personne n’a parlé d’un problème de gardiens. Ce ne furent que compliments pour la maîtrise tactique de Fedorov : en prenant le meilleur dans ce duel contre son prédécesseur Igor Nikitin, il prouvait définitivement qu’il n’avait pas « juste » hérité de systèmes en place et d’une équipe toute faite. Les Moscovites ont dégoûté tous leurs adversaires. Dominer aux tirs ne suffit pas pour les battre. Dominer aux mises en échec en essayant d’imposer un défi physique, comme le SKA s’y est aussi essayé, non plus. Sûr de lui en défense, redoutable pour punir les erreurs adverses, notamment avec un Mikhaïl Grigorenko impérial en playoffs, le CSKA a fait preuve d’une grande adaptation tactique car Fedorov alternait entre plusieurs systèmes. Au match 7 de la finale contre Kazan, son équipe a joué un hockey audacieux et conquérant pour remporter la Coupe Gagarine avec l’art et la manière.
C’est la cinquième fois en deux ans que le CSKA entraîné par Sergei Fedorov remporte un septième match ! Une performance inédite dans l’histoire du hockey qui place définitivement Fedorov dans la légende. Avec cinq finales de suite (sans compter les playoffs 2020 interrompus par la pandémie de Covid alors que l’armada rouge et bleue était dominante), la dynastie du club mythique du hockey russe ne semble pas vouloir s’arrêter.
Ak Bars Kazan (2e) : l’entraîneur retraité ramène le calme
Ak Bars Kazan a constitué le contingent le plus riche en stars de la KHL, et l’a confié à l’entraîneur qui était encore le plus respecté par les joueurs russes, Oleg Znarok. Sans son habituel adjoint tacticien Harijs Vitolinš (qui deviendrait en mai un héros national en conduisant la Lettonie à une médaille), l’ancien sélectionneur n’a pas tardé à lézarder sa réputation. Le hockey plus besogneux qu’il avait introduit dans la ligue est pratiqué par tout le monde aujourd’hui, et Znarok n’avait plus rien à proposer. Son équipe dotée en théorie des meilleurs créateurs a attendu le neuvième match pour mettre un but en avantage numérique. Elle a même établi un anti-record historique du club tatar en concédant six défaites d’affilée.
Et les qualités de meneur d’hommes du grognon Znarok ? Il a bizarrement choisi de déléguer son rôle, en quelque sorte, en faisant monter dans le bus d’équipe un supporter pour qu’il tienne un discours de remotivation à renfort de phrases creuses dans le fond mais percutantes dans la forme. Les stars, elles, étaient aux abonnés absents. Vadim Shipachyov, de loin le meilleur marqueur de la ligue la saison précédente au sein du Dynamo Moscou, a été testé avec divers partenaires. Znarok l’a même essayé à l’aile en raison de sa faiblesse aux mises au jeu. Rien à faire, Shipachyov ne pointe guère et ne provoque même plus de fautes adverses, preuve qu’il n’a plus de temps d’avance malgré son intelligence de jeu. Il est le symbole d’une équipe hors de forme, qui ne gagne pas en fraîcheur quand le staff ne lui accorde aucun jour de repos par volonté punitive.
Comme la série noire se poursuit en octobre avec 9 défaites en 10 matches, Znarok choisit de faire un exemple : il écarte provisoirement de l’équipe la recrue-phare Aleksandr Radulov, le plus gros salaire mais aussi le plus gros caractère de la ligue. Celui-ci ne digère pas la sanction et s’épanche dans une interview : il crie à l’injustice et sous-entend que d’autres commettent des erreurs individuelles sans être sanctionnés. Piqué dans son orgueil, Radulov signe un hat-trick dans le match au sommet contre le SKA en novembre, une victoire dont on dit qu’elle sauve la tête du coach… provisoirement. Le vétéran de Kazan, le fidèle Aleksandr Burmistrov, décide de se faire le porte-parole des mécontents et récite ses griefs envers Znarok, à l’hôtel devant les directeurs du club. La mise à l’écart de Burmistrov (ultérieurement échangé à Magnitogorsk) ne peut masquer que la situation est intenable.
