
En effet, une victoire normande aurait pour effet de priver Donetsk du triomphe annoncé et de couronner les Norvégiens, nouveaux venus de cette finale européenne. Joueurs et entraîneurs des Oilers croient pourtant assez peu à ce scénario : ils ont vu Rouen se prendre douze buts en deux jours, comment pourraient-ils imaginer que cette équipe puisse battre les grands favoris ?
C’est parce qu’ils n’ont jamais connu l’ambiance improbable des dimanches soirs de Superfinale de Coupe Continentale, parce qu’ils n’ont jamais vu les Dragons s’élever bien au-dessus de leur niveau supposé pour battre le club d’Extraliga slovaque de Martinou pour passer les trois buts d’écart nécessaires face au Donbass Donetsk, déjà… Mais c’était avant que les Ukrainiens accèdent à la KHL, ils sont entre-temps passés sur une autre planète. Jamais un club français n’a battu en compétition officielle un représentant du championnat soviétique / russe / « kontinental ».

Les Dragons abordent la rencontre avec prudence. Fabrice Lhenry et sa défense s’appliquent à écarter le palet de l’enclave. Peu à peu, ils prennent confiance et mettent à contribution le gardien adverse Michael Leighton : Anthony Rech sur un palet volé en zone offensive, Juraj Stefanka décalé par Guénette.
Le danger avec le Donbass, ce sont ces longues séquences installées en zone offensive au cours de laquelle l’adversaire est cuit à petit feu. La première séquence de ce type n’est interrompue que par une faute de Desrosiers. Rouen passe alors une minute de plus sans toucher le palet, avant que Rech ne l’intercepte et ne le dégage. L’unité d’infériorité change, et Tavzelj n’arrive pas à sortir le palet de la zone, mais Stefanka revient au back-checking et Loup Benoit dégage pour de bon. La pénalité tuée, les Normands repassent à l’action avec des lancers puissants de Thinel et Desrosiers.

Rouen s’en sort donc honorablement après vingt minutes, et mène même aux tirs cadrés, même si c’est aussi dû au style de jeu des équipes, Donbass attendant le jeu parfait pendant que les Dragons tentent leur chance dès que possible.

Cette fausse joie procurée par un des arbitres et cette invalidation ne déstabilisent pas Rouen qui continue de guetter les erreurs adverses. Michael Leighton, fébrile, se fait une frayeur face à Guénette et Thinel, et comme la défense ukrainienne re-perd le palet, Marc-André Thinel retourne au but pour conclure avec l’aide de Desrosiers qui pousse le palet au fond (1-1).
La séquence de 4 contre 4, due à une friction entre Manavian et Yakutsenia, devrait théoriquement profiter aux patineurs russes. Or, cette phase de jeu est dominée par Rouen, avec de gros efforts de Guénette et Thinel. Pour autant, la moindre erreur peut coûter très cher. Une mauvaise passe en zone défensive de Dimitri Thillet met le feu sur la cage de Lhenry, et la défense se dégage vraiment in extremis. Sachant ce qu’il en coûte à ce niveau, Rodolphe Garnier remplacera pour la fin de match Thillet par Romain Gutierrez, apparu jusqu’ici épisodiquement avec Loup Benoit sur une quatrième ligne incomplète.

Il reste vingt minutes et un but serait fatal au Donbass qui se replie dans un jeu très défensif. Un revers de Thinel longe la ligne de but. Rouen domine la possession, et met ainsi le champion du monde 2010 Lukas Kaspar – très décevant tout le week-end – à la faute, sans parvenir à concrétiser son avantage numérique. Le champion du monde 2012 Tuomas Kiiskinen remonte le palet quand Kaspar sort de prison et se retrouve à 2 contre 1 avec lui face à Janil : le Finlandais lance pourtant très loin du cadre.
Donbass prend l’avantage sur une action partie de façon anodine. Un lancer en entrée de zone de Petteri Wirtanen est repoussé du bouclier par Fabrice Lhenry… sur Tuomas Kiiskinen qui n’a plus qu’à accompagner le palet au fond dans son mouvement (2-1). Mais la réponse du berger à la bergère arrive aussitôt. Marc-André Thinel s’échappe sur l’aile droite et piège Leighton dans un angle impossible (2-2).
La parité est rétablie mais le match a un peu changé d’âme. Maintenant, c’est plutôt Donbass qui domine et contrôle le jeu en évitant les menaces locales.

