Artyukhin éclipse médiatiquement Ovechkin
Avant le match, un seul joueur est sur toutes les lèvres. Après le match, un autre le remplacera… Initialement, c’est bien sûr Aleksandr Ovechkin qui attire l’attention, lui qui est arrivé hier en provenance de Washington. Son collègue Semin n’a en revanche pas été appelé, puisque la dernière place est réservée pour un centre. Même si Tereshchenko semble rétabli de sa blessure au genou, on ne sait jamais.
La question du gardien est aussi close. Nabokov ne rejouera plus du tournoi, s’étant trop étiré un muscle au niveau de l’aine. Pour autant, le staff ne se dédira pas quant à son choix réitéré de ne pas appeler Bryzgalov, et n’attend pas non plus les gardiens qui ont fini les play-offs NHL sur le banc (Varlamov et Bobrovsky). C’est bel et bien Barulin qui occupe désormais la cage russe, avec Koshechkin en doublure.
Vu que le trio Zaripov-Zinoviev-Morozov s’est retrouvé et qu’un autre ailier gauche nommé Kovalchuk figure déjà sur le deuxième trio, Aleksandr Ovechkin prend la place d’Evgeni Artyukhin sur la troisième ligne. Le trio annoncé est très offensif avec le frétillant Afinogenov, le créatif Kaïgorodov et le surpuissant Ovechkin. Il s’agit sans doute d’un bluff de Bykov à l’annonce de ses lignes car, dans les faits, c’est Gorovikov qui sera le centre de cette ligne… Le junior Vladimir Tarasenko, déjà assez peu utilisé, fait les frais de la manœuvre en se retrouvant en tribune.
Face à une telle armada offensive, les Tchèques se montrent méfiants en restant très défensifs en début de match et en protégeant avant tout leur enclave. Ils s’avèrent tout de suite très dangereux en contre-attaque, et ce dès la première infériorité avec le duo Plekanec-Rolinek en deux contre un. Face à une équipe aussi repliée sur la ligne bleue, il faut la prendre par surprise : à la réception d’une longue passe d’Ilya Nikulin, Danis Zaripov a pris le meilleur sur Zbyněk Michálek piégé et réussit un une-deux parfait avec son complice de toujours Aleksei Morozov (11’02”). Quelle action des maîtres d’Ak Bars Kazan ! Mais aussi quel arrêt de la mitaine d’Ondrej Pavelec !
Après cette contribution capitale de leur gardien, les Tchèques deviennent plus offensifs. Patrik Eliáš met seul la pression sur la défense mais arrive ainsi à offrir une position de tir à Milan Michálek. Puis c’est la troisième ligne qui travaille pour empêcher le cinq majeur russe de récupérer le palet et de sortir de sa zone. Konstantin Barulin lâche un rebond sur un lancer de la bleue de Martin Skoula, et Jakub Voráček est mieux placé que Belov pour le reprendre, du revers en contournant le gardien (1-0, 14’01”).
Alors qu’Ovechkin n’a pas envie de se mettre au repli défensif, Jaromír Jágr double la mise par un tir du poignet qui passe sous le bras de Barulin (2-0, 15’52”). Pour sa première titularisation dans ce championnat du monde, le gardien de l’Atlant n’est pas innocent dans ces deux buts.
Place au deuxième tiers, autrement appelé le grand procès d’Artyukhin. Déjà détesté de toute la Finlande depuis la dernière manche de l’Euro Hockey Tour, le voilà maintenant ennemi public n°1 en République Tchèque.
Selon ses détracteurs, ce mastodonte de 116 kilos ne sert à rien sinon à blesser les joueurs. Objection. La défense fournit une pièce à conviction qui prouve l’utilité d’Artyukhin pour déstabiliser un adversaire. Avant d’évoquer les séquences dont tout le monde parle, glissons quelques mots sur une phase de jeu que personne n’a remarquée. La meilleure action russe du deuxième tiers-temps (hormis le but) est un 2 contre 1, sur lequel Nikolaï Kulemin choisit le tir et échoue. Mais si c’était un 2 contre 1, où était le second défenseur tchèque ? Zbyněk Michálek avait tout simplement réglé une vengeance personnelle avec Evgeni Artyukhin qui venait de lui infliger une grosse mise en échec derrière son but. Pour aller charger en zone neutre le colosse qui avait donné le palet depuis longtemps, le défenseur de Pittsburgh en avait carrément abandonné sa position !
