Pour couronner son Mondial à domicile par un quart de finale (un seuil qu’elle n’a atteint qu’une fois sur les treize dernières années), la Lettonie a besoin d’un exploit : prendre au moins un point face à une équipe de Suisse qui joue comme une candidate majeure au titre depuis le début du tournoi. Il n’y a évidemment plus de débat sur le fait que la patinoire soit pleine pour ce match décisif. Dans la fan zone, une immense foule impressionnante s’est massée devant deux écrans géants. Rubins et Golovkovs ont été ajoutés avant ce match à la place de Mamčics et Džeriņš blessés.
La Suisse n’a pas d’enjeu direct, sinon de terminer la phase de poules sans avoir perdu le moindre point. Ce serait une immense performance, très rare dans un championnat du monde : la dernière équipe à l’avoir réussie est la Russie en 2019, avant le Covid. Mais la composition de l’équipe a de quoi faire grincer les dents des Slovaques, dont la qualification pour les quarts dépend de la bonne volonté helvète. Patrick Fischer aligne son troisième gardien Joren van Pottelberghe, qui n’a pas encore joué du tournoi. Surtout, il a laissé au repos trois de ses attaquants de NHL (Hischier, Niederreiter et Malgin)… et ne présente que 10 attaquants ! La Suisse ne fait pas même semblant de se préoccuper outre mesure de ce match qui décidera du sort de ses adversaires.
Les observateurs les plus perspicaces de la Nati auront noté que c’est Genoni qui est sur le banc… ce qui présage possiblement d’une titularisation de Robert Mayer pour le quart de finale face à l’Allemagne jeudi !
La Lettonie, elle, est prête à jouer à fond, sans la moindre arrière-pensée ou peur de se blesser, à l’instar de Kristaps Zile et Rodrigo Abols qui se jettent tour à tour devant les lancers suisses. Les seules occasion sont donc baltes. La passe du revers de derrière la cage d’Oskars Batna est détournée du bâton par le gardien de Bienne mais arrive quand même sur Roberts Bukarts, seul face au but. Mais la finition ratée rappelle que cet attaquant expérimenté est réputé ne pas savoir mettre le palet au fond. Après douze minutes de jeu, le compteur de tirs indique 7 à 0 pour la Lettonie !
Les premières tentatives suisses surviennent sur une longue séquence installée d’une minute et demie au cours de laquelle Dzierkals a perdu sa crosse. Il arrive à foncer au banc pour se faire remplacer : ses compagnons d’infortune (Freibergs, Balinskis et la ligne de Batna) doivent avoir le souffle très court après avoir passé 2 minutes de suite sur la glace ! La Suisse enchaîne avec un gros temps fort et maintient la pression : Kevin Fiala sort du coin pour tester de près Šilovs, qui bloque de l’épaule un tir croisé du cercle droit de Christoph Bertschy sur l’action suivante. Kristians Rubins se jette pour contrer le palet dans la crosse de Sven Senteler qui s’approche dangereusement de la cage. Les statistiques se sont totalement inversées avec 9 tirs de suite pour la Nati !
Même si son élan s’est brisé net au premier tiers-temps, la Lettonie repart de l’avant en deuxième période. Son premier tir, envoyé de la ligne bleue par Ralfs Freibergs (à droite sur la photo ci-dessus), entre dans la lucarne opposée de Van Pottelberghe. L’entraîneur suisse Patrick Fischer utilise son challenge pour réclamer une obstruction de Rihards Bukarts sur son gardien, mais celui-ci est en dehors de la zone bleue et le contact est léger. Après avoir observé longtemps les images, les arbitres maintiennent leur décision (1-0) et la Suisse prend donc une pénalité, la première du match. Pendant cette infériorité numérique, Janis Moser jongle avec le palet dans l’enclave qu’il envoie volontairement hors du jeu. En tentant lui aussi de dégager en l’air, Glauser a touché le casque d’Indrasis mais a échappé à une pénalité sur crosse haute. La Suisse joue 39 secondes à 3 contre 5, cela aurait pu faire deux minutes de plus. Elle en sort sans mal grâce à l’épaule gauche de Joren van Pottelberghe repousse un lancer de Balinskis.