Znarok remet sa démission le 2 décembre. Humiliation supplémentaire, il est remplacé par l’homme à qui il avait succédé à la tête de l’équipe de Russie (après l’échec olympique de Sotchi), Zinetula Bilyaletdinov. On le pensait à la retraite, il n’avait plus entraîné activement depuis trois ans et se contentait d’un rôle tranquille de conseiller, mais l’ancien défenseur de la grande équipe d’URSS s’est remis au travail à 68 ans. Et soudain, Ak Bars a joué au niveau attendu. Bilyaletdinov a nettement amélioré le jeu défensif, sa spécialité. Il a aussi aplani la discorde dans le vestiaire avec des exigences valables pour tous, au lieu de régler séparément et successivement les problèmes individuels.
L’attaque retrouve son équilibre. Radulov est uni avec deux jeunes joueurs de grand gabarit, Dmitri Voronkov (22 ans) et le centre Ilya Safonov (21 ans), le nouvel homme en forme. Shipachyov était aligné avec Dmitri Kagarlitsky – déjà son partenaire il y a deux saisons au Dynamo – et le vétéran du club Kirill Petrov. Cela signifiait que Stanislav Galiev, l’autre recrue du Dynamo, n’avait plus sa place sur les deux premières lignes, mais il se rattrapait en avantage numérique. Si mal parti, le powerplay de Kazan devenait le deuxième de la KHL, alors que l’entraîneur-adjoint chargé de ce secteur – Yuri Babenko – était le même sous Znarok et sous Bilyaletdinov.
La résurrection des Tatars après le changement d’entraîneur est si spectaculaire que la panthère blanche termine première de la Conférence Est. Elle marque aussi son territoire en play-offs en se qualifiant en finale, menée par l’éternel Aleksandr Radulov. Le capitaine continue de monopoliser l’attention à chaque présence par son engagement total, adoré de ses supporters mais insupportable pour les fans adverses, et encore plus pour les arbitres qu’il ne cesse de harceler. Quand Ak Bars est mené 3 manches à 1 contre le CSKA en finale, c’est la chronique d’une défaite annoncée. Les revendeurs vendent les billets du match 5 en dessous du prix normal (1800 roubles) car ils ne trouvent pas preneur. Au match 7, on a proposé des tickets jusqu’à 100 000 roubles (plus de 1000 euros) au marché noir… L’intérêt du public a varié presque aussi vite que le niveau de jeu de Kazan après le changement de coach. Mais malgré l’avantage de la glace, Ak Bars s’est incliné à son tour face à un CSKA toujours impérial quand vient le septième match.
SKA Saint-Pétersbourg (3e) : en mal de leadership
Malgré le départ de ses cinq meilleurs marqueurs à l’intersaison, le SKA Saint-Pétersbourg a été immédiatement performant. Il a remporté 16 de ses 17 premiers matches (sa seule défaite étant survenue aux tirs au but) et a vite imposé sa domination sur la saison régulière. La rotation permanente des lignes se réduisait, et malheur à celui qui ne trouvait pas sa place, comme l’arrière canadien Alex Grant, longtemps remplaçant puis envoyé au Barys. L’équipe devenait ainsi 100% russophone. Il était superflu car Aleksandr Nikishin, acquis à l’intersaison du Spartak contre 9 joueurs anonymes et un gros paquet de roubles, était déjà le meilleur défenseur de KHL à seulement 21 ans.
Si la défense du SKA était la meilleure de la ligue, c’est aussi parce que Dmitri Nikolayev, natif de Saint-Pétersbourg passé par toute la pyramide de développement du club, tenait des performances stratosphériques dans les cages (94,4% d’arrêts) pour sa toute première saison pleine en KHL. Il était à cet instant le meilleur gardien de la ligue, mais lui conférer ce statut après seulement deux mois d’expérience était un peu précipité. Pourtant, le SKA n’hésitait pas à faire un autre échange « 2 contre 1 » en envoyant son portier le plus expérimenté Samonov – qui a déjà joué un championnat du monde – plus le défenseur Pylenkov au Severstal contre Vladislav Podyapolsky. Il se retrouvait ainsi avec deux gardiens n’ayant jamais gagné une série de play-offs. Pas forcément le casting idéal.