Passons maintenant au procès à charge. Les preuves sont implacables. La préméditation est même manifeste puisque l’accusé donne trois mises en échec en 22 secondes chrono pendant une infériorité numérique : une première sur Rachůnek, une seconde sur Havlat avec la largeur de patinoire d’élan, et la troisième totalement hors du jeu sur Milan Michálek avec qui il venait d’échanger quelques mots cinq secondes plus tôt. Un attentat caractérisé et délibéré, visant la tête d’un joueur qui n’a rien vu venir. Sanction ? Deux minutes pour obstruction. Michálek se fera poser une poche de glace sur sa nuque aux muscles douloureux et ré-essaiera en vain de revenir en jeu pendant une présence.
En comptant celle d’Artyukhin, la Russie a tué trois pénalités, grâce surtout au travail remarquable du défenseur Dmitri Kalinin, solide dans le slot et aspirateur à palet traînants qu’il ressort proprement. Plekanec se fait alors sortir pour un léger coup de crosse sur le gardien, et la supériorité numérique est promptement convertie : tir de la bleue de Radulov et rebond de Tereshchenko sous le bras de Pavelec (2-1, 31’50”).
La Russie finit le tiers en infériorité, et Arytukhin revient alors sur la glace. Il charge coude en avant Karel Rachůnek qui venait de tirer au but. Le casque du Tchèque vole et sa tête heurte la glace, devant le banc tchèque. Le soigneur accourt immédiatement avec sa serviette pour éponger le sang qui coule de son crâne rasé au niveau de l’impact sur la glace. Décision des arbitres, le Canado-Suisse Reiber et l’Américain Sterns ? Rien du tout ! Nada ! Rachunek n’a qu’à aller se faire recoudre le crâne.
En début de troisième période, une longue passe de Marek Židlický lance Tomas Plekanec qui va très vite quand il est lancé. Ilya Nikulin se sent dépassé et réussit à contrer le palet… mais il lâche sa crosse, peut-être sur l’impact du patin de l’attaquant. En tout cas, c’est un tir de pénalité. Tomas Plekanec feinte Konstantin Barulin qui pose son bras sur la glace. Il n’y normalement plus de place pour un tir rasant… et pourtant si, juste sous la main qui tient la plaque (3-1, 43’27”).
Les Russes n’en ont pas fini avec l’indiscipline : alors qu’Atyushov est en prison pour obstruction, Korneev donne un coup de crosse non sanctionné sur le poignet de Prucha. On continue à 5 contre 4 avec deux énormes occasions consécutives pour Jaromir Jagr : il cherche d’abord la lucarne proche mais voit son tir dévié par l’épaule de Barulin, puis délivre une fantastique passe au second poteau pour Plekanec qui tire dans le petit filet.
Artyukhin s’était fait discret sur sa première apparition du troisième tiers-temps, ne touchant ni joueur ni palet… Mais quand il revient sur la glace, il est aussitôt pénalisé pour une obstruction sur l’engagement. Les arbitres l’ont maintenant à l’œil, mais c’était avant qu’il fallait siffler ! Les Tchèques n’installent même pas leur jeu de puissance. Ils peuvent le regretter quand, à cinq minutes de la fin, Dmitri Kalinin, décidément excellent ce soir, déborde sur l’aile droite, s’infiltre jusqu’à la cage et décale Danis Zaripov au poteau opposé (3-2, 55’04”).
Dans la foulée, le capitaine tchèque Rolinek se procure une occasion, il se prend le chou avec les défenseurs russes et Radulov lui donne un coup dans le dos. Voráček empoigne alors Radulov dans le dos… et se fait mettre au sol en cinq secondes.
Cette phase de quatre contre quatre montre que Bykov a de la suite dans les idées puisque, comme à la mi-match dans une situation similaire, il aligne une « unité spéciale » pour cette configuration : Kovalchuk et Ovechkin ensemble ! Cela fonctionne moyennement avec un breakaway de Petr Průcha, sauvé d’un superbe poke-check par Barulin. Ilya Kovalchuk passe toute la fin de match sur la glace mais ne change pas pour autant le sort de la partie.
Si Ovechkin est encore en rodage, les Russes ont réalisé ce soir leur meilleur match défensif. Meilleur que les précédents, mais pas encore au niveau d’un champion du monde. En l’occurrence au niveau des Tchèques, maintenant assurés de terminer à la première place de leur groupe et qui s’imposent de jour en jour comme les favoris.
La conférence de presse a été bien moins formelle qu’à l’accoutumée. Bykov a tendu à Hadamczik un petit bout de papier. « Un autographe », ont plaisanté à la fois Bykov et Hadamczik quand on leur a posé la question. En fait, selon l’attaché de presse et traducteur tchèque Jan Černý, l’entraîneur russe aurait dessiné dessus un « smiley ». Pas sûr que cela suffise à rendre le sourire à Hadamczik. Il le retrouverait peut-être en apprenant une suspension d’Artyukhin. Après tout, quel amateur de hockey ne préfèrerait pas voir Tarasenko titulaire plutôt que cette brute épaisse ?
