Après avoir présenté qui était Frison-Roche et comment il fit ses classes d’écrivain en rédigeant les articles sur le hockey sur glace à Chamonix, intéressons-nous de plus près à ses écrits durant la saison 1931/32.
Il continua de chroniquer les matches internationaux du Chamonix Hockey Club (par exemple contre Servette) mais ceux-ci ne constituaient plus les grands évènements de la saison du hockey français. En effet, à l’intersaison, le promoteur américain Jeff Dickson avait fait installer une patinoire au centre du Vel d’Hiv et créé l’évènement à Paris. À Chamonix on appréciait modérément ce hockey parisien, et au détour d’un double compte-rendu une phrase de Frison-Roche trahissait encore son sentimentr : « Chamonix et Lausanne jouèrent un jeu absent de toute brutalité et cela nous changea des rencontres avec Paris »…
Un article de Roger Frison-Roche paru dans le Petit Dauphinois traduit certainement la perception qui avait alors à Chamonix. Rappelons que ce club avait porté le flambeau du hockey français depuis une décennie avant de se voir soudain relégué aux oubliettes. Voici le texte de cette diatribe, intitulée « PARIS VIENT DE DÉCOUVRIR LE HOCKEY SUR GLACE »r :
Les Parisiens sont heureux, les Parisiens nagent dans la joie, ils viennent de découvrir et de « lancer » un sport inconnu jusqu’à ce jour : le hochey sur glace. Les pages des journaux sportifs se remplissent de comptes-rendus élogieux autant qu’extraordinaires sur les péripéties des rencontres. Un malin, Jeff Dickson, entasse dans ses coffres des sommes fabuleuses. Certes les Parisiens savaient que dans les pays étrangers on jouait au hockey, principalement au Canada et aux États-Unis. Mais en France, peuh, le hockey sur glace vient de naître. Et tous les jours on apprend que les joueurs français font des progrès surprenants. Il est vrai que Paris possède trois vedettes bien françaises, qui se chargent, à elles seules, de gagner ou de perdre tous les matches. Ouvrez un grand journal de sports, vous y verrez des photos pleine page de Ramsay, Besson et Michaelis, les trois Anglo-Américano-Canadiens, mis en vedette par la publicité admirablement faite de Jeff Dickson. De temps en temps un petit entrefilet signale bien « que la ligne d’avants était composée de trois joueurs chamoniards », mais passons, qu’est-ce qu’une ligne d’avants, je vous le demande, zéro. Et puis connaissez-vous les joueurs chamoniards, en avez-vous entendu parler ? Jamais, sans doute.
On va plus loin. Lorsque les Chamoniards ont le malheur, de marquer un but dans l’équipe mixte qui est opposée aux équipes étrangères, on leur enlève même l’honneur de l’avoir fait. On lit : Paris a marqué trois buts, deux par un tel, l’autre par chose. Les vedettes entrent en ligne de compte. Le Canada, représenté par sa fameuse équipe d’Ottawa, vient matcher en France. Surprise générale, opposée à une équipe mixte Paris-Chamonix, elle fait match nul ! Cela ne s’était jamais vu ! Alors les journaux d’entonner tous en chœur ce refrain stupide : « Les Canadiens venus en France donnent l’impression d’une équipe ne possédant pas le brio de ses devancières. Rappelons-nous la formidable équipe canadienne de 1924 » La même équipe va à Berlin, et triomphe du Berliner Schlittschuhclub par 2 à 1. Et si l’on a bonne mémoire, Chamonix fit match nul avec les champions d’Europe. Pourquoi ne pas souligner tout bonnement ce qui est l’expression de la vérité, que les équipes européennes, qu’elles soient françaises, suisses, allemandes ou anglaises, ont fait en quelques années des progrès tels qu’une rencontre avec la meilleure équipe canadienne demeurera toujours indécise pour cette dernière. Cela ne veut pas dire que les Canadiens ont perdu pied. Ils sont toujours les excellents joueurs que nous avons vus en 1924, mais leurs adversaires d’Europe ont progressé magnifiquement. La vogue des sports d’hiver en Europe en est la cause. La France n’a pas attendu Ramsay, Besson et Michaelis pour soutenir de façon souvent victorieuse et toujours très honorablement ses couleurs devant les nations étrangères.
Enfin des éléments comme Hassler, Quaglia, Simond, Munz, pour ne citer que ceux qui ont joué le plus souvent cet automne, sont nettement supérieurs aux joueurs étrangers incorporés dans les grands clubs parisiens. Il est vrai qu’ils ont un gros défaut, ils jouent à la française, de façon chevaleresque, sans brutalité. Le public parisien peu initié ne saisit pas toute la beauté de leur « fair-play » et préfère la puissance brutale et rageuse des joueurs anglo-américains.
Pour terminer, rappelons aux journalistes sportifs parisiens un peu d’histoire : c’est en 1910, que fut fondée en France la première équipe de hockey sur glace, le Chamonix-Hockey-Club, et à la même époque des rencontres étaient organisées entre Chamonix et l’équipe du Club des Patineurs de Paris, l’ancêtre des clubs de glace. À l’étranger, depuis quelques années déjà, les Belges, les Allemands et les Suisses possédaient leurs équipes de hockey. Sans parler de la Suède ou de la Norvège, où le bandy a toujours été en honneur. Le hockey sur glace a donc plus de vingt ans d’existence en France ! Jeff Dickson et les Parisiens n’ont donc rien découvert, et, pour une fois, la province a devancé, et de combien, la capitale. Voilà qui va satisfaire notre orgueil de provinciaux et de Savoyards.
Ce contexte transparaît dans le compte-rendu du match entre Chamonix et la Sélection de Paris, où l’on est si agacé du résultat (et d’un but qui serait passé par les filets troués) qu’on oblige le journal à le rectifier le lendemain dans un erratum. En face, c’était pourtant une simple sélection avec des joueurs officiant parfois dans les équipes-réserves.
Chaque venue des Parisiens est un évènement, et ils sont donc entre 3000 et 4000 spectateurs pour le grand choc Chamonix – Stade Français.
Par rapport à ces rivaux parisiens, tous les Savoyards sont frères. C’est ainsi que Saint-Gervais est la « belle station voisine et amie » dans le compte-rendu de Frison-Roche sur le match Saint-Gervais – Chamonix joué trois jours plus tôt, un match historique car c’est la première fois qu’une autre équipe alpine se frotte à l’équipe première de Chamonix, jusqu’ici seule au monde. Comme quoi la concurrence ne vient – et ne viendra – pas seulement de Paris…