Dès qu’elle revient au complet, la Suisse retourne à l’attaque. Enzo Corvi gagne un engagement en zone offensive – face à Smirnovs – en direction de Kevin Fiala qui contrôle et place son tir à mi-hauteur à travers une forêt de joueurs (1-1). C’est le premier but du tournoi pour Fiala, qui était très en vue mais pas en réussite. Mais 32 secondes plus tard, la Lettonie reprend déjà l’avantage. Après un rapide jeu de transition collectif, Rodrigo Abols passe la ligne bleue en plein élan, déborde Andrea Glauser et arrive à repiquer devant la cage (2-1, photo ci-dessous). Dzierkals essaie de reproduire exactement la même action mais Christian Marti, lui, ne se laisse pas pousser si facilement et envoie l’attaquant letton au sol d’un bon coup d’épaule.
Une minute avant la mi-match, une longue passe de Romain Loeffel trouve Gaëtan Haas à la ligne bleue entre les défenseurs Freibergs et Čukste. En face-à-face avec Šilovs, l’attaquant de Bienne réalise une bonne feinte mais n’arrive pas à lever suffisamment son revers, qui touche le haut de la botte du gardien. Pendant que Fiala est en prison pour crosse haute, la Suisse se dégage efficacement. Elle reprend ensuite la possession… mais sur une rare contre-attaque balte, Loeffel accroche Indrasis pour l’empêcher de reprendre au second poteau un centre de Roberts Bukarts. Ces pénalités à répétition compliquent la tâche de la Nati, même si elle n’encaisse pas d’autre but, Van Pottelberghe repoussant le tir à mi-distance d’Indrasis.
Le premier coup de sifflet à l’encontre de la Lettonie retentit à une minute de la fin du deuxième tiers-temps, pour une crosse de Daugavins au mention de Siegenthaler. Zile contre un tir de Fiala et sort le palet de la zone. Le travail de sape de Batna gagne du temps. Mais quand Haas est servi seul dos au but par Fiala, il prend sans doute la mauvaise option en faisant une passe supplémentaire. La supériorité numérique se poursuit au retour de vestiaires et le tir du cercle droit de Corvi frappe en pleine tête (dans le casque) le malheureux défenseur Kristaps Zile, dont la nuque sera longuement traitée par les kinés sur le banc.
Gaëtan Haas réussit un habile numéro de jongle avec le palet en arrivant du côté droit, et en se couchant devant lui pour lui barrer l’accès de l’enclave, Janis Jaks le fait tomber. Très dur au mal, Kristaps Zile est de retour sur la glace pendant cette infériorité numérique pour se jeter de nouveau devant tous les tirs… mais il n’a pas décidément pas de chance. Le one-timer de Damien Riat dans le cercle gauche ricoche sur le patin de Zile en plein plongeon puis sur la jambe de Miranda. Un coup de billard qui finit au fond des filets (2-2, photo ci-dessous).
Encore une fois, la Lettonie est proche de repasser immédiatement devant : le centre d’Indrasis est repris par Dans Ločmelis… sur la barre transversale ! Le public tremble donc car la qualification de ses protégés reste suspendue à un fil, et à un but. Il donne de la voix encore plus fort pour se donner du courage, et pour en donner à son équipe qui résiste. Mais à force de s’être mise à reculer, la Lettonie encaisse un autre but, une reprise du cercle gauche de l’éternel Andres Ambühl dans la lucarne opposée (3-2).
Les Baltes doivent égaliser pour se qualifier mais ils continuent de subir le jeu dans sa zone. On voit mal comment ils vont s’en sortir, mais sur une transition rapide, Glauser n’arrive pas à capter un palet du gant en zone neutre. Rodrigo Abols et Kaspars Daugavins obtiennent donc un 2 contre 1 et l’exécutent à la perfection (3-3). Les allers-retours émotionnels ont mis en transe un public submergé par une effluve de sentiments. Il souffre car les rouges continuent de pousser et de faire le siège de la zone offensive. La Lettonie n’a plus d’avantage de profondeur puisqu’elle a réduit sa rotaton à trois lignes.
