Voici notre deuxième volet de la présentation de KHL 2023/2024, consacrée à la division Kharlamov, établie des deux côtés de l’Oural et qui fait partie de la Conférence Est comme la division Chernyshyov. On y retrouve le meilleur effectif de la ligue, qui devra gérer les individualités pour être pleinement qualifié de favori, mais aussi le seul Français en lice, Stéphane Da Costa, toujours en quête d’un titre.
Il y a un an, l’Ak Bars Kazan avait recruté trois superstars d’un coup (Radulov, Shipachyov et le défenseur Vyacheslav Voinov) mais la panthère blanche n’avait été qu’un tigre de papier sous la férule du coach-vedette Znarok. Il avait fallu que son prédécesseur à la tête de l’équipe de Russie, Zinetula Bilayeltdinov, sorte de sa retraite pour organiser un vrai collectif capable de performances dignes (demi-finale).
Bilyaletdinov a rempilé et le club du Tatarstan a encore réalisé le recrutement le plus impressionnant. Il a profité des difficultés du SKA avec le plafond salarial (auquel il est bizarrement imperméable) pour se servir dans l’effectif le plus riche. Le seul attaquant majeur parti, Dmitri Voronkov (vers Columbus), a ainsi été avantageusement remplacé par rien moins que le meilleur marqueur de saison régulière, Dmitrij Jaškin, lui aussi très physique et capable de s’imposer dans l’enclave. Jaškin reforme avec le centre Vadim Shipachyov et l’ailier attiré vers le jeu offensif Dmitri Kagarlitsky le trio qui a dominé la ligue sous les couleurs du Dynamo Moscou en 2020/21.
Ce n’est pas tout. Il était trop tentant d’attirer d’attirer Damir Zhafyarov – Moscovite mais d’origine tatare – comme il était impossible de ne pas accueillir Evgeny Svechnikov. Ce revenant direct de NHL avait quitté Kazan en 2014 comme star de l’équipe de Russie des moins de 18 ans mais n’a pas connu le développement attendu quand Detroit l’avait choisi au premier tour de draft. Sans doute n’a-t-il pas retrouvé sa vivacité depuis sa saison blanche 2018/19 sur blessure, survenue au moment même où son frère cadet Andrei explosait.
Mais ces deux hommes arrivent dans une attaque aux rôles déjà distribués, où Aleksandr Radulov et Stanislav Galiev monopolisent le temps de jeu en powerplay. Svechnikov et Zhafyarov doivent se contenter de 10 minutes par match, comme en NHL pour le premier, bien moins qu’au SKA (15 minutes) pour le second. Sur le papier, Ak Bars a bien la meilleure attaque et le plus de talent offensif. Mais c’est un effectif où il paraît difficile de gérer les susceptibilités, surtout pour Bilyaletdinov qui a toujours eu la réputation d’un entraîneur défensif incapable de diriger trop de stars.
Après avoir fait des merveilles avec un petit budget au Severstal Cherepovets, Andrei Razin rejoint le club dont il fut le chef d’orchestre pendant sa carrière de joueur, le Metallurg Magnitogorsk. Il a amené deux défenseurs dans ses valises : le Suédois Robin Press, qui sera son atout majeur à la ligne bleue en supériorité numérique, et Yakar Khabarov, qui sera son homme de confiance en infériorité numérique. Tous trois vont changer de dimensions – pas seulement salariales – en quittant une ville sidérurgique pour une autre.
Pendant son contrat de deux ans, on attend de Razin qu’il se mêle à la lutte pour le titre. Avec des joueurs talentueux à sa disposition, il peut mettre en place ce hockey vivant et spectaculaire qui est ancré dans la culture du club de l’Oural. Mais a-t-il dans son effectif un centre aussi créatif qu’il l’était lui-même en tant que joueur ? Magnitka a perdu tous ses centres sauf Denis Zernov. Le numéro 1 Philippe Maillet était proche de re-signer mais n’a pas pu refuser la chance offerte par son club de cœur, les Canadiens de Montréal.