La nouvelle philosophie affichée par l’entraîneur fils d’oligarque Roman Rotenberg cette saison, c’était de n’avoir que des joueurs polyvalents, capables de jouer en supériorité et en infériorité numérique. Le seul pur technicien était le petit Damir Zhafyarov, un créateur de jeu agile aux mains rapides. Mais début novembre, le club finissait par réengager son ancien joueur Nikita Gusev, qui n’avait trouvé aucun club. Plus très rapide, peu adepte du jeu physique, le sauveur de la Russie (et du manager d’équipe qui était… Rotenberg) en finale olympique 2018 contre l‘Allemagne ne semblait plus correspondre au concept. Gusev pointait comme aucun autre joueur, mais déjà son coach l’écartait pendant trois rencontres en saison régulière. Explication officielle, c’était juste pour le reposer car le système est physiquement très exigeant. Mais quand il fut sorti de l’équipe lors de la finale de conférence contre le CSKA, plus aucun doute : Gusev était définitivement en disgrâce.
Le problème est qu’il n’a pas le seul à avoir montré ses limites dans ces onze jours de vérité face à l’adversaire numéro 1. Le meilleur marqueur de la saison régulière Dmitrij Jaškin – qui jouait blessé – et le meilleur marqueur de SKA en play-offs Marat Khairullin n’ont mis qu’un point lors de cette série. Zhafyarov a dû quitter le combat après une blessure musculaire dans un duel. Même s’il a pu compter sur 21 buteurs différents au cours des play-offs, le SKA n’avait plus aucun leader pour mener l’assaut face au rival moscovite.
Il faut remonter à 2017 pour trouver trace d’une qualification du SKA en finale. C’est maigre pour le club le plus puissant du pays, celui des amis du pouvoir. Il fait un complexe durable face au CSKA. Après l’élimination, Rotenberg a dit qu’il fallait « attendre que la fenêtre du championnat se referme pour le CSKA ». Une déclaration critiquée car elle ne traduit pas la volonté de travailler d’abord sur soi. Et si la fenêtre claquait d’abord sur le nez du SKA ? En fin de saison, il a annoncé qu’il devait se séparer de Jaškin (son capitaine et buteur qui voulait rester) et de Zhafyarov (en dépit de sa seconde année de contrat) pour rester dans les clous de la masse salariale. Cela ne traduit pas un grand sens de l’anticipation alors que ces deux joueurs ont été recrutés l’an dernier…
Le SKA a finalement obtenu son plus grand succès dans un vote de la KHL. Juste après son élimination, il a réussi à faire passer le passage à des play-offs croisés. À partir du deuxième tour, les clubs de l’Ouest et de l’Est ne joueront plus chacun de leur côté. 15 des 23 équipes ont voté pour ce nouveau règlement, qui semble avoir un bénéficiaire majeur. Le SKA ne sera plus obligé de croiser forcément la route du CSKA avant la finale. Mais s’il y a un duel au sommet pour la Coupe Gagarine entre les deux clubs les plus puissants, le vainqueur sera-t-il différent qu’au tour précédent ?
Avangard Omsk (4e) : l’équipe rentre à la maison, les dirigeants partent
Après des années d’exil en raison des défauts de construction de sa patinoire presque neuve, l’Avangard Omsk est rentré dans sa toute nouvelle maison, baptisée G-Drive Arena. Elle a utilisé pour modèle l’aréna de Las Vegas, et le rêve du club était d’ailleurs de l’inaugurer par un match de gala contre les Vegas Golden Knights. Ce projet est devenu impossible dans le contexte politique, mais les 11 767 places se sont quand même arrachées pour l’inauguration contre le Sibir et un tirage au sort en ligne a été organisé pour déterminer les heureux élus. Mais au moment de ce match, le 1er octobre, l’Avangard avait déjà joué 12 rencontres à l’extérieur, et en avait perdu 8.
Le siège de l’entraîneur Dmitri Ryabykin vacillait donc. Outre l’enchaînement des déplacements qui ne permettait pas de s’entraîner et faisait perdre le système de jeu, celui-ci avait comme excuse la blessure du centre numéro 1 Corban Knight, dont l’absence pendant 8 matches handicapait lourdement l’équipe aux mises au jeu. Il pointait aussi la méforme de la recrue majeure Vladimir Tkachyov, et les difficultés d’Arseni Gritsyuk. Selon son coach, ces dernières étaient d’ordre psychologique : Gritsyuk peinait à gérer les attentes autour de sa personne après les Jeux olympiques (pénalty gagnant en demi-finale contre la Suède) puis les affiches à son effigie placardées dans toute la ville pour vendre le retour de l’Avangard à Omsk. Mais après une défaite 0-4 contre Kunlun, plus aucune excuse ne passait et Ryabykin a été renvoyé. Il a ensuite établi un record inédit dont il se serait bien passé en étant renvoyé deux fois la même saison, une comme entraîneur-chef puis une comme adjoint (à Magnitogorsk). Il a montré des lacunes en relations humaines, son autoritarisme n’étant pas convaincant.