À 35 secondes de la fin, le phénoménal Zile contre le palet dans la crosse de Tanner Richard et provoque une contre-attaque. Le danger revient par Fiala et Bertschy qui reviennent à l’assaut de la cage à 7 secondes de la fin. Bertschy y prend un cross-check de Cukste dans le visage, non sanctionné. Seuls Daugavins et Fiala vont en prison pour une altercation, et surtout, l’engagement est en dehors de la zone offensive. C’est suffisant pour faire défiler le chronomètre. La Lettonie est en quart de finale.
Joueurs et spectateurs ne veulent qu’une seule chose : fêter la qualification… mais il y a une prolongation à jouer. Elle n’est pas neutre : si la Lettonie la gagne, elle sera troisième de poule devant les Tchèques et affrontera la Suède, pas les États-Unis. Dans ce temps supplémentaire, Oskars Batņa s’infiltre au but, reprend son propre rebond… et est retenu par Tanner Richard. L’entraîneur Harijs Vitoliņš utilise son temps mort pour donner ses consignes avant cette séquence à 4 contre 3. Rudolfs Balcers reprend dans le cercle droit la passe de Balinskis, côté mitaine (3-4, photo ci-dessous). Les larmes coulent, et ce sont des larmes de joie. Sauf celles des Slovaques qui doivent regarder ça le coeur brisé…
Désignés joueurs du match : Kevin Fiala pour la Suisse et Rodrigo Abols pour la Lettonie.
Commentaires d’après-match :
Harijs Vītoliņš (entraîneur de la Lettonie) : « Les émotions sont fantastiques. On vit pour des moments comme celui-là. Je ne veux pas parler de la beauté du match, c’était un victoire du caractère. Quand nous en avions besoin, nous avons trouvé la force pour gagner en équipe. Je veux être sûr que le travail bien fait est récompensé. Nous avons travaillé si dur en préparation, couru, poussé, levé des poids. Aujourd’hui, nous nous sommes battus comme des bêtes. Je ne veux même pas parler de notre qualité tactique, nous avons trouvé a force de redresser une situation perdue et de gagner en prolongation. »
Ralfs Freibergs (défenseur de la Lettonie) : « Un des buts les importants de ma carrière. Je l’ai gardé en réserve pendant longtemps, c’est mon septième championnat du monde. Je l’ai sorti quand il le fallait. Il y a eu la même situation en première période, je l’ai donné à Balim [Uvis Balinskis] pour lancer et rien n’en est sorti. Je me suis dit que je tirerais la prochaine fois. Cela s’est très bien passé. Nous n’avons pas joué au hockey en troisième période, mais nous avons combattu dur pour un point. Silovs nous a aidés, la glace aussi car le palet a sauté quelques fois. Nous sommes un collectif. Nous le méritons plus que les Slovaques, vu comment ils ont joué leurs derniers matches. Zile, on peut compter sur lui. Pas de prétention, de la sécurité. En fait, cette année tous les défenseurs sont sûrs, les autres années on se disait, mieux vaut pas y aller avec lui… On ne parle pas assez des défenseurs lettons, tout le monde ne fait attention qu’aux gardiens. Pourquoi je n’ai pas été désigné meilleur joueur ? Je n’ai pas d’explication. Que faire de plus ? Un défenseur doit marquer un hat-trick pour avoir le prix. »
Joren van Pottelberghe (gardien de la Suisse) : « Je me suis senti bien au début, je voulais montrer plus mais il y a du positif. J’ai eu la première info après le match de samedi, c’était définitif hier. Même si je n’avais pas joué, j’étais concentré pendant le tournoi. Ma préparation du match a commencé de matin. Personnellement, j’aurais aussi pris le challenge, peut-être que j’aurais dû être plus agressif et faire un pas en avant dans cette situation. »
Patrick Fischer (entraîneur de la Suisse) : « Nous avons essayé de trouver des trous en zone offensive, nous n’avons pas perdu de palets. Les Lettons n’ont pas eu plus de cinq occasions à 5 contre 5. Pour eux tout était en jeu, pour nous rien. Ils savaient que nous jouions avec le troisième gardien et que nous avions reposé des joueurs. C’est difficile d’aborder un tel match, le plus important est que personne ne se blesse mais il faut quand même être prêt parce que l’adversaire est super motivé. On ne peut sûrement pas dire que nous n’avons pas essayé de gagner. Les Lettons sont une bonne équipe, pour la Suède jeudi le match ne sera pas une évidence. L’Allemagne a été forte en première phase, une mission difficile nous attend. »
photos IIHF
Suisse – Lettonie 3-4 après prolongation (0-0, 1-2, 2-1, 0-1)
Mardi 23 mai 2023 à 20h20 à la Riga Arena (LET). 9178 spectateurs.