Comme Razin est fâché depuis des années avec l’agent au plus large portefeuille de joueurs étrangers (Aljoša Pilko), il a fallu se rabattre sur deux profils moins connus n’ayant jamais quitté la sphère NHL/AHL, le Québécois Jean-Sébastien Dea et l’Américain Luke Johnson, qui ont bouclé la dernière saison avec deux des six pires fiches +/- de toute l’AHL (-22 et -26, à chaque fois la plus mauvaise de leurs équipes respectives). Quant à l’autre recrue-phare, le meilleur joueur du Kazakhstan Nikita Mikhailis, il n’a jamais quitté son pays et doit se confronter aux exigences de ce nouvel environnement.
Razin est donc loin de disposer d’une belle équipe toute faite. Mais il aime développer les joueurs et n’a pas abandonné cet état d’esprit parce qu’il rejoignait un grand club. Le défenseur Danil Gololobov et les attaquants Danila Yurov, Roman Kantserov et Nikita Grebyonkin, tous âgés de 19 ou 20 ans, sont bel et bien titulaires à part entière. Le recrutement du vétéran Sudnitsin n’est qu’une couverture comme troisième gardien et c’est bien Ilya Nabokov (20 ans) qui est la doublure désignée du titulaire formé au club Artyom Zagidulin, qui rentre de deux ans en Finlande et que beaucoup pointent comme le point faible. Razin n’a pas peur de donner leur chance aux jeunes, ce que le Metallurg ne savait plus faire ces dernières années.
L’Avtomobilist Ekaterinbourg est l’équipe qui avait le plus à perdre de la diminution des étrangers en KHL. Si tout le monde devait passer de 5 à 3, elle risquait en effet de passer de… 7 à 3 ! Depuis deux ans que les joueurs du Kazakhstan ne sont plus considérés comme étrangers, le club de la quatrième ville de Russie a en effet profité de l’aubaine pour engager les Nord-Américains naturalisés par le Barys. C’était avant que la stratégie du club du Kazakhstan ne soit remise en cause par le public de ce pays, et les doubles nationalités illégales aussi. Au printemps dernier, on apprenait que Jesse Blacker et Curtis Valk n’avaient pas renoncé à leur citoyenneté originelle et ne pouvaient donc plus représenter le Kazakhstan. La KHL, pourtant, ferme les yeux et continue de les considérer comme tels… Ils ne rentrent toujours pas dans le quota d’importés.
Cette décision est d’une extrême importance pour l’Avtomobilist. Elle lui permet de conserver intégralement le top-6 offensif qui a fini la saison, c’est-à-dire les trios Makeyev – Valk – Macek et Shirokov – Da Costa – Golyshev. Des lignes qui se mélangent quand Stéphane Da Costa rejoint les Nord-Américains sur le powerplay où il joue évidemment un rôle majeur. Cela a permis au club de limiter les changements à quelques substitutions poste pour poste, réussies en faisant de belles offres à quelques-uns des meilleurs agents libres sur le marché. Aleksei Byvaltsev, auteur de 39 points au Traktor, compense ainsi le départ de Patrice Cormier en faisant un beau centre de troisième ligne.
En défense, Aleksei Vasilyevsky (rentré dans sa ville natale Oufa), leader de l’équipe avec 152 tirs bloqués, a été substitué par Kirill Vorobyov (Neftekhimik) qui a mené pour sa part toute la KHL (192 tirs bloqués) plus Maksim Osipov (115). Ces recrutements de purs défenseurs défensifs – très prisés en Russie au moment où ils disparaissent ailleurs – a permis de ne pas céder tout de suite aux exigences salariales de Nikita Tryamkin : le géant aux 124 tirs bloqués, qui était passé en NHL pendant plus d’un an avant de revenir dans sa ville natale, a prolongé son contrat tardivement et sera toujours là. Enfin, le gardien suédois Johan Mattsson a été remplacé par Evgeny Alikin (Amur), un des gardiens russes les plus constants sur ces dernières années. L’Avtomobilist est donc de force équivalente et reste une des meilleures formations de la ligue. Son but sera de ne plus l’être seulement en saison régulière, mais aussi – et enfin ! – en play-offs.
