L’Espagne a obtenu, l’an dernier à Madrid, sa promotion en division I mondiale. Elle n’avait obtenu une montée équivalente qu’une fois, en 2010 au Mexique, avec un gardien (Ander Alcaine) et une ligne offensive majeure (Muñoz-Betran-Pedraz) qui étaient tous juniors. On pensait que cette génération pourrait conduire le hockey espagnol à un niveau inédit, mais la suite des évènements a illustré la difficulté des joueurs ibériques même prometteurs à se développer dans un championnat espagnol. Ander Alcaine avait obtenu de Luciano Basile – l’entraîneur des Diables Rouges de Briançon alors embauché au même moment par la fédération espagnole – sa chance en Ligue Magnus, mais après deux saisons prometteuses pour un si jeune joueur, il est rentré finir ses études en Espagne, où il a pris sa retraite à seulement 28 ans.
La sélection espagnole, conduite pour la première fois par Basile, était redescendue dès 2011 après une lourde défaite (2-8) contre l’adversaire-clé, les Pays-Bas, même si elle avait fini par un joli succès honorifique en prolongation sur la Corée du Sud. Nous sommes treize ans plus tard, et voilà l’Espagne revenue en division I, plus exactement en division I B puisque celle-ci a été découpée depuis lors en deux groupes de niveau, avec une nouvelle génération. Luciano Basile, lui, n’est plus en Ligue Magnus mais toujours derrière le banc espagnol.
Les Espagnols aimeraient cette fois rester dans ce monde nouveau pour eux. La défaite contre les Chinois, qui n’ont plus les naturalisés olympiques de convenance, est trompeuse par son score (1-7) car les hommes de Basile ont dominé 31 tirs à 30. Le premier match-clé coché opposait l’Espagne à l’Estonie, une équipe qui la suit dans l’ordre alphabétique mais l’a toujours précédée au classement mondial depuis sa deuxième année d’indépendance (sauf en 2011). Les Ibériques ont tenu jusqu’au bout et ne se sont inclinés qu’en prolongation (3-4) sur un but de Robert Rooba, son joueur-phare, passé par la KHL et capitaine du JYP en Liiga finlandaise. Ils ont aussi surpris en tenant un score nul après deux tiers-temps contre l’Ukraine, grand favori du tournoi qui n’avait pas encaissé le moindre but en trois rencontres. Ils ont encore craqué sur la fin pour un résultat final de 1-6.
En cette dernière journée, l’Espagne joue donc le match décisif contre la relégation face aux… Pays-Bas, leurs bourreaux de 2011, qui s’appuient sur leurs pros de Tilburg, club néerlandais invité en Oberliga allemande. L’occasion de voir si le rapport de forces a changé en 13 ans.
Avec la peur de descendre, les deux équipes sont très attentives à leur positionnement pour empêcher l’adversaire de prendre de la vitesse, et à rester compactes au centre de leur zone. Finn Filippini donne le premier coup de semonce en tirant sur la transversale après avoir récupéré un palet perdu dans son enclave par Alejandro Burgos… parce que le joueur de Strasbourg a pris un coup de crosse non sifflé sur son gant.
La première faute vue par les arbitres est celle de Quim Muratet qui accroche Bjorn Borgman. L’action la plus dangereuse que le Catalan voit depuis le banc des punitions, c’est celle de ses coéquipiers en infériorité numérique : passe transversale parfaite de Bruno Baldris – l’autre joueur de Strasbourg – pour un one-timer trop centré sur le gardien par Jaime Casillas. Muratet doit donc se dire que ce n’est pas grave de récidiver. Sitôt sorti de prison, il fait trébucher Jelle Kronenburg et y retourne. Les Pays-Bas ont tellement de mal à construire un powerplay qu’ils concèdent même un dégagement interdit. Ils restent finalement plus dangereux à 5 contre 5, tel Van Gorp qui fait le pressing sur Garcia et tire dans le masque du gardien Raul Barbo. Le premier tiers se termine par une troisième pénalité… La troisième contre Muratet !
En deuxième période, un second lancer néerlandais, de Wouter Sars, frappe le coin de la transversale. Mais progressivement, l’Espagne prend le dessus, notamment par ses premiers powerplays, bien plus convaincants que ceux de son adversaire. Burgos y sert parfaitement Torralba, seul près du but, qui n’arrive pas à conclure. En fin de tiers, Bruno Baldris tire sur la transversale. Les deux sélectionneurs de longue date Luciano Basile et Doug Mason ont l’air d’en rigoler entre eux en rentrant aux vestiaires.
