Le destin de Spezza

Le Canada et la Russie ne se quittent plus. Après deux finales, ils s’affrontent en quart de finale pour la troisième compétition internationale consécutive. Cette fois ce sont les performances moyennes de la Russie qui ont abouti à cette confrontation précoce. Toujours sans but, Kovalchuk se réveillera-t-il pour cet adversaire, comme à Québec ? Quant aux « gorilles », la Russie en compte maintenant un dans ses rangs avec Evgeni Artyukhin.
Ken Hitchcock a choisi son gardien. Jonathan Bernier lui a paru plus serein, notamment dans son jeu avec le palet, et a été préféré à Reimer. L’effectif a perdu un défenseur pour ce match. Nikolaï Belov a pris une crosse dans l’œil hier à l’entraînement, et Bykov, qui a joué tout le tournoi à quatre paires d’arrières, est contraint de n’en aligner que trois.

La domination canadienne est arrêtée par une pénalité bête. Un joueur a touché le palet alors que celui qu’il remplaçait n’avait pas encore rejoint le banc : surnombre. Le jeu de puissance russe tarde également à s’installer, mais une passe du revers de Radulov derrière la cage est reprise à bout portant par Tereshchenko. Le gardien Jonathan Bernier sauve l’action en deux temps avec le bras gauche. L’élan est passé du côté russe. Afinogenov perce au milieu de la défense autour du plot Phaneuf, mais Bernier ferme ses jambières face à son tir.
Cal Clutterbuck joue son rôle d’intimidation et finit très fort sa charge sur le défenseur offensif Nikulin. À l’engagement suivant, Bykov envoie sur la glace Artyukhin qui ne met que dix secondes à sécher Clutterbuck. Plus inquiétant pour la défense canadienne à la lenteur suspecte, le mastodonte Artyukhin s’infiltre à son tour entre les arrières Schenn et Méthot. Même si le Canada tire toujours beaucoup, la Russie l’aura pris de vitesse sur trois contre-attaques. Lors de la troisième, Brent Burns réussit à détourner du bout de la crosse la passe de Radulov pour Kovalchuk à 2 contre 1. Le repli défensif des attaquants russes montre pour sa part de nets progrès : plus question de lambiner dans un match aussi important. Personne n’a donc pris l’avantage après vingt minutes, mais le duel tient toutes ses promesses.

Un cinglage de Zajac sur Afinogenov donne tout de suite à la Russie une opportunité d’égaliser, mais alors que Bernier est couché en mauvaise position sur le côté de son but, Kovalchuk rate un geste potentiellement décisif à la réception du rebond.
Artyukhin échappe à l’arbitre en collant au plexi le visage de Ladd, qui se fait essuyer un peu de sang sur son banc, mais le coup de crosse de Kalinin, débordé par Skinner, est sanctionné. Cette fois c’est John Tavares qui a la cage grande ouverte sur un rebond en or, mais il bute sur la jambe du défenseur Atyushov !

Le rythme ne ralentit pas. Une superbe passe levée de Tavares trouve Nash dans le slot qui fonce latéralement mais ne parvient pas à rabattre le palet au second poteau. Skinner fait trébucher Ovechkin, mais Antoine Vermette dirige toujours la boîte canadienne et l’excellent Pietrangelo contre le palet dans la crosse d’Artyukhin qui avait reçu une longue passe dans l’axe.
En début de troisième période, Ilya Nikulin envoie un puissant slap : le palet heurte la transversale, le poteau puis le sol avant de revenir vers le gardien. Le jeu continue une minute avant l’arrêt de jeu, durant lequel l’arbitre fait appel à son collègue responsable de la vidéo. On n’aura pas connu des ralentis aussi longs depuis le but d’Anson Carter en prolongation de la finale 2003. On cherche à savoir si le palet est éventuellement retombé derrière la ligne de but dans un premier temps, mais se repasser les images est une peine perdue car aucun angle de vue ne permet de l’attester. L’attente de la décision rend seulement la joie plus vive sur le banc canadien, et la déception plus dure encore sur le banc russe.

La Russie passe donc près de quatre minutes consécutives en infériorité. Autant elle se dégage facilement au début, autant elle peine de plus en plus dans la durée. Kalinin, Nikulin puis Gorovikov par deux fois n’arrivent plus à sortir le palet de leur zone. Les blancs semblent en grande difficulté, la situation semble idéale pour le Canada qui maintient la pression… mais voilà qu’Aleksei Kaïgorodov, au lieu de simplement dégager après un tir contré de Phaneuf, met dans le vent Brent Burns puis Jason Spezza d’une feinte de corps après avoir poussé le palet derrière eux, et s’échappe ainsi pour battre Jonathan Bernier à mi-hauteur du côté du bouclier (1-1). Au moment où la Russie paraissait prête à craquer, l’attaquant de Magnitogorsk la relance totalement !

