Notre présentation de la KHL est terminée avec la division Bobrov, la seule qui ne compte que 5 équipes. Mais pas n’importe lesquelles : on y trouve le richissime mais toujours peu titré SKA mais aussi l’équipe qui domine la ligue (le Torpedo) avec le souffle nouveau d’Igor Larionov. Le populaire Spartak, un Sotchi devenu soudain performant et un Vityaz déconnecté de toutes ses fondations complètent le tableau.
Premier président de la KHL et ponte de Gazprom, Aleksandr Medvedev a fait sa réapparition comme président du comité directeur du SKA Saint-Pétersbourg, à la place de Gennadi Timchenko, oligarque russo-finlandais et proche de Poutine. Qu’est-ce que cela change concrètement pour le club ? Pas grand-chose. Medvedev est toujours aussi occupé par le Zenit, le club de football de la ville. Au hockey, le pouvoir au quotidien est plus que jamais dans les mains de Roman Rotenberg. L’ancien diplômé de la Business School de Londres a signé un nouveau contrat de 5 ans, ce qui n’aurait pas posé question quand il s’occupait du marketing mais est une durée anormalement longue dans sa fonction actuelle, celle de coach !
On peine à imaginer qu’il puisse tenir tout ce temps sans obtenir un titre, que chasse le club théoriquement le plus riche du pays. Tellement riche qu’il lui a fallu dégraisser tout l’été pour tenir au forceps sous le plafond salarial. Dans toutes ses négociations, le SKA a offert de la durée puisqu’il était contraint en masse salariale sur la saison. Il a notamment fait signer pour 5 ans les ailiers au profil technique Sergei Tolchinsky et Arseni Gritsyuk, anciens partenaires à l’Avangard. Mais cela donne l’impression que l’équipe est sans cesse rebâtie, sans ligne directrice très claire. L’an passé, Rotenberg défendait l’idée qu’il voulait des joueurs tous capables de jouer en avantage ou désavantage numérique. Purs joueurs offensifs, Tochinsky et Gritsyuk ne répondent pas à la définition, pas plus que le centre Alex Galchenyuk, à qui le SKA a fait une place après ses déboires de l’été avec la police américaine.
Le grand talent Matvey Michkov (photo de titre) trouverait-il enfin sa place dans cette nouvelle philosophie ? En présaison, Rotenberg a étonné en alignant le junior – qui a toujours été ailier – au centre. Il vante la vision du jeu indéniable du joueur, mais celui-ci a toujours été plus buteur que passeur et le repli défensif n’a jamais été sa priorité. Cette reconversion a été discutée avec Michkov, qui dit avoir étudié en vidéo la manière dont Crosby défendait. Ce changement de poste a fait beaucoup de tapage… pour rien. Quand le championnat a débuté, Michkov n’était pas aligné au centre… et guère plus à l’aile. Après six minutes de jeu en deux semaines, il a encore prêté à Sotchi, comme l’an passé. C’est que le club de Saint-Pétersbourg a bien d’autres problèmes que le développement du junior…
Le SKA a en effet vécu son pire début de saison en 15 ans avec 2 victoires puis 5 défaites consécutives. Avant-dernier de la Conférence Ouest, il devait réagir. Première cible : un Galchenyuk peu en forme, déplacé du centre à l’aile puis cloué sur le banc contre Minsk après avoir été coupable d’une fiche de -6 en dix tiers-temps. Cela n’a pas suffi. Roman Rotenberg a alors changé de gardien titulaire (l’inconnu de 20 ans Artemy Pleshkov à la place de Dmitry Nikolayev) et changé de capitaine en nommant Aleksandr Kadeykin à la place d’un Marat Khairullin en panne de confiance. L’explication de Rotenberg sur Telegram était amusante (« il était avec nous lors de la saison du titre 2014/15 quand l’équipe avait battu le CSKA en finale de conférence en remontant de 0-3 dans la série ») car si Kadeykin était effectivement au club, il n’était plus titulaire et n’avait pas du tout joué dans les play-offs en question. Toujours est-il que la mesure a fonctionné. Le SKA a enchaîné 4 victoires, dont deux blanchissages de Pleshkov et même deux doublés pour Galchenyuk, qui n’avait pas encore mis un but. La crise est passée, mais il est trop tôt pour dire si cette équipe a l’étoffe d’un champion.