Le Traktor Chelyabinsk a été l’an passé le principal éliminé des play-offs, neuvième de la Conférence Est. Cela constituait un gros échec eu égard à son statut et à son budget. Un nouveau manager général, Aleksei Volkov (ex-Avangard), a été embauché pour remédier à cet accroc. Il a eu à gérer une affaire extrasportive pendant l’été : Aleksandr Shinin, ex-capitaine de l’équipe devenu « directeur du développement sportif », a été arrêté pour possession de méphédrone, une drogue de synthèse très répandue en Russie. La figure du club a été promptement renvoyée malgré ses services rendus autrefois comme joueur (défenseur au grand sens du sacrifice).
La priorité de Volkov était le poste de gardien, dont l’instabilité avait certainement coûté la qualification. Il a engagé un joueur passé douze ans après par la même famille d’accueil que lui en junior à Halifax (le monde est peti !), le champion du monde junior 2015 Zach Fucale. En trois ans de contrat avec Montréal, qui l’avait repêché au deuxième tour, ce Québécois n’a jamais joué un seul match pour les Canadiens. C’est avec Washington, à 26 ans, qu’il a fait ses débuts en NHL… et battu un record de la ligue en mettant 138 minutes à encaisser ce premier but ! Mais il n’a pas confirmé sur la durée. C’est ce qu’on reproche à Fucale, très économe de ses mouvements et très bien positionné : son endurance, notamment sur les tirs multiples. Champion d’AHL en juin avec Hershey, il était titulaire en saison régulière mais a perdu sa place pendant les play-offs. Ayant fait le choix de la Russie malgré une femme enceinte restée au Canada (elle attend leur second enfant pour décembre), Fucale aura un rôle-clé dans la saison du Traktor.
L’attaque du club reste de haut niveau, peut-être même meilleure. Le trio d’expérience Burdasov-Kalinin-Soshnikov n’a pas changé et sait travailler dans les deux sens pour dominer les lignes adverses. Le duo Tkachyov-Shabanov s’entend parfaitement avec un sens de la passe affirmé. Un nouveau jeune trio s’est constitué autour de Semyon Der-Agunchintsev, qui ne veut plus perdre son temps en AHL, et de Vitali Kravtsov, à qui le club a encore déroulé le tapis rouge – et le gros contrat – même s’il n’a pas montré une grande fidélité en ayant déjà cherché par deux fois à partir en NHL (sans vraiment s’y imposer avec 14 points en 64 matches au total). Si ces deux espoirs se développent enfin au niveau de leur talent, le Traktor aura trois lignes fortes et pourrait figurer dans le haut du tableau.
Le Neftekhimik Nijnekamsk a en Russie l’image du club pas du tout glamour. Il a aussi l’étiquette d’un club rapia. Quand un joueur part, on lui demande de restituer ses patins, son maillot et tout son équipement, ou on lui présente la facture s’il veut les garder. Autant dire qu’avec cette attitude, il n’a guère d’envie de dépasser le plancher salarial. Pourtant, cela fait deux ans qu’il déjoue les pronostics en se qualifiant en play-offs. Il l’a même fait l’an passé en se remettant d’une série de 10 défaites initiales. Mais cela s’annonce encore plus compliqué de garder dans le rétroviseur le Traktor, qui ne se rate jamais deux fois de suite, et l’Amur, devenu beaucoup plus fort.
Les espoirs tatars se fondent sur deux retours. Lukáš Klok jouait au Neftekhimik quand il s’était révélé par ses solides prestations aux Jeux olympiques 2022. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, il s’était entendu avec le club pour ne pas honorer son contrat de deux ans. Mais après une saison d’errance (Arizona, Rögle, Lugano), il a choisi de revenir en KHL en demandant à ce que son contrat reste secret le plus longtemps possible pour éviter de se faire pourrir sur les réseaux sociaux tchèques (raté, ça s’est su).