Lorsque Mikhaïl Kravets a repris en mains l’équipe, Tkachyov et Gritsyuk ont tout de suite retrouvé leur meilleur niveau et tout allait pour le mieux. Mais alors que l’Avangard était dans une série de 7 victoires, le manager Aleksei Volkov remettait sa démission. Il expliquait qu’il n’avait pas de pouvoir décisionnel (Ryabykin ayant été nommé contre son avis) et que chacun de ses choix pouvait être remis en cause par un « comité de sélection » qui mettait trop de temps à se décider et ratait des opportunités. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Volkov, c’est le veto mis au recrutement d’un gardien étranger (il avait des contrats prêts avec Julius Hudacek puis avec Brandon Maxwell) alors que le second gardien Stanislav Galimov était blessé. Selon lui, c’était la dernière chance avant que le marché ne se referme.
Pour éteindre la mèche après les déclarations de Volkov, le président du club Aleksandr Krylov convoquait une conférence de presse où il déclarait ne pas s’immiscer dans les affaires sportives… puis se contredisait lui-même en soulignant combien il avait participé à chaque décision. Krylov nommait comme manager son conseiller Rashid Khabibulin, un des membres du comité de sélection qui a un profil très différent. Il n’a pas joué au hockey, il n’a jamais regardé des vidéos de match de candidats potentiels comme le faisait Volkov pendant des heures, mais il a une longue expérience dans de nombreux clubs et a un « grand cercle social » (selon ses propres mots) qui le renseigne même à l’étranger. Mais dans ce cercle social, Khabibulin a très vite rencontré un point dur, l’agent peu commode Shumi Babaïev. Or, seuls 3 joueurs de l’effectif étaient sous contrat pour la saison suivante (2023/24).
Sportivement, l’Avangard a redressé la situation. Kravets s’est imposé sur le banc au-delà d’un simple intérim. Il a mené Omsk jusqu’en finale de conférence Est, grâce à un excellent powerplay (30% en play-offs) et à des défenseurs qui bloquaient un maximum de tirs (Damir Sharipzyanov et Aleksei Bereglazov). Même sans concurrent étranger, le gardien Vassili Demchenko gérait parfaitement la situation comme seul titulaire en playoffs. Le top-6 offensif était excellent. Le trio Tkachyov-Knight-Boucher était le meilleur de la ligue, et la deuxième ligne trouvait son équilibre car le centre Alex Broadhurst arrivait à compléter par son travail défensif des joueurs plus techniques que lui, Gritsyuk et l’énergique Sergei Tolchinsky. Mais l’Avangard n’a réussi à négocier une prolongation avec aucun des trois ailiers russes de ce top-6 (Tkachyov, Gristyuk et Tolchinsky), tous sous contrat avec Babaïev. Sachant que les étrangers seront réduits de 5 à 3, l’avenir immédiat peut être plus compliqué.
Aleksandr Krylov a donc choisi son moment pour… annoncer à son tour son départ. En cinq ans, le dirigeant omniprésent de l’équipe de course automobile G-Drive aura apporté un titre à l’Avangard (en 2021) et ramené l’équipe chez elle à Omsk. Il part en quelque sorte en pleine gloire.
Lokomotiv Yaroslavl (5e) : si classique qu’il n’est plus moderne
L’Arena 2000 de Yaroslavl – ouverte en 2001 puisqu’elle avait raté le coche du Mondial 2000 – a aujourd’hui enregistré sa plus faible affluence en 22 ans d’existence (sans compter les années où s’appliquaient des restrictions sanitaires), en dessous de 5500 spectateurs. À la pointe de la modernité au début du siècle, le Lokomotiv n’évolue plus avec son temps. Sa communication convenue et répétitive ne crée jamais l’évènement, elle ne cherche pas à intéresser les jeunes.