Arbitres : Mikko Kaukokari (FIN) et Sean MacFarlane (USA) assistés de Brett Mackey (CAN) et Jiří Ondráček (TCH).
Pénalités : Suisse 12′ (0′, 8′, 2′, 2′) ; Lettonie 6′ (0′, 2′, 4′, 0′).
Tirs : Suisse 32 (9, 10, 12, 1) ; Lettonie 28 (8, 9, 6, 5).
Évolution du score :
0-1 à 21’43 : Freibergs assisté d’Indrasis
1-1 à 26’02 : Fiala assisté de Corvi
1-2 à 26’34 : Abols assisté de Balcers et Freibergs
2-2 à 47’03 : Miranda assisté de Riat et Corvi
3-2 à 53’46 : Ambühl assisté de Fiala et Corvi
3-3 à 54’56 : Daugaviņš assisté d’Abols et Balcers
3-4 à 62’25 : Balcers assisté de Balinskis et Jaks (sup. num.)
Suisse (2′ pour retard de jeu)
Attaquants :
Kevin Fiala (+1, 4′) – Enzo Corvi (+2) – Andres Ambühl (A, +2)
Marco Miranda (-1) – Gaëtan Haas (C, -1) – Dario Simion (-1)
Fabrice Herzog – Tanner Richard (2′) – Christoph Bertschy
Sven Senteler (-1) – Damien Riat
Défenseurs :
Jonas Siegenthaler – Michael Fora
Janis Moser (+1, 2′) – Andrea Glauser (-1)
Christian Marti (A) – Romain Loeffel (2′)
Tobias Geisser (-1)
Gardien :
Joren van Pottelberghe
Remplacant : Leonardo Genoni (G). Non alignés : Robert Mayer (G), Dean Kukan (D), Nino Niederreiter, Nico Hischier, Denis Malgin (A). Substitué sur blessure : Calvin Thürkauf (épaule).
Lettonie
Attaquants :
Rudolfs Balcers (+2) – Rodrigo Ābols (A, +2) – Kaspars Daugaviņš (C, +2, 4′)
Roberts Bukarts (A) – Oskars Batņa (-1) – Mārtiņš Dzierkals (-1)
Toms Andersons (-1) – Deniss Smirnovs (-2) – Renars Krastenbergs (-2)
Rihards Bukarts (+1) – Dans Ločmelis (+1) – Miks Indrašis (+1)
Georgs Golovkovs (-1)
Défenseurs :
Kristaps Zīle – Uvis Jānis Balinskis (+2)
Jānis Jaks (-2) – Kristiāns Rubīns (-1)
Ralfs Freibergs (+2) – Kārlis Čukste (+1)
Oskars Cibuļskis (-3)
Gardien :
Artūrs Šilovs
Remplaçant : Kristers Gudļevskis (G). Réservistes : Ivars Punnenovs (G), Arvils Bergmanis (D), Ronalds Ķēniņš (A, dos). Substitués sur blessure : Roberts Mamčics (D, hernie discale), Andris Džeriņš (A).