Dès le début du troisième tiers-temps, le défenseur Justin van Baarsen envoie un palet en cloche qui retombe du mauvais côté du plexi. C’est une pénalité pour retard de jeu, et elle est fatale. Deux joueurs espagnols viennent se mettre dans l’enclave quand Bruno Baldris tire du poignet depuis la ligne bleue et le palet est dévié par les fesses d’Adrian Torralba (0-1).
En avance au score, l’Espagne monopolise plus que jamais le palet. Ses entrées de zone ne sont pas gênées, elle est dominante aussi le long des bandes. Les seules menaces sont des cadeaux : un rebond relâché à mi-tiers par son gardien Raul Barbo – sa seule erreur – sur un palet envoyé à hauteur de poitrine par Tom Speel, et surtout un péché de facilité, cette passe en zone défensive de Quim Muratet qui offre à Mike Collard un face-à-face avec le gardien, qui s’impose.
Doug Mason sort son gardien à deux minutes de la fin et prend son temps mort à… 4 secondes de la sirène. N’est-ce pas trop tard, le match étant quasiment fini ? Pas en hockey sur glace quand il t a un engagement en zone offensive ! Jay Huisman hérite d’un rebond avec la cage grande ouverte, Barbo plonge… et bloque ce lancer du masque puis du gant. Il se met le palet lui-même derrière la ligne en le ramenant, mais les arbitres ont déjà arrêté le jeu et la sirène a retenti. Grand sourire après cette ultime frayeur, Luciano Basile peut enlacer ses adjoints, comme les joueurs espagnols aussi euphoriques que leur vingtaine de supporters venus jusqu’à Vilnius.
L’Espagne récolte les fruits de son développement continu. Les Pays-Bas, grand pays de patineurs dont le hockey fut longtemps le plus canadien d’Europe continentale (par leur style de jeu rugueux et par les naturalisations en masse qui avait fait changer les règlements internationaux au début des années 1980), n’en finissent plus de sombrer.
Désignés joueurs du match : Lennart Vossmer pour les Pays-Bas et Raul Barbo pour l’Espagne
Désignés meilleurs joueurs du tournoi pour chaque équipe : Kilian van Gorp pour les Pays-Bas et Alfonso Garcia pour l’Espagne.
Pays-Bas – Espagne 0-1 (0-0, 0-0, 0-1)
Vendredi 3 mars 2024 à 12h30 à Vilnius. 142 spectateurs.
Arbitres : Nolan Bloyer (USA) et Bastian Steingross (ALL) assistés de Gustav Jonsson (SUE) et Norbert Muszik (HON).
Pénalités : Pays-Bas 8′ (0′, 6′, 2′) ; Espagne 8′ (6′, 2′, 0′).
Tirs : Pays-Bas 15 (7, 4, 4) ; Espagne 30 (5, 15, 10).
Évolution du score :
0-1 à 41’45’’ : Torralba assisté de Baldris et Burgos (sup. num.)
Pays-Bas
Attaquants :
Jay Huisman (2′) – Wouter Sars – Jonne de Bonth
Mike Collard – Finn Filippini – Marvin Timmer
Olaf-Jan Schoningh – Jasper Nordemann (A) – Tobie Tjin-a-Ton
Timoer Roodenburg – Tom Speel (2′) – Lennart Vosmer
Défenseurs :
Kilian van Gorp (C, 2′) – Alexei Loginov (A)
Frits Doop – Bjorn Borgman
Justin van Baarsen (2′) – Jelle Kronenburg
Mitch Jongmans
Gardien :
Martijn Oosterwijk [sorti à 57’55’’]
Remplaçant : Ruud Leeuwesteijn (G). Absent : Bartek Bison.
Espagne
Attaquants :
Quim Muratet (6′) – Pablo Zaballa – Dorian Donath
Nacho Granell – Alejandro Carbonell (C) – Oriol Rubio
Alejandr Burgos – Jaime Capillas – Adrian Torralba
Gaston Gonzalez – Mikel Mendizabal – Pablo Pantoja
Défenseurs :
Bruno Baldris (A) – Alfonso Garcia (A)
Jaime Bonilla (2′) – Arturo Guerra
Pablo Fernandez – Alfred Encinar
Ismael Escartin
Gardien :
Raul Barbo
Remplaçants : Marco Hernandez (G), Luis José Hernandez (A).