Solides dauphins des Brûleurs de Loups de Grenoble à la mi-parcours, les hommes de Jonathan Paredes ont tantôt impressionné par leur début d’année tonitruant, par leurs victoires face à Grenoble ou par leur série de 10 succès de rang à domicile, tantôt déçu dans leurs premiers déplacements, dans leurs duels face à Rouen. Se pose alors la question suivante : comment analyser le début de saison de ces Ducs d’Angers ? Bien que peu utilisées publiquement dans le hockey français, les statistiques avancées permettent à bien des égards de comprendre certains aspects du jeu. Les vingt deux premières journées de championnat étant passées, les données disponibles sont assez conséquentes pour proposer une analyse des performances angevines.
Si le futur prend racine dans le passé, il semble intéressant de comparer les cinq derniers débuts de saisons pour situer ces Ducs version 2024/25 vis-à-vis de leur passé récent. Comme en témoigne le visuel ci-dessous, les Ducs font un début d’exercice dans la moyenne des cinq dernières années, mais avec deux points d’avance sur leur bilan de l’an dernier à ce stade. Rappelons, à toutes fins utiles, que l’exercice précédent, terminé à 101 points, constituait déjà un record pour le club. D’un point de vue purement comptable, ces Ducs ne sont pas sur un rythme hors de leur commun.
Pourtant, à bien des égards, ils semblent être différents. Mais alors, pourquoi ce sentiment ? Est-ce le biais inhérent au changement d’entraîneur et donc, de plan de jeu ? Si la tactique proposée par Jonathan Paredes a, évidemment, son rôle à jouer sur cette image, il semblerait que les statistiques de cette saison expliquent ce sentiment de domination et plus largement, d’un exercice marqué par l’optimisme.
Le temps, une donnée éloquente
C’est un secret de polichinelle, les Ducs sont, avec Grenoble, en ce début de saison, l’une des deux écuries les plus performantes. L’autre constat qu’il est possible de faire, c’est que le duo de tête ne fait, au global, pas dans le détail. Grenoble est, au regard du temps passé par situation de jeu, intouchable. Avec une moyenne par match de quarante minutes (40) aux commandes de la partie et seulement quatre (4) petites minutes à être menés, l’ultra domination des Isérois ne fait que sauter aux yeux. De leur côté, les Ducs ne sont pas en reste. Équipe qui passe le moins de temps sur un score de parité, les Angevins passent eux plus d’une demi-heure par match aux commandes. Plus encore, Angers n’a perdu qu’un seul match après avoir ouvert le score [NDLR : à Amiens, lors de la onzième journée] en outre, lorsque ces équipes ouvrent le score, elles ne lâchent presque jamais les rênes de la rencontre.
Seule statistique temporelle où les Ducs sont écartés du duo de tête, le temps passé à courir au score. Bien loin des quatre petites minutes iséroises, les Ducs passent en moyenne plus d’un quart d’heure à patiner après le score. Force est de constater que, sur les 7 matchs où Angers a été mené score plus d’un quart d’heure, ils se sont inclinés à cinq reprises. Rares exceptions face à Grenoble (J18) et Marseille (J19) où les Ducs ont couru respectivement quarante minutes et trente six secondes et quarante-cinq minutes et 50 secondes. Deux victoires au terme d’un scénario fou qui montrent que ces Ducs ont de la ressource, oui, mais qui rappellent aussi que lorsqu’ils sont menés sur le long terme, ces Ducs semblent être en mode diesel et peinent à s’accrocher.
Quid des unités spéciales ?
Ces Ducs, qui tantôt dominent, tantôt se cassent les dents, doivent-ils mettre leurs défaites sur le dos des unités spéciales ? Si Mario Richer, qualifiait le jeu de puissance angevin de «meilleur de la ligue» après une défaite des siens 5-0 à l’Iceparc, les statistiques offertes par la ligue et le ressenti en direct des patinoires de France témoignent d’autre chose. La preuve en images.
