Notre troisième partie de la présentation de KHL, toujours déroulée d’est en ouest, aborde la Conférence Ouest avec les six équipes de la division Tarasov. On y évoque la première naturalisation russe d’un Américain, les nouvelles perspectives de l’équipe de Chine, ou encore cet ancien joueur du championnat de France qui reprend l’équipe-surprise des dernières saisons… Mais le sujet d’actualité majeur, c’est ce gardien toujours pris en otage dans un conflit contractuel qui pourrait maintenant remettre en cause tous les fondements du hockey international…
En mai 2022, après avoir remporté le titre de champion de Russie avec le CSKA Moscou, Ivan Fedotov signait un contrat d’un an avec les Philadelphia Flyers. Deux mois plus tard, il était arrêté sur un parking de patinoire et envoyé de force au service militaire. Après quelques affectations plus lointaines, il a rapidement rejoint l’Acamédie navale de Saint-Pétersbourg. Ayant récupéré son équipement de gardien à l’évidence confectionné aux couleurs de Philaldephie (blanc et orange), il a pu s’y entraîner deux voire trois fois par semaine et joué avec l’équipe de la Marine, battue en finale du championnat des forces armées.
Après avoir « payé sa dette à la Mère Patrie » (selon l’expression consacrée qu’il reprend lui-même), Fedotov a signé pour deux ans avec le CSKA. La NHL considérait pour sa part que le contrat non honoré était encore valide. La fédération russe a demandé l’arbitrage de l’IIHF dans le conflit, et la fédération internationale a rendu son verdict le 14 août : le CSKA était interdit de transferts internationaux pour un an, jusqu’au 10 août 2024 et Fedotov était disqualifié de septembre à décembre 2023. Le plus à plaindre était le joueur, qui aurait été privé de compétition quatre mois de plus alors qu’il est dans cette affaire le jouet de forces qui le dépassent. Le club moscovite, lui, est assez fort pour se passer de recrues étrangères pendant un an, et aurait récupéré son gardien numéro 1 pour la phase la plus importante de la saison.
Pourtant, l’entraîneur du CSKA Sergei Fedorov laissait entendre qu’il alignerait quand même Fedotov. Après avoir dans un temps appliqué la suspension de Fedotov, la KHL sortait finalement du chapeau un paragraphe à son règlement sportif juste avant le début de saison : « Dans le cas où une disqualification sportive est imposée par une fédération internationale […] le président de la KHL a le droit d’admettre le joueur pendant la période d’appel. Dans le même temps, le club assume tous les coûts potentiels. » La KHL n’a rien à craindre, elle laisse le CSKA se débrouiller avec les amendes (5000 francs suisses pour la première infraction) et suspensions infligées par l’IIHF, qui n’a de lien qu’avec le joueur, le club et la fédération russe.
Dans cette affaire, le président du CSKA Igor Esmantovich joue le rôle le plus trouble : c’est lui qui a demandé à la fédération russe de faire appel à son homologue internationale, mais quand la décision lui a été défavorable, il a essayé de convaincre la FHR de rompre les ponts avec l’IIHF. L’argumentation est basique : puisque la Russie ne participe plus aux compétitions internationales, elle n’a rien à perdre. Brûlons toutes les relations ! Mais aux dernières nouvelles, le ministère russe des sports n’autorise pas de ligues illégales en dehors du giron des fédérations sportives.
Présenter l’IIHF et son président Luc Tardif comme des ennemis de la Russie à la solde du grand méchant occident, cela colle bien avec le discours de persécution qui a imprégné toute la société russe. C’est factuellement à côté de la plaque. L’IIHF s’en tient juste à la règle du respect des contrats… qu’elle avait appliqué en faveur de la Russie en 2022 quand toutes les fédérations nordiques demandaient à ce que les contrats des joueurs étrangers de KHL puissent être automatiquement annulés sans compensation. La fédération internationale est donc d’autant plus agacée de l’attitude russe. Tardif a toujours gardé la main tendue, la FHR est toujours membre de l’IIHF et ses équipes nationales devront bien revenir dans le jeu un jour ou l’autre… sauf selon les tenants de la guerre éternelle qui ont pignon sur rue en Russie !