Le « cycling » du Donbass en zone offensive dans la dernière minute met à mal Rouen et provoque un rebond chaud, dont se saisit Riendeau qui écarte ce dernier palet : ce sera une prolongation, et c’est déjà une victoire pour les Dragons. L’île Lacroix scande alors une Marseillaise tonitruante en l’honneur des champions de France !
La prolongation est équilibrée, avec une occasion de chaque côté. Marc-André Thinel contre un palet en zone neutre et teste Leighton du revers. Un lancer dévié de Wirtanen cause une frayeur à Lhenry.
Tiré d’affaire aux tirs au but contre Stavanger, le Donbass Donetsk doit compter sur une seconde victoire dans cette épreuve pour remporter le trophée.

La suite n’est plus que du bonheur. On change l’ordre des tireurs, et comme le tir de Yakutsenia est arrêté à son tour, c’est maintenant Anthony Rech qui a le palet de la victoire. Oui, Rech, celui-là même qui était le seul Rouennais à surnager dans les mauvaises phases des dernières semaines. Il crucifie Leighton entre les bottes (photo-ci-dessus), et toute une patinoire en noir et jaune crie victoire.

On aura apprécié la dignité du capitaine ukrainien Ruslan Fedotenko (photo) : le double vainqueur de la Coupe Stanley sera le seul de son équipe à applaudir les adversaires pendant les récompenses, et il reviendra des vestiaires avec Dadonov et Kaspar pour écouter l’hymne norvégien.
Un hymne parfaitement légitime, car les Oilers de Stavanger ont été la meilleure équipe sur l’ensemble du tournoi. Ils ont fait un sans-faute et ont réussi, pour un coup d’essai, un véritable coup de maître dès leur première finale. Ils méritent amplement de participer à la future Ligue des Champions, où une invitation de Rouen est aussi en négociation : ce match du rachat pourrait y aider.

Pour autant, ce club de Ligue Magnus qui vient de réussir l’exploit de battre un cador de KHL ne fait aucunement dans la gloriole : un Rodolphe Garnier remonté profite plutôt de la victoire pour adresser les récriminations qui seraient passées pour des excuses les jours précédents après les défaites.
Désignés joueurs du match : Michael Leighton pour Donetsk et Marc-André Thinel pour Rouen.
(photos de Christophe Delaville)
Commentaires d’après-match
Andrei Nazarov (entraîneur de Donetsk) : « On ne va pas chercher d’excuses, nous avons sous-estimé l’adversaire après ses deux défaites. Rouen a au contraire montré son meilleur hockey contre nous. Les Français en sont à leur neuvième participation, ils connaissent la formule de trois rencontres en trois jours. Et la glace à Rouen est très spéciale, la rondelle saute et empêche le jeu technique et rapide. Peut-être que nous aurions dû donner plus de temps de jeu à la quatrième ligne hier pour conserver des forces, mais nous voulions nous évaluer en situation de combat pour mieux nous préparer pour les play-offs KHL, et de ce point de vue, les deux premières lignes se sont bien montrées. Nous avons réalisé qu’aujourd’hui en Europe, les champions de nombreux pays jouent un hockey de qualité. Espérons que cette expérience nous aidera dans la Coupe Gagarine. »