Huitièmes en supériorité numérique avec 17% de réussite (11/65), cinquièmes en infériorité numérique avec 82% de réussite (51/62), les Ducs affichent un bilan négatif sur le plan statistique : s’ils ont inscrit onze buts en supériorité, et concédé onze buts en infériorité, Tyler Welsh avait profité d’un jeu de puissance angevin pour jouer les trouble-fête et inscrire un but en désavantage numérique. Pour autant, d’un point de vue comptable, les Ducs ont profité de leurs supériorités numériques pour glaner des points : 4 de ces 11 buts ont été des buts vainqueurs [NDLR : But qui détermine le gagnant d’une partie, en donnant à l’équipe qui le marque un but d’avance sur l’équipe adverse] : Face à Cergy (J3), Gap (J6), de nouveau Cergy (J13) et Anglet (J20). Plus encore, face à Marseille (J19), c’est grâce à une supériorité numérique que les Ducs ont égalisé avant de prendre l’avantage… soit 15 points glanés grâce -ou en partie- à ces supériorités numériques.
Dans l’autre exercice, les Ducs connaissent une autre fortune. Sur les onze buts encaissés en infériorité numérique, un seul a décidé de l’issue d’une rencontre : le but de Bastien Maïa lors de la onzième journée. Sur les dix autres, trois ont confirmé un avantage déjà acquis (tous en faveur Rouen), cinq ont permis à l’équipe adverse d’égaliser (3 pour Cergy, 1 pour Amiens, 1 pour Chamonix), un a offert l’avantage à Marseille, sans pour autant que cet avantage ne se convertissent en points, le dernier a permis à Grenoble de ne pas rester muet. À titre de comparaison avec les points glanés en supériorité numérique, les Ducs n’ont donc « perdu » que trois points (face à Amiens) à cause d’une infériorité numérique ratée. Mais alors, comment expliquer les quatre défaites dans le jeu ?
Un réalisme fuyant ?
Offensivement, les Angevins connaissent des fortunes diverses. Comme le montre le visuel ci-dessous, les Ducs, malgré un bilan de 16 victoires pour cinq défaites et un différentiel de 31 buts, ont marqué moins de buts qu’ils n’auraient dû le faire statistiquement. Serait-ce ce manque de réalisme partiel qui pourrait venir expliquer ces défaites ? Il semblerait bien que oui (visuel ci-dessous).
Les chiffres viennent ainsi conforter le ressenti de bon nombre d'observateurs : ces Ducs ont tendance, dès lors qu'ils perdent, à chercher à s'en remettre à des exploits individuels pour revenir et ou égaliser, ce qui va finalement à l'encontre de leur objectif. Car oui, la différence est flagrante. Les Ducs marquent en moyenne 4,75 buts par match lorsqu'ils s'imposent, 1,2 lorsqu'ils s'inclinent. A contrario, ils encaissent en moyenne 3,4 buts lorsqu'ils s'inclinent, contre 2,1 lorsqu'ils s'imposent. Les gardiens sous-performent-ils ?
Les cerbères, le nerf de la guerre
Il ne sera ici en aucun cas question de revenir sur les incidents ayant valu à Matthew O'Connor une suspension de sept matchs. Il sera plutôt question de savoir si, comme le dirait Jonathan Paredes : « le gardien a fait le ou les arrêts qui te permettent de l'emporter. » Pour ce faire, plusieurs statistiques existent. Ici, il sera question de deux d'entre elles. Le départ de qualité, qui place sur une échelle qualitative le pourcentage d'arrêts d'un gardien pour chaque match et les buts sauvés par rapport aux prévisions, qui comparent le pourcentage d'arrêts des gardiens à la moyenne de la ligue.
Du haut de ses 21 printemps, Elliot Lévêque aura, après avoir été brutalement propulsé numéro un dans un mois plus que coriace, tenu la baraque. Si ses statistiques personnelles ne parlent pas pour lui, son bilan collectif est là pour le défendre : 6 victoires, 1 défaite (à Rouen). Plus encore, quand bien même il aura connu quelques difficultés, pas toujours aidé par une défense qui a eu quelque peu tendance à se reposer sur lui, il a été auteur de plusieurs arrêts qui ont, in fine, permis aux siens de l'emporter. C'est aux yeux de son entraîneur, seul juge de ses performances, la seule donnée qu'il faut retenir.