La presse russe en rend responsable Yuri Yakovlev. Autrefois symbole d’un esprit d’ouverture, le président du Lokomotiv s’est complètement renfermé, surtout depuis le dramatique accident d’avion de 2011. Il ne parle plus à la presse et n’est plus connu que comme un consommateur compulsif d’entraîneurs jetables. Mais lorsqu’il se disait qu’Ak Bars en crise courtisait son entraîneur Igor Nikitin en décembre, Yakovlev n’a pas hésité à prolonger de deux ans, jusqu’en 2025, le contrat de son coach qui arrivait à échéance en fin de saison. Nikitin a ramené de la stabilité à Yaroslavl avec son hockey physique et un système classique en 1-3-1 dans le jeu sans palet.
Le joueur-symbole de Nikitin est son capitaine Sergei Andronov, qui l’était déjà au CSKA et l’a suivi avec un an d’écart. Incarnation du centre défensif, Andronov a été flanqué en quatrième ligne de deux ailiers jeunes et puissants formés à Yaroslavl, Daniil Tesanov et Maksim Beryohkin. Auteur d’un seul but en saison régulière, Tesanov avait perdu confiance après une blessure fin septembre mais a mis 3 buts au 3 premiers matches de play-offs (avant de disparaître de nouveau). Beryozkin a inscrit en avantage numérique le seul but du match 5 contre le CSKA (1-0) alors que le Loko était au bord de l’élimination. Ils perpétuent ainsi les deux caractéristiques intangibles du club : l’homogénéité entre les lignes et la confiance durable envers les joueurs formés au club.
Ce sont les joueurs techniques qui ont été décisifs dans les autres succès face au CSKA : Ivan Chekhovich par un triplé au match 3, Aleksandr Polunin par une action individuelle en sortant du banc au match 6. Néanmoins, Nikitin a surtout retenu le rôle essentiel du jeu physique, et il a substitué Chekhovich par un attaquant défensif supplémentaire, Artyom Ilenko, pour le match 7. Objectif : tenir le choc. Mais dans ce défi de la puissance, le CSKA restait plus fort, dominant dès le début dans les duels : 2-0 en dix minutes, obligeant Nikitin à prendre son temps mort, 5-0 au final. Le Lokomotiv se consolera en se disant qu’il n’est pas le seul à avoir perdu un match 7 face au CSKA. C’est peut-être même moins frustrant avec un scénario si vite plié ainsi qu’en y ayant cru jusqu’au bout…
Torpedo Nijni Novgorod (6e) : le professeur entraîne enfin à 62 ans
Qu’Igor Larionov puisse devenir un grand entraîneur n’est en soi pas surprenant. Quand un joueur a été surnommé « Le Professeur », c’est qu’il a certainement matière à enseigner des stratégies. On peut juste regretter qu’il ait si longtemps refusé de prendre un poste à responsabilité. L’ex-agent de joueur a attendu l’âge de 62 ans pour se mettre derrière le banc d’un club. Pour une première, ce fut une réussite totale. Le Torpedo fut l’équipe la plus intéressante de KHL : un jeu de mouvement et de possession qui a rendu l’amour du hockey à Nijni Novgorod, et même au-delà en Russie.
Larionov s’est appuyé avant tout sur des joueurs jeunes et rapides, évinçant ceux qui ne correspondaient pas au profil (un Ziat Paygin échangé à Omsk car jugé trop lent dans ses relances). Kirill Voronin était le troisième attaquant le plus âgé à seulement 28 ans, mais il a été engagé par que sa vitesse de patinage était réputée la plus élevée de KHL. On ne le voyait pas forcément atteindre 29 points, mais cette belle performance n’est rien à côté d’Aleksei Kruchinin. Le doyen offensif (31 ans), pris simplement à l’essai parce qu’il peinait à retrouver une place, a inscrit 52 points, plus du double de ses meilleures statistiques antérieures. C’est évidemment dû à son entraîneur… qui l’a aligné au centre alors qu’il avait passé la quasi-totalité de sa carrière à l’aile. Il fallait que ce soit un des meilleurs centres de l’histoire du hockey qui découvre en lui une vocation durable à ce poste !
Tous ont été magnifiés dans le jeu de Larionov… même son fils ! Igor Larionov junior laissait sceptique, et il a été embauché au salaire minimum. Il a donc été le meilleur rapport qualité/prix de la ligue puisqu’il a inscrit 31 points en 40 matches avec les playoffs ! Son seul défaut est d’avoir – encore – été souvent blessé, mais sa vision du jeu a de qui tenir. Autre « fils de », Nikolai Kovalenko (rejeton d’Andrei) a été la plus belle acquisition de l’intersaison : il a explosé pour sa quatrième saison professionnelle au point de devenir le meilleur marqueur du club.