Marc-André Thinel (capitaine de Rouen) : « Ça arrive un peu trop tard. La première raison qui me vient à l’esprit, c’est qu’en Coupe Continentale le niveau est plus élevé. On n’a pas su s’adapter à la vitesse de jeu dès le départ. Le match à Briançon était pourtant du même niveau, peut-être un peu moins rapide, mais je ne sais pas pourquoi, on n’a pas su enchaîner. En même temps, on n’avait pas trop de pression ce soir, on a gardé notre calme. Je ne sais pas s’ils nous ont pris à la légère, tant pis pour eux si c’est le cas. Ça fait un peu de changement avec les Norvégiens qui gagnent, ils méritent vraiment leur résultat. »
Anthony Rech (attaquant de Rouen) : « Il y a un sentiment de gâchis car on vaut mieux que la quatrième place. On s’est donné les moyens de réussir, on a tenu le score au maximum. J’avais tiré un tir de pénalité à Méribel qui avait fonctionné, j’ai voulu faire la même feinte, j’ai vu qu’il était sur ses appuis et j’ai encore tiré tout de suite entre les jambes. C’est vraiment spécial, ça fait plaisir de marquer ainsi et de voir tout le monde survolté. »
Rouen – Donbass Donetsk 4-3 t.a.b. (0-1, 1-0, 2-2, 0-0, 1-0)
Dimanche 12 janvier 2014 à 19h30 sur l’île Lacroix, Rouen. 2747 spectateurs.
Arbitrage de Martin Frano (TCH) et Jean-Philippe Sylvain (CAN) assistés de Matjaz Hribar (SLO) et Michael Tscherrig (SUI).
Pénalités : Rouen 4′ (2′, 2′, 0′, 0′) ; Donetsk 6′ (0′, 4′, 2′, 0′).
Tirs : Rouen 32 (11, 12, 6, 3) ; Donetsk 31 (9, 9, 11, 2).
Évolution du score :
0-1 à 13’06 » : Dadonov aassisté de Yakutsenia et Nedorost
1-1 à 29’14 » : Thinel assisté de Desrosiers et Guénette
1-2 à 48’31 » : Kiiskinen assisté de Wirtanen
2-2 à 50’00 » : Thinel assisté de Janil et Desrosiers
2-3 à 55’18 » : Wilson assisté de Kiiskinen et Fedotenko
3-3 à 55’29 » : Desrosiers assisté de Guénette et Thinel
Tirs au but :
Rouen : Vas (à côté), Riendeau (arrêté), Desrosiers (poke-check).
Donetsk : Robitaille (arrêté), Nedorost (arrêté), Dadonov (arrêté).
Tireurs supplémentaires : Yakutsenia (D, arrêté), Rech (R, réussi).
Rouen
Gardien : Fabrice Lhenry.
Défenseurs : Antonin Manavian (+1, 2′) – Miloslav Guren (+1) ; Andrej Tavzelj (A, +1) – Lauri Lahesalu (+1) ; Raphaël Faure (-2) – Jonathan Janil (-2).
Attaquants : Julien Desrosiers (+2, 2′) – François-Pierre Guénette (A, +1) – Marc-André Thinel (C, +2) ; Anthony Rech – Janos Vas – Yannick Riendeau ; Loïc Lampérier (-1) – Juraj Stefanka (-2) – Dimitri Thillet (-1) ; Romain Gutierrez (-1) – Loup Benoît.
Remplaçant : Gabriel Girard (G). Absents : Juho Mielonen (fracture de la clavicule), Léo Guillemain (joue en U22), Anthony Goncalves (joue en U22), Johan Saint-André (joue en U22).
Donbass Donetsk
Gardien : Michael Leighton.
Défenseurs : Jan Kolar – Oleg Piganovich (-1) ; Peter Podhradsky (-1) – Clay Wilson ; Oskars Bartulis – Gennadi Razin (+2).
Attaquants : Teemu Laine (-1, 2′) – Ruslan Fedotenko (C, +2) – Petteri Wirtanen (+2) ; Evgeni Dadonov (A, -1) – Vaclav Nedorost (-1) – Maksim Yakutsenia (A, -1, 2′) ; Dmitri Kagarlitsky – Randy Robitaille (-1) – Lukas Kaspar (-1, 2′) ; Oleksandr Toryanyk – Sergi Varlamov – Tuomas Kiiskinen (+2).
Remplaçants : Jan Laco (G), Denys Petrukhno, Roman Blagy.









