Ken Hitchcock ne veut pas s’avouer vaincu dans cette nouvelle confrontation à distance avec Bykov et essaie de nouveaux trios en cette fin de match. Il joue son va-tout maintenant que son plan de jeu paraît compromis. Le Canada s’installe en zone offensive. Chaque duel pour le palet semble une question de vie ou de mort. L’acharnement est incroyable, de part et d’autre.
Quelle partie de hockey ! Un vrai match de play-offs, un concentré d’intensité comme seules les phases finales des compétitions internationales peuvent en offrir. Dans ces moments où le destin bascule en une fraction de seconde, le hockey atteint son paroxysme. Puissent les demi-finales et la finale être au niveau de cette formidable confrontation entre deux grandes nations de hockey.

Au dernier entraînement du Canada, Jason Spezza avait interpellé Mark Messier, assez fort pour que tout le monde entende et relaye le message : « J’ai marqué le but contre la Russie en finale il y a deux ans, et je vais faire pareil. À l’époque, nous avions perdu, mais aujourd’hui nous gagnerons. » Jason Spezza, qui aura été le vrai leader de l’équipe canadienne dans ce championnat du monde (plus que Nash), a failli gagner son pronostic. Mais le scénario se sera une fois de plus renversé contre lui, et il doit assumer une responsabilité plus grande dans la défaite du fait de sa présence sur les deux buts encaissés. Un dénouement cruel pour un joueur dont le palmarès est toujours désespérément vierge de titres. Ce serait oublier que le Canada aurait pu et dû marquer plus d’une fois, eu égard à son talent offensif. Mais son meilleur buteur John Tavares notamment a laissé passer des occasions ce soir.
Désignés joueurs du match : Alex Pietrangelo pour le Canada et Vitali Atyushov pour la Russie.
Commentaires d’après-match
Aleksei Kaïgorodov (attaquant de la Russie) : « Nous étions confiants que le but de Nikulin serait valide. Et quand le contraire s’est produit, cela nous a boostés encore plus. Nous avons commencé à jouer plus agressivement et plus activement. Je suis heureux d’avoir marqué, mais je ne me souviens plus du but. J’ai tout oublié, je le jure. Je peux maintenant me reposer et penser au prochain match. C’est probablement le plus beau but de ma vie, d’autant que c’est mon premier but en championnat du monde. Aujourd’hui, nous voulions la victoire plus que les Canadiens, c’est le secret. »
Ilya Kovalchuk (attaquant de la Russie) : « [Kaïgorodov] est formidable. Tout le banc lui a crié de dégager le palet, parce que nous étions en infériorité. Mais il a passé deux joueurs et marqué un but superbe. Le plus important de sa carrière. Espérons qu’il continue ainsi. Peut-être que ce hockey intense nous convenait bien. Les Canadiens ont en effet joué dans un autre stade [à Košice], et ici la chaleur est inhabituelle. Il est évident qu’ils ont calé à la fin. »
Canada – Russie 1-2 (0-0, 1-0, 0-2)
Jeudi 12 mai 2011 à 20h15 à la Ondrej Nepala Arena de Bratislava. 9300 spectateurs.
Arbitres : Danny Kurmann (SUI) et Christer Lärking (SUE) assistés de Roger Arm (SUI) et Ivan Diedioulia (BLR)
Pénalités : Canada 12’ (2’, 10’, 0’), Russie 10’ (2’, 4’, 4’).
Tirs : Canada 37 (17, 10, 10), Russie 20 (6, 10, 4).
Évolution du score :
1-0 à 25’32” : Spezza assisté de Pietrangelo
1-1 à 49’07” : Kaïgorodov (inf. num.)
1-2 à 52’19” : Kovalchuk assisté de Radulov et Kalinin
Canada (2’ pour surnombre)
Attaquants :
James Neal – Jason Spezza (-1) – Rick Nash (C)
Andrew Ladd (A) – Travis Zajac (2’) – Cal Clutterbuck
Evander Kane – Jordan Eberle – Matt Duchene
John Tavares (6’) – Chris Stewart (-1) – Jeff Skinner (-1, 2’)
Antoine Vermette
Défenseurs :
Dion Phaneuf (A, -1) – Brent Burns (-1)
Luke Schenn (-1) – Marc Methot
Alex Pietrangelo (+1) – Carlo Colaiacovo
Marc-André Gragnani
Gardien :
Jonathan Bernier [sorti à 59’00”]
Remplaçant : James Reimer (G). Absents : Devan Dubnyk (G), Mario Scalzo (surnuméraire).
Russie
Attaquants :
Ilya Kovalchuk (A, 2’) – Aleksei Tereshchenko – Aleksandr Radulov (A, +1)
Danis Zaripov – Evgeni Zinoviev (+1) – Aleksei Morozov (C)
Aleksandr Ovechkin – Konstantin Gorovikov – Maksim Afinogenov (2’)
Nikolaï Kulemin (-1) – Aleksei Kaïgorodov – Evgeni Artyukhin (-1, 2’)
Défenseurs :
Fedor Tyutin – Vitali Atyushov (+1)
Aleksei Emelin (-1, 2’) – Ilya Nikulin
Dmitri Kalinin (+2, 2’) – Dmitri Kulikov (+1)
Konstantin Korneev [trois présences]
Gardien :
Konstantin Barulin
Remplaçants : Vassili Koshechkin (G), Vladimir Tarasenko. Absents : Evgeni Nabokov (G, aine), Nikolaï Belov (œil).
 
			 
                                





























 
			