De l'autre côté, l'expérimenté Matthew O'Connor, qui a un temps côtoyé le plus haut niveau mondial et la NHL, tient son rang. S'il existait un inconnue devant le filet angevin à la suite du départ d'Evan Cowley, l'ex-gardien du HK Nitra l'a vite écartée. Deuxième gardien le plus efficace avec 93,33% derrière Quentin Papillon, il a, très souvent, remporté le duel des cerbères. S'il n'a pu éviter les défaites des siens à l'extérieur, il a remporté son premier duel face à Matija Pintaric (5-1), partagé les points avec Quentin Papillon (une victoire partout) et maintenu les siens dans la partie aussi longtemps qu'il aura pu face à Rouen et Oskari Sëtanen. Le tout, en sauvant, selon un modèle nord-américain, quinze buts (voir ci-dessous).
La réponse à la question "les gardiens sous-performeraient-ils" est donc négative. La réponse se trouve donc à mi-chemin, tant dans l'application d'un plan de jeu qui ne fonctionne pas encore contre toutes les équipes qui composent la Magnus mais aussi par un manque cruel de réalisme chez certains et des gardiens qui ne peuvent finalement que repousser une échéance inévitable. Reste donc à tirer un premier constat sur les fortunes diverses que connaissent les joueurs de champ.
À l'image du visuel illustrant la différence de réalisme des angevins dans la défaite ou dans la victoire, celui-ci vient confirmer le constat que bon nombre d'observateurs auront tiré : certains offensifs angevins, comme Philippe Halley (buteur sur 3 des 4 dernières rencontres et qui semble enfin lancé), Jonathan Charbonneau ou encore Robin Gaborit, manquent de (chance ?) réalisme devant le but. Ces derniers se procurent beaucoup d'occasions dangereuses mais qui ne leur permettent pas toujours de convertir. Soit tout l'inverse de Peter Valier, qui capitalise sur des chances estimées par le modèle Magnus Corsi comme n'étant pas les plus propices au but.
Puisqu'il n'est pas possible de faire un bilan statistique du club sans évoquer son top scorer, il semblerait que Brady Shaw rentre petit à petit dans le rang. S'il est sans grande contestation le meilleur scoreur du club cette saison, il avait démarré la saison tambour battant, trouvant le fond du filet à 11 reprises en 15 matchs, le tout, en ayant un différentiel entre buts théoriques (xG) et buts marqués de presque 4. Muet depuis quatre matchs, soit sa plus longue série sans but marqué depuis le début de saison, il se montre moins dangereux qu'auparavant. Le retour au jeu de Sami Tavernier, dont le travail de l'ombre libérait de l'espace pour Shaw et le retour en forme de Philippe Halley permettront-ils à celui que les bénévoles surnomment "Buzz l'éclair" de retrouver sa forme du début de saison ? Si seul son talent et la réalité de la glace peuvent répondre à cette question, les statistiques individuelles de l'équipe montrent bien l'importance du numéro 4 dans le jeu angevin.
En somme, les Ducs d'Angers connaissent un début de saison prometteur, portés par des joueurs qui ont accroché au plan de jeu proposé par Paredes au pied levé. S'ils ne survolent pas leur passé récent sur le plan comptable, le système de jeu mis en place, qui favorise sans nul doute l'offensive, met en valeur des talents qui ne demandaient qu'à être exploités. Plus encore, ce qui semble être différent cette année, c'est l'implication de tout un chacun des deux côtés de la glace. Équipe parfois coupée en deux l'an passé, Angers semble s'être offert une constante qui paie. Il n'y a pas un joueur qui porte à bout de bras l'équipe, tout comme il n'y a pas de joueur qui sous-performe. S'ils brillent moins qu'à l'accoutumée par des exploits individuels et ses unités spéciales, ces Ducs sont, comme l'avait annoncé Jonathan Paredes en début de saison, dans un processus de construction. Construction de jalons qui, collectivement et individuellement, doivent amener l'équipe à son plein potentiel. Ce processus sera-t-il récompensé par un titre ? Les semaines à venir le diront. Et si les statistiques dressent un bilan plus qu'optimiste pour la suite, le technicien français annonçait en août dernier qu'il est ici pour un projet de trois ans et que les titres ne sont que la conséquence d'un travail de fond qui nécessite un certain temps. Ces hommes ont-ils trouvé un moyen d'accélérer ce processus ? Réponse au printemps.
Visuels : Nino Bourge-Maldinez pour StatsDucs et HockeyArchives. Image d'illustration : Anthony Mangeard.