C’est le paradoxe de cette Russie qui se présente comme anti-américaine mais qui adopte des discours très américains en voulant saper l’autorité de la fédération internationale, en faisant l’apologie des ligues commerciales et en raillant les compétitions internationales… qui ont fait la légende du hockey soviétique puis russe. Jusqu’où ira cette attitude conflictuelle ? La diplomatie reprendra-t-elle le dessus ? Luc Tardif marche sur un fil au-dessus d’un champ de mines.
Le CSKA n’a rien à gagner à tout ça. Il connaît même le plus mauvais début de saison de son histoire récente, avec 6 défaites à ses 9 premiers matches. Celui qui devrait avoir l’esprit le plus perturbé par la situation, Ivan Fedotov, n’y est pour rien car il signe des performances tout à fait correctes. Du coup, il se rend indispensable et le club n’est pas près de lâcher…
Le Dynamo Moscou est le premier club à avoir naturalisé un Américain : après avoir re-signé pour trois ans en avril, le défenseur Brendan Menell a annoncé son intention de devenir russe avec des déclarations publiques enflammées sur sa nouvelle patrie. Il a notamment souligné la contribution décisive de la Russie dans la Seconde Guerre mondiale, où « les États-Unis ont aidé mais n’ont pas été la raison de la victoire ». Des commentaires historiquement tout à fait fondés, mais qui sonnent différemment compte tenu des comparaisons indues que la propagande russe fait sans cesse entre la lutte contre le nazisme et sa guerre d’agression en Ukraine.
La naturalisation de Menell permet de Dynamo de conserver une place d’étranger pour le centre canadien Eric O’Dell, prolongé tardivement en août après s’être assuré que sa blessure n’a pas laissé de séquelles. C’est aussi une pierre importantes dans des lignes arrières renforcées par le prometteur Daniil Pylenkov (Severstal) et l’ex-international Igor Ozhiganov (SKA), qui avait le Dynamo pour équipe favorite dans son enfance. Mais le recrutement le plus spectaculaire a été celui de l’excellent technicien Nikita Gusev, désireux de rentrer dans sa ville natale. De quoi refaire du Dynamo un favori, deux ans après avoir dû céder toutes ses stars.
L’histoire du club bleu et blanc est très cyclique dans ce siècle : par moments il vit des crises économiques qui conduisent à des exodes, par moment il se met à recruter à tour de bras… et obtient rarement des résultats fantastiques avec ces investissements à court terme qui manquent de stabilité. L’environnement est peut-être trop impatient. Peu en forme en pré-saison (3 points seulement), la star Gusev était déjà critiquée pour son hygiène de vie avec des rumeurs sur son rapport à la boisson. D’un extrême à l’autre, on s’enflamme puis on juge un peu vite… Gusev a ensuite inscrit 10 points à ses 6 premiers matches de championnat. Il reste un joueur qui peut faire la différence, mais sera surtout attendu au tournant en play-offs. Le Dynamo aussi, même s’il s’est propulsé en première place de la Conférence Ouest en ce début de saison…
S’impatienter et tirer des conclusions hâtives, c’est la réputation de Yuri Yakovlev. Par le passé, le président du Lokomotiv Yaroslavl a viré quatre entraîneurs au cours des mois de septembre, et un début octobre. Mais aujourd’hui, Igor Nikitin semble bien installé et n’a rien eu à craindre de débuts ratés à domicile. Il sait ce qu’il vaut. Avec une situation stable sur le banc, le Lokomotiv peut-il enfin tirer les bénéfices d’avoir l’effectif le plus stable ?
Le défenseur le plus utilisé en infériorité numérique, Maksim Osipov, est parti à Ekaterinbourg après cinq ans à Yaroslavl, mais a été remplacé avantageusement par le double champion Aleksei Bereglazov. Mais le reste de l’équipe est identique. Les gardiens sont les mêmes et les dix meilleurs attaquants de la saison passée – en majorité formés au club – sont toujours présents. Pour certains observateurs, cela signifie la stagnation. Battu au match 7 au deuxième tour par le CSKA (futur champion), le Lokomotiv a souvent été barré en Conférence Ouest par les deux superpuissances (SKA et CSKA). Il pouvait parfois en battre une, mais devait éliminer les deux pour accéder à la finale. Les demi-finales croisées instaurées cette saison pourraient-elles l’avantager ?