Comme l’an passée, le Torpedo Nijni Novgorod a commencé son camp d’entraînement plus tard que tous les autres clubs. Son entraîneur Igor Larionov a pour principe la responsabilisation des joueurs, qui se sont vu donner un programme de préparation à suivre pendant l’été. Une approche encore considérée « occidentale » qui a du mal à s’imposer en Russie, où l’on aime bien rassembler tous les joueurs à la basa pour de lourdes charges d’entraînement. Elle fonctionne parfaitement car le Torpedo affiche une bonne condition physique dès le début de saison.
L’équipe de Nijni Novgorod démontre que son excellente saison 2022/23 ne devait rien au hasard. Même sans son adjoint Kozyrev (parti au Severstal), le jeu attractif et ouvert de Larionov suscite toujours l’admiration. Il faut dire qu’il a gardé tous ses cadres. Nikolai Kovalenko a signé un contrat d’entrée avec l’Avalanche du Colorado mais honore d’abord sa seconde année de contrat avec le club qui l’a relancé quand plus personne ne s’intéressait à lui. Ses deux suivants au classement des meilleurs compteurs de l’équipe la saison dernière, Aleksei Kruchinin et Sergei Goncharuk, se sont quant à eux blessés après respectivement 3 matches et 1 match. Et pourtant, le Torpedo est toujours aussi fort – et même plus fort puisqu’il domine toute la ligue !
Larionov continue de développer des jeunes joueurs. Déjà présent l’an passé avec un temps de jeu assez réduit (11 minutes), Vassili Atanasov – qui atteint tout juste 21 ans en ce mois de septembre – a pris plus de responsabilités, notamment dans les unités spéciales, et mène l’équipe en inscrivant plus d’un point par match en moyenne. Dans le même temps, tous les regards se lèvent vers un défenseur de seulement 17 ans et déjà 2 mètres, Anton Silyaev. Il a débuté le hockey à Sarov, ville fermée car on y produit des ogives nucléaires, et est arrivé à 11 dans la capitale régionale Nijni Novgorod. Utilisé dans toutes les situations de jeu, Silyaev a ouvert son compteur dès son deuxième match et est aujourd’hui le nouveau grand espoir russe à l’arrière.
Le Spartak Moscou est ressorti très déçu de la dernière saison, non qualifié en playoffs pour la première fois en six ans. Il a donc rappelé Aleksei Zhamnov, non plus comme manager (ce qu’il avait été de 2015 à 2021) mais comme coach (ce qu’il avait été simplement en 2018/19 en prenant l’équipe en mains en octobre). S’il avait quitté le club, c’était pour prendre en charge l’équipe de Russie aux Jeux olympiques 2022. Il a repris les méthodes mises en place à cette occasion, notamment la distribution de manuels tactiques, détaillant par exemple les sorties de zone, qui permettent de rappeler les briefings.
Avec son adjoint en charge des attaquants, Aleksei Kovalev, qui avait lui aussi une belle carrière NHL, Zhamnov a une certaine aura auprès des joueurs offensifs. Les deux hommes peuvent ainsi mettre dans de bonnes conditions le talent inconstant Nikolai Goldobin, échangé contre un joueur de troisième ligne (Danilla Kvartalnov) par le Metallurg Magnitogorsk qui n’en avait pas trouvé les clés. Goldobin forme une belle première ligne avec Pavel Poryadin, qui brillait à Nijnekamsk et espérait en faire autant dans une équipe plus en vue, et le centre Ivan Morozov, dont le développement a complètement calé depuis deux ans après sa sélection en équipe de Russie au Mondial 2021.
Ce trio est si prometteur que le Spartak s’est défait juste avant le début du championnat (le 29 août) de son capitaine et meilleur marqueur de la saison dernière, Aleksandr Khokhlachev. Vu ses demandes, il aurait risqué d’être presque deux fois plus payé que ses collègues. Le Spartak veut rester une équipe sans gros salaire, avec une rémunération de base bien plus basse qu’ailleurs (y compris pour les recrues du premier trio), mais avec une politique de bonus très incitative. À 30 ans, Khoklachev, star de l’équipe depuis des années, a donc été échangé à l’Amur sans autre compensation que financière (plus un junior). Le public oubliera vite son chouchou si le trio Goldobin-Morozov-Poryadin reste performant.