Commentaires d’après-match
Alois Hadamczik (entraîneur de la République Tchèque) : « Je ne dis pas qu’Artyukhin est un mauvais joueur, mais qu’il fait des fautes qui ne devraient pas exister aux championnats du monde. Avant le tournoi, on nous a répété à chaque séminaire que les charges à la tête seraient sanctionnées de la manière la plus stricte. C’est une honte que ce ne soit pas le cas. Notre défenseur Martinek a déjà été victime d’une telle brutalité contre la Lettonie. Il y a eu suspension après coup, mais il devrait y avoir pénalité pendant le match. C’est triste quand quelqu’un cherche à blesser les joueurs majeurs. Si on importe ça en Europe de la NHL, la prochaine fois nous amènerons David Kočí [NDLR : bagarreur de NHL… qui a joué à Tampa Bay en 2008/09 avec Artyukhin !]. Je me demande ce que Bykov ressentirait si une chose pareille lui était arrivée quand il jouait. »
Vyacheslav Bykov (entraîneur de la Russie) : « On joue dur, mais pas salement. Toutes les charges d’Artyukkin étaient correctes. Absolument toutes. Il joue dans les règles. Ce type de joueur inspire les autres. Soit c’est une petite vague, soit c’est un tsunami. Tout dépend de la réaction de l’équipe. Elle était assez bonne en troisième période. Mais les erreurs vues au deuxième tiers ne doivent pas être répétées. »
République Tchèque – Russie 3-2 (2-0, 0-1, 1-1)
Dimanche 8 mai 2011 à 20h15 à la Ondrej Nepala Arena de Bratislava. 9308 spectateurs.
Arbitres : Brent Reiber (CAN/SUI) et Thomas Sterns (USA) assistés de Roger Arm (SUI) et Ivan Diedioulia (BLR).
Pénalités : République Tchèque 8’ (2’, 4’, 2’) ; Russie 16’ (0’, 10’, 6’).
Tirs : République Tchèque 33 (11, 12, 10) ; Russie 26 (7, 11, 8).
Évolution du score :
1-0 à 14’01” : Voráček assisté de Rolinek et Skoula
2-0 à 15’52” : Jágr assisté de Plekanec
2-1 à 31’50” : Tereshchenko assisté d’Atyushov et Radulov (sup. num.)
3-1 à 43’27” : Plekanec (tir de pénalité)
3-2 à 55’04” : Zaripov assisté de Kalinin et Zinoviev
République Tchèque
Attaquants :
Roman Červenka (+1) – Tomáš Plekanec (+1, 2’) – Jaromír Jágr (A, +2)
Milan Michálek [puis Prucha à 29’38”] – Patrik Eliáš (A) – Martin Havlát (4’)
Tomáš Rolinek (C, +1) – Jan Marek (+1) – Jakub Voráček (+1, 2’)
Petr Průcha – Jiří Novotný – Michael Frolík (-1)
Petr Hubácek (-1)
Défenseurs :
Zbyněk Michálek – Karel Rachůnek [sorti à 39’25”]
Martin Škoula (+1) – Marek Židlický
Petr Čáslava – Lukáš Krajíček
Ondřej Nemec
Gardien :
Ondřej Pavelec
Remplaçant : Jakub Štěpánek (G). Absents : Jakub Kovář (G), Radek Martinek (commotion cérébrale).
Russie
Attaquants :
Danis Zaripov – Evgeni Zinoviev – Aleksei Morozov (C, 4’)
Ilya Kovalchuk (A) – Aleksei Tereshchenko (2’) – Aleksandr Radulov (A, 2’)
Aleksandr Ovechkin (-1) – Konstantin Gorovikov (-1) – Maksim Afinogenov (-1)
Nikolaï Kulemin – Aleksei Kaïgorodov – Evgeni Artyukhin (4’)
Défenseurs :
Nikolaï Belov (-1, 2’) – Ilya Nikulin (-1)
Fedor Tyutin – Vitali Atyushov (2’)
Dmitri Kalinin – Konstantin Korneev
Aleksei Emelin – Dmitri Kulikov
Gardien :
Konstantin Barulin [sorti à 59’15”]
Remplaçant : Vassili Koshechkin (G). Absents : Evgeni Nabokov (G, aine), Vladimir Tarasenko (surnuméraire).