Ceci dit, avec la limitation de la masse salariale, le Loko est à égalité avec ses rivaux. Après tout, lui aussi flirte avec le plafond. Simplement, il n’utilise pas son budget pour recruter à tour de bras, mais pour conserver ses cadres. Son leader offensif Maksim Shalunov est un des joueurs les mieux payés de toute la KHL. Lui qui fut champion 2019 avec le CSKA sous les ordres de Nikitin, peut-il appuyer son coach pour mener les hockeyeurs locaux à se dépasser et à conquérir un titre ?
Pendant cinq ans, le Severstal Cherepovets était personnifié par l’entraîneur Andrei Razin. Il l’a conduit à trois qualifications consécutives en play-offs, mais atteignait le plafond de verre du club, ou plutôt le plafond du ciel gris et bruleux de la cité sidérurgique. Celle-ci peut-elle se remettre du départ de Razin vers Magnitogorsk. Son remplaçant est un beaucoup moins bon client pour les journalistes : ancien défenseur très rugueux (passé en 2004/05 par Gap avant de revenir dans l’élite russe), Andrei Kozyrev a une allure aussi peu commode que Razin, mais avec un look très différent, un genre de Mario Richer à la barbe plus pointue. Il est surtout bien plus taiseux.
Cependant, Kozyrev était l’homme de l’ombre derrière le succès du Torpedo Nijni Novgorod d’Igor Larionov. Il n’avait pas le charisme du « Professeur », ni son aisance théorique, mais c’est lui qui dessinait les détails des schémas de jeu et qui faisait tout le travail vidéo. Il avait auparavant participé à concevoir le système du SKA. Il pourrait trouver ses aises dans le rôle d’entraîneur-chef dans un club peu médiatique, car son coaching est imprégné d’une grande capacité d’adaptation tactique. Il laisse pas mal de liberté aux joueurs et valorise la possession du palet et la créativité.
Malgré le départ à Omsk de son meilleur marqueur Igor Geraskin, le Severstal a donc encore de belles habitudes offensives. Il espère en particulier révéler au niveau supérieur Egor Stepanov, un pur buteur droitier de 23 ans qui a été le meilleur compteur de la saison de VHL. On s’inquiétait beaucoup plus de la défense qui a perdu ses trois hommes-clés (Press, Khabarov et Pylenkov), mais Kozyrev n’hésite pas à donner le plus gro temps de jeu à Timofei Davydov, un joueur qui n’était apparu que quelques minutes éparses à Omsk… et qui a inscrit 5 points à ses 4 premiers matches avec Cherepovets ! Si le développement des jeunes n’est pas l’apanage de Razin, le Severstal peut encore forger de beaux succès.
Huitième et dernier qualifié de la Conférence Ouest l’an passé, quatre points seulement devant le Spartak, le Dinamo Minsk a perdu quelques joueurs-clés chez des concurrents de sa division. L’attaquant le plus complet et le plus constant dans l’effort, Cédric Paquette, a été recruté par le Dynamo Moscou. Le défenseur de loin le plus solide, Mark Barberio (fiche de +15) est parti à Cherepovets – qui sera un rival direct pour la qualification – avec le jeune gardien international biélorusse Konstantin Shostak. Ce dernier départ para$it gênant pour la politique du club.
