Décryptons chaque mois le classement de la NHL, ses logiques et ses incohérences annonciatrices de changement. Les statistiques utilisées dans cet article sont expliquées en fin de texte.
Par Thibaud Châtel – @batonsrompus
Commençons tout d’abord par une mise en garde : il est difficile de juger du niveau d’une équipe après seulement une dizaine de matchs joués. La validité des forces en présence ne pourra pleinement être jugée que vers Noël. Il est plutôt question ici d’identifier les équipes ayant déjà trouvé leur rythme de croisière et celles dont le mois de novembre risque d’être bien différent de celui d’octobre.
Division Atlantique
Comme l’an dernier, Montréal est parti en boulet de canon et trône au sommet de la ligue, invaincu en temps réglementaire après 9 matchs. Mais comme l’an dernier, cette performance tient davantage de la série chanceuse que d’une domination absolue. Il est toutefois indiscutable que les Canadiens sont une équipe sur qui compter pour les playoffs et leur taux de possession est honorable à 51,2%. Cependant, et comme les années précédentes, Montréal est encore dans le négatif en ce qui concerne les chances de marquer à 49,4%.
L’équipe joue en réalité un jeu très ouvert, se procurant de nombreuses chances de marquer mais en en accordant tout autant, voire un peu plus. Cette stratégie, délibérée ou non au vu des discours tenus par la direction du club, peut parfaitement fonctionner lorsque l’on possède le meilleur gardien du monde. L’adversaire vient en effet buter sur Carey Price tandis que les Canadiens finissent toujours par concrétiser leurs nombreuses chances. Le hic de ce mois d’octobre vient du fait que Price et son remplaçant Montoya ont livré des performances phénoménales, enregistrant un taux d’arrêts de 96,4% à égalité numérique. Même avec tout son talent, Price devrait plafonner autour de 94% comme c’était le cas lors de son année record en 2015 et Montoya est plutôt un gardien historiquement à 91%. Non seulement les cerbères des Canadiens sont donc mûrs pour laisser passer quelques buts mais les joueurs vont également refroidir. En marquant sur 9% de leurs tirs, les joueurs du tricolore jouent un peu au-dessus de leurs moyens. Disons que les rebonds favorables risquent de l’être un peu moins prochainement. Au final, Price a certainement le talent pour maintenir Montréal à un PDO de 102 mais pas au-delà. L’an passé Montréal avait suivi l’exact même chemin jusqu’en décembre avant que la blessure de Price, remplacé par un piètre Mike Condon, et une sécheresse prévisible des attaquants ne plongent l’équipe dans un trou sans fond. Plus tôt la bulle crèvera cette année, plus vite l’équipe pourra se situer et repartir sur des bases stables.
Derrière, Détroit a aussi connu un départ canon grâce à des performances surprenantes de ses gardiens et en parvenant à s’approcher un maximum des cages adverses, comme en témoigne des chances de marquer très positives à 53%. Cependant, les gardiens devraient là aussi ralentir et la blessure de Thomas Vanek qui avait démarré la saison du bon pied va faire mal à l’attaque des Wings. Si Détroit n’abdique pas, ils ne devraient pas rester aussi haut dans le classement.
La marque du nouvel entraîneur Guy Boucher se fait déjà sentir à Ottawa où ses joueurs utilisent pleinement leur vitesse pour s’offrir des bonnes chances de marquer (54,9%) en dépit d’une possession globalement négative. Autre point positif, tireurs et gardiens des Sens sont pour l’instant en dessous des moyennes et devraient voir leur niveau monter d’un cran, surtout le remplaçant Andrew Hammond qui a connu des matchs catastrophiques. L’équipe vient d’ailleurs d’acquérir Mike Condon, vraisemblablement pour offrir à Craig Anderson un soutien plus probant. S’ils continuent dans cette direction, les Sens pourraient bien s’accrocher aux playoff.