Le HK Sotchi a obtenu 7 victoires sur ses 10 premiers matches… alors qu’il n’en avait qu’une seule à son actif au même moment l’an passé ! Qu’est-ce qui explique cette soudaine transformation du club de la Mer Noire ? Cet été, il a obtenu plus d’autonomie : le SKA a réduit son influence maintenant qu’il a un nouveau partenaire privilégié avec le Lada. Sotchi bénéficie encore de la coopération (et tire à nouveau profit du prêt du talent Michkov) mais le nouveau manager Aleksei Badyukov a eu les mains libres pour composer son équipe sans être obligé de faire une place à certains joueurs.
L’effectif ainsi assemblé paraissait capable de revenir dans la course aux playoffs, mais certains doutaient qu’il y arrive avec Dmitri Kokorev, encore considéré comme un entraîneur de juniors (il a été dans le staff des équipes de Russie des moins de 17 et 18 ans), et qui n’a officié qu’en KHL que depuis octobre dernier comme adjoint. Ave ce début de saison, le coach avait prouvé que les considérations sur son manque d’expérience et d’autorité n’étaient que des préjugés.
Sotchi bénéficie à plein des excellentes performances de son trio étranger. Le centre slovaque Michal Kristof (dont l’attitude avait été jugée « inacceptable » par le coach de l’Admiral parce qu’il s’était mis d’accord avec Sotchi avant même la fin de saison de son équipe) pourrait encore faire partie de l’équipe-surprise de la saison. Le défenseur canadien Jesse Graham (ex-Barys) se montre très efficace et précis. Mais le spectacle est surtout assuré par Borna Rendulic, le capitaine de l’équipe nationale de Croatie, auteur d’un brillant retour en KHL 4 ans après (dont 3 années passées à Mannheim).
Si le Vityaz a atteint les play-offs quatre fois sur les sept dernières années, il le doit quasi-exclusivement aux bons renforts étrangers dénichés par son manager Igor Varitsky. Avec un quota passant de 5 à 3, la méthode paraît insuffisante… mais l’équipe de l’oblast de Moscou a réussi son coup l’an passé en anticipant cette réduction. Les deux meilleurs étrangers, le défenseur Jérémy Roy et le meilleur marqueur Scott Wilson, on été conservés… mais Wilson s’est blessé en pré-saison. Le nouvel Américain, Derek Barach, est un peu perdu sans celui qui devait évoluer à ses côtés, même s’il joue avec intensité. Le jeune Stanislav Yarovoy, qui avait été placé dans le vestiaire à côté de Wilson pour apprendre l’anglais (l’ailier droit de 20 ans a été drafté par Carolina et envisagerait une carrière en NHL), pourrait pâtir aussi de cette absence.
Plus généralement, c’est tout l’alignement offensif qui est fragilisé, d’autant que le capitaine Vladimir Galuzin s’est blessé à son tour au cinquième match. Le Vityaz, qui a commencé la saison par une défaite 0-7 contre Minsk, a été immédiatement plongé dans le doute. La pression est donc très vite montée sur Aleksandr Zavyalov, qui vit sa première expérience comme entraîneur-chef après onze années comme adjoint dans six formations différentes de KHL. Le Vityaz, où il est arrivé l’an passé, est le premier à donner sa chance à cet ancien défenseur efficace mais anonyme. Pour combien de temps ? Avant même que le championnat ne débute, il paraissait le coach le plus fragile. Les rumeurs sur son possible renvoi ne cessent de courir, malgré le soutien réaffirmé par Varitsky.
Installé pour la seconde saison à Balashikha (parce que la direction de la patinoire lui faisait de meilleures conditions qu’à Podolsk), l’équipe professionnelle « Vityaz » est plus que jamais une vitrine sans fondations. Elle n’a même plus d’accord de coopération avec l’école de hockey du même nom, restée à Podolsk. Les dirigeants de celle-ci en ont eu assez de quémander qu’on leur accorde ne serait-ce que les moyens minimaux prescrits par le règlement de la KHL. Varitsky ne voulait pas aller jusqu’à la rupture, mais avait excédé ses interlocuteurs. La relation ne pouvait plus durer entre une équipe pro partie à 1h30 de route et un club en manque de financement pour ses équipements et ses coûts de transport. Le Vityaz, qui a notamment formé Artemi Panarin de 13 à 21 ans et qui a toujours bonne réputation auprès des parents, a signé un nouvel accord avec le Torpedo Nijni Novgorod, qui voit un intérêt à avoir un partenaire dans une autre région. La structure pro n’a plus que le nom en commun, sachant qu’à Balashikha le travail de formation a toujours été médiocre.