Alors que la dernière saison avait vu de nombreux jeunes Biélorusses se révéler, le processus va-t-il donc s’interrompre ? Le gardien de 21 ans Aleksei Kolosov se voit maintenant adjoindre un concurrent qui a joué 2 matches de NHL la saison passée avec Ottawa, le Canadien Dylan Ferguson, mais il a le talent pour rester quand même le portier qui joue le plus. Les deux autres meilleurs jeunes, le défenseur Sergei Sapego et l’attaquant Vladimir Alistrov, ont toutefois été happés au SKA. Le grand mais pas très physique Vitali Pinchuk (21 ans) peut toutefois poursuivre son développement au centre et signe un début de saison canon : 9 points lors de la tournée initiale de 6 matches à l’extérieur ! Il en avait mis 14 sur toute la saison dernière…
Le changement le plus important concerne le poste de coach. Le club biélorusse a misé sur Dmitry Kvartalnov, qui n’avait trouvé aucun poste pendant toute la saison dernière : l’approche de son agent, qui n’est autre que son fils Nikita Kvartalnov, avait apparemment refroidi le Spartak… Mais parce que l’on reprochait aux étrangers d’avoir la vie un peu trop facile sous le précédent coach Craig Woodcroft, le Dinamo Minsk tenait à avoir une main de fer. Or, Kvartalnov a justement la réputation d’être intraitable avec les étrangers, on se souvient de son envoi en tribune de Da Costa & co dans les play-offs 2022 avec Kazan pour ce qui constituait son dernier emploi en date. Mais à Minsk, comme dans les autres clubs non russes de KHL, il n’y a aucune limite d’étrangers. Il y a 7 Nord-Américains dans l’effectif et Kvartalnov ne peut pas non plus se les mettre tous à dos…
Le Kunlun Red Star n’est pas soumis aux obligations médiatiques de la KHL. Comme il n’a pour ainsi dire pas de supporters, du fait de son exil dans la banlieue moscovite à Mytishchi, le club chinois n’a pas de compte à rendre au public et se fiche de communiquer ses activités contractuelles. Il dévoile son équipe tard et n’a désigné son entraîneur que le 20 juillet : l’adjoint letton Viktors Ignatjevs a été promu à la place de Greg Ireland, et ce sera peut-être le cas aussi avec l’équipe de Chine (là encore aucune information ne filtre) puisque c’est un peu la même chose. Tellement la même chose que les Chinois ont obtenu de la KHL – qui n’observe plus les trêves internationales – que leur équipe ait un trou dans leur calendrier du 5 au 12 février afin de pouvoir jouer un tournoi international.
Parfaitement trilingue, le Letton Ignatjevs maîtrise aussi bien l’anglais que le russe, ce qui peut l’aider à gérer un effectif aux origines variées. Peut-il qualifier les Chinois en play-offs ? Dans une Conférence Ouest à 11 équipes (contre 12 à l’Est), cela ne doit pas être un objectif inatteignable. Le groupe s’est mis sérieusement à l’entraînement, mais sera-t-il assez constant sur la durée de la saison ? En KHL, on a coutume de dire que les joueurs de Kunlun s’accordent facilement des « jours sans » parce qu’il n’y a pas d’équipe-ferme où on peut menacer de les envoyer, ni de jeunes prêts à prendre leur place. Le risque d’un remplacement est aussi limité parce que les Chinois veulent s’attacher les joueurs à long terme pour les rendre sélectionnables.
La saison dernière, le Red Star avait refusé toutes les offres pour son gardien Jeremy Smith afin que l’ancien international junior canadien passe les quatre années complètes nécessaires à sa naturalisé (il n’avait joué les JO que par dérogation). Le délai est écoulé, Smith pourrait signer ailleurs, mais il a paraphé un nouveau contrat de trois ans qui en fait le joueur le mieux payé de l’équipe. Objectif : rester jusqu’aux prochains JO de Milan… où il aura presque 37 ans ! Franchement, on voit très mal la Chine s’y qualifier, ni accéder à l’élite mondiale aussi vite.
En revanche, attention au recrutement remarquable du défenseur offensif Ryan Merkley (39 matches de NHL, 6 points) : cet ancien premier tour de draft, réputé avoir des problèmes d’attitude, n’a que 23 ans et n’a représenté le Canada qu’en moins de 18 ans, quand il était encore mineur. Il n’aurait donc besoin que de deux ans pour être sélectionnable s’il change de passeport. Si jamais c’est son intention (ce qui reste à confirmer), cela pourrait faire un renfort à la fois de haut niveau et de longue durée, ce qui changerait les perspectives de l’équipe de Chine.