L’évènement est surtout le retour du fils prodigue Nail Yakupov dans sa ville natale, où il retrouve son cousin Raul (de 11 ans plus jeune). Il y a 11 ans, justement, Yakupov avait joué ses seules rencontres pour le Neftekhimik, juste après avoir été choisi en numéro 1 de la draft, en attendant que le lock-out NHL s’achève. Il y avait inscrit 18 buts en 22 matches, enchaînait sur le même tonneau avec Edmonton (31 points en 48 matches) et semblait se diriger vers une grande carrière. Mais, en NHL comme ensuite en KHL, la belle première impression a laissé place à un joueur éternellement décevant et devenu très secondaire. Bientôt trentenaire, Yakupov tentera d’être au moins prophète en son pays et de devenir le leader offensif de son club formateur.
Réclamant depuis des années son admission en KHL, le Lada Togliatti a été exaucé. Ses récents mérites sportifs ne plaident pas en sa faveur : il a été éliminé prématurément des derniers play-offs de VHL. Mais de tous les clubs de cette ligue inférieure (dont le nom signifie « ligue supérieure »), le Lada était après tout le seul ancien champion de Russie. Alors que la KHL sacrifiait les clubs traditionnels à sa politique d’expansion il y a quelques années, elle en rappelle un maintenant que la plupart des clubs étrangers lui ont tourné le dos. Quelques travaux ont été effectués pendant l’été (éclairage, écran géant, plexis) pour mettre la patinoire de Togliatti aux standards de la KHL.
L’école de hockey du Lada ne s’est pas perdue, mais ses principaux talents encore adolescents n’ont pas encore intégré l’équipe junior. La précédente génération lancée en senior à Togliatti a fini par partir. Difficile de retenir longtemps les joueurs en VHL ; ils avaient été vendus. Le Lada avait annoncé vouloir construire son équipe autour de ses anciens élèves, mais il était très difficile de racheter ces hommes sous contrat ailleurs sans rien proposer en retour.
L’identité du nouveau directeur sportif a donc défini une autre stratégie : Rafik Yakubov n’a pas seulement connu les grandes années de Togliatti (un titre et deux finales perdues pendant son passage comme joueur de 1992 à 1995), c’est aussi un homme qui a passé les deux dernières années dans l’organisation du SKA Saint-Pétersbourg. Tout sauf un hasard. Rapidement, on a compris que le nouveau venu deviendrait la nouvelle équipe-ferme officieuse du SKA, comme Sotchi.
Le SKA a parqué 11 joueurs sur les bords de la Volga, ce qui l’a bien aidé à se conformer au plafond salarial (en faisant comprendre à ceux refusaient une baisse de rémunération qu’ils pouvaient faire leurs valides pour ce club provincial). Une aubaine pour le Lada qui gagne notamment un très bon gardien titulaire : Vladislav Podyapolsky, que le SKA avait échangé en novembre contre un portier international (Samonov) plus un défenseur, a été transféré contre une somme tout à fait symbolique. Bien entendu, tout le monde se doute que le club « vassal » acceptera de rendre le joueur si son « suzerain » lui en donne l’ordre, mais officiellement, tout se fait dans les règles. La KHL, dont la président a dit « observer la situation », n’est pas dupe mais ne peut y faire grand chose. Le veut-elle seulement ?
En tout cas, cela permet au Lada de pouvoir être compétitif à peu de frais. Tant mieux pour l’entraîneur Oleg Bratash, qui n’avait plus coaché de club depuis 11 ans. Il était sous contrat avec la fédération depuis sept saisons et dirigeait la Russie « olympique », cette sélection B mise au chômage technique puisque toutes les équipes nationales sont privées de compétition internationale.