Même progression incroyable pour Sergei Goncharuk, lui aussi âgé de 23 ans. Lui était déjà au Torpedo, mais il semblait destiné à une carrière de spécialiste d’infériorité numérique, là aussi par sa vitesse qui lui permettait de filer en contre-attaque en cas d’interception. Mais il aspirait à autre chose, et Larionov lui a confié un tout autre rôle, y compris en avantage numérique où son lancer a été redoutable. Goncharuk a mis 30 buts en incluant les play-offs, contre 16 dans ses trois premières années professionnelles cumulées. Le Torpedo a augmenté son salaire en rallongeant son contrat en cours de saison. Une initiative qui avait deux objectifs : prolonger ses jeunes révélations avant qu’on les pique, mais aussi réussir à atteindre le plancher salarial ! Comme les jeunes ne comptent pas dans le calcul, cela a gêné le club de Nijni Novgorod à la faible moyenne d’âge.
La même stratégie de prolongation/augmentation avait été entreprise dès le mois de septembre avec le gardien biélorusse Ivan Kulbakov, auteur d’un excellent début de saison alors qu’il n’avait été pris qu’à l’essai. Il a dominé l’autre gardien (l’international slovaque Adam Huska) et a été seul titulaire en playoffs. On craignait que l’inexpérience n’y rattrape le Torpedo, mais sa belle histoire s’est poursuivie même sans ses étrangers (l’attaquant américain de 30 ans Kenny Agostino était blessé de longue durée). Les jeunes joueurs de Nijni Novgorod ont éliminé le Dynamo en remportant trois victoires en prolongation à la suite, preuve qu’ils sont déjà capables de gérer les moments décisifs à leur âge. Et même s’ils n’ont pas gagné un match face au SKA vainqueur de saison régulière, ils sont sortis avec les honneurs en osant attaquer avec cran.
Metallurg Magnitogorsk (7e) : le joueur qui n’aime que la carotte
L’attaquant technique Nikolai Goldobin a toujours été considéré comme un joueur lunatique, à la forme changeante. Meilleur marqueur du Metallurg Magnitogorsk la saison passée, il était si transparent au début du championnat qu’il s’est fait écarter de l’équipe pendant trois rencontres consécutives. Son coach Ilya Vorobyov a justifié sa décision ainsi : « Il joue comme un joueur ordinaire. Je crois qu’un joueur de ce niveau devrait mener l’équipe. S’il montre son niveau de l’an passé, il jouera. » L’agent du joueur a alors demandé un échange, mais les dirigeants ne voulaient pas le laisser filer quand sa cote s’abaissait. Et puis, juste après la trêve de décembre, Goldobin, qui n’avait plus marqué de but depuis octobre, a signé un hat-trick pour gagner chez le favori Kazan. La raison est simple : il avait été placé en première ligne avec Philippe Maillet – élu meilleur étranger de KHL à l’automne par un vote des managers – et Brendan Leipsic, le trio avec lequel il avait brillé lors des play-offs 2022. Goldobin ne réussit que s’il est mis dans de bonnes conditions. Ou comme le résumera Vorobyov : « on a manié la carotte et le bâton, mais la carotte fonctionne mieux avec Nikolaï ».
Ce n’est pas parce que le cas Goldobin était réglé que le Metallurg fonctionnait mieux dans son ensemble. Ses résultats après la trêve le faisaient glisser au classement. Il pouvait gagner deux fois à Kazan, mais aussi perdre contre une équipe de Sotchi qui restait sur 21 défaites d‘affilée. Un résultat qui a conduit les dirigeants à une menace : celle de recruter Dmitri Kvartalnov, apparemment le coach qui fait le plus peur aux joueurs de KHL. Rien de tel ne s’est passé. L’entraîneur Ilya Vorobyov est resté en place jusqu’à la fin de la saison et seul l’adjoint arrivé en octobre Dmitri Ryabykin a perdu sa place.
L’équipe manquait de fraîcheur et peut-être de sang neuf dans cette période hivernale au calendrier dense. Vorobyov faisait peu tourner l’effectif. L’intégration des jeunes était réduite à son strict minimum : un seul joueur de moins de 23 ans dans l’effectif, le junior réglementaire Danila Yurov. La politique du club était de prêter les autres espoirs là où ils joueraient plus. Même quand Eddie Pasquale, souvent vu comme le meilleur gardien de KHL, s’est fait remplacer deux fois en cours de match en play-offs, c’est par une doublure plus toute jeune, le presque quarantenaire Vasili Koshechkin.
Dans le derby de l’Oural au premier tour des play-offs, Magnitka s’est qualifié in extremis, sur un but en prolongation du match 7 signé… Goldobin ! Mais l’élimination fut vite consommée au tour suivant, en quatre manches sèches contre Omsk. En quatre années du second passage de Vorobyov, c’est la seconde fois que le Metallurg est éliminé à ce stade de la compétition face à l’Avangard. Également à son bilan, un échec au premier tour et une finale perdue, mais pas de titre comme l’année de ses débuts comme entraîneur-chef. Magnitogorsk n’a donc pas prolongé son contrat et a engagé à sa place une figure encore bien plus historique du club (comme joueur), l’entraîneur à sensation Andrei Razin.
Admiral Vladivostok (8e) : un blocus défensif efficace
L’Admiral Vladivostok a indubitablement tiré le meilleur d’un budget proche du minimum. L’entraîneur letton Leonids Tambijevs y est pour beaucoup car il a même pris sa part dans le recrutement. Il a fait engager son compatriote Nikolajs Jelisejevs (banni en Lettonie pour cette signature en Russie) et il est même allé à Ostrava, en Tchéquie, pour convaincre Libor Šulak – un des meilleurs défenseurs de la ligue – de rester en KHL. Tambijevs s’est adapté aux joueurs à sa disposition, il pratiquait moins de pressing car il n’avait pas l’effectif pour. Il mettait en place un bloc très compact et très difficile à écarter pour qu’il soit compliqué de rentrer dans le milieu de la glace. Rien d’innovant en soi, mais une méthode très efficace.
Il est certain que ce blocus défensif n’était pas le hockey le plus palpitant à regarder. Tambijevs n’est pas là pour plaire aux spectateurs, il l’a prouvé en échangeant fin novembre un chouchou du public (populaire à cause de son jeu très physique), Mark Verba. Celui-ci s’agaçait d’être à 0 point et n’aimait son rôle limité en quatrième ligne. Son coach attendait de lui un jeu simple et rien d’autre. Certains qualifient Tambijevs de tyran, lui se définit comme « exigeant ». Il semblait presque froid à force de trouver normal des résultats qui étonnaient ses interlocuteurs, mais quand l’Admiral a remporté une victoire sur la glace de la richissime armada du SKA en novembre, Tambijevs a parlé de miracle en conférence de presse et a confessé être submergé par l’émotion.
L’Admiral semble dépendre offensivement du cinq majeur entièrement étranger, pendant que toutes les autres lignes défendent. C’est oublier que le meilleur marqueur des attaquants, Aleksandr Gorshkov, évoluait sur le deuxième trio, où il a su exprimer sa créativité même en étant entouré de profils défensifs comme Nikolai Chebykin, un joueur peu coté que Tambijevs voulait absolument (il avait été champion VHL avec lui au Dynamo St-Pétersbourg en 2018). À vrai dire le meilleur marqueur – derrière le défenseur offensif Šulak – aurait dû être le centre slovaque Michal Kristof s’il ne s’était pas blessé avant le Nouvel An. Son absence a d’ailleurs coïncidé avec une baisse de performance de l’Admiral.
Mais ce n’était pas juste une bulle de début de saison qui s’est dégonflée. L’Admiral était une formation au jeu sûr et stable, à l’instar du modèle de Tambijevs qui est l’équipe nationale de Finlande. L’équipe de Vladivostok a continué de surprendre en éliminant Ufa avant de bousculer Kazan en six manches. Le gardien de l’année, Nikita Serebryakov, a confirmé sa régularité en jouant l’intégralité des playoffs sans substitutions. Très endurant, il conservait sa qualité de positionnement, sa vitesse et sa flexibilité même avec une lourde charge de travail. Même s’il a dépassé 27 ans, Serebryakov n’a pas joué assez de rencontres pour être agent libre sans restriction, l’Admiral restait prioritaire et a pu le re-signer (contrairement à Šulak libre de partir à Omsk). On verra si l’Admiral pourra faire aussi bien sans quintet étranger, mais Tambijevs s’y attellera. Il n’a pas fait jouer la surenchère salariale et a tranquillement prolongé pour poursuivre son travail.