Autre victime d’un départ plus que moyen de son gardien, Tampa Bay commence déjà à remonter la pente. L’un des grands favoris dans l’Est présente des taux de possession et de chances de marquer positifs mais les équipes adverses ont tout simplement fait face à une passoire jusqu’à présent. Ben Bishop a joué la majorité des matchs dans les buts, certainement pour le mettre en valeur dans le but de l’échanger, mais on ne peut pas dire qu’il ait fait forte impression. Ses performances devraient tout de même s’améliorer, à moins que l’équipe ne se tourne déjà vers Andrei Vasilevski, ce qui est le plan à court terme de toute façon. Avec un tel effectif, dont un Stamkos en feu, et un power play enfin en marche, Tampa ne devrait pas tarder à gravir les marches du classement.
Claude Julien parvient encore à faire tenir Boston debout. Son équipe affiche des statistiques positives mais les blessures viennent déjà gripper la machine. Bergeron et Pastrnak ont raté des matchs, et surtout le gardien Tuukka Rask, une des raisons principales des succès en début de saison, a manqué à l’appel. Malheureusement pour les Bruins, les trois remplaçants qui se sont succédé affichent tous des taux d’arrêts en dessous de 85%, pour ainsi dire du gruyère, expliquant le piètre taux d’arrêts total. Heureusement, Rask doit revenir au jeu début novembre. Les Bruins n’ont pas dit leur dernier mot même si leur manque de profondeur risque de les handicaper au fur et à mesure que la saison avance.
Buffalo utilise pleinement son talent offensif pour se créer des chances de marquer, affichant à 57% l’un des meilleurs taux de la ligue. Cependant, le taux de possession global semble trop faible à 47,8% et vient plomber tous ces efforts. L’explication de ces deux extrêmes tient en réalité dans le fait que les matchs se succèdent et ne se ressemblent pas pour les Sabres. Ils ont répondu aux courtes défaites par de larges victoires. Le temps devrait venir lisser tout cela et nous permettre de savoir de quel côté la balance finira par pencher.
Après tous les changements de l’été, Florida en est encore aux ajustements. Si le taux de possession est le meilleur de la division à 53,7%, les chances de marquer sont moyennes. La bonne nouvelle est que le PDO est déjà stabilisé à 100 alors que les résultats inespérés de la saison dernière avaient été portés par une forte réussite aux tirs et des gardiens en feu (PDO de 102,7) en dépit d’une possession négative. Les changements de cet été avaient justement pour but de faire fi des résultats et de continuer à bâtir l’équipe sur des bases solides. Florida est par exemple cette année la 2e plus solide défense pour ce qui est d’accorder des chances de marquer. Ils sont sur la bonne voie.
Le début de saison de Toronto est simplement fascinant. La brigade de jeunes stars émerveille la ligue par son talent et personne ne les voyait déjà à un tel niveau. L’entraîneur Mike Babcock a mis en place un système de « hockey total » ressemblant à celui du hockey soviétique et consistant à toujours avoir 4 joueurs sur 5 très impliqués dans le jeu. La pression mise sur l’adversaire fait pour l’instant des dégâts et les jeunes jambes des Leafs tiennent le rythme. Au final, Toronto fait partie des meilleurs de la ligue en termes de possession et des chances de marquer. Malheureusement, tout cela est complétement sapé par une performance catastrophique des gardiens Andersen et Enroth qui affichent le 3e pire taux d’arrêt de la ligue… Certains analystes ont fait valoir que Fredrik Andersen avait changé son style de jeu cet été et qu’il avait encore du mal à assumer le style de jeu très ouvert de l’équipe. Il devrait néanmoins élever son niveau petit à petit au fur et à mesure de la saison et les Leafs pourraient alors en surprendre plus d’un.
Division Métropolitaine
Les New York Rangers ont réussi une petite révolution cet été en adoptant un visage plus rapide et technique. L’arrivée de Mika Zibanejad et de Jimmy Vesey apporte beaucoup à une équipe pour une fois épargnée par les blessures. Habitués à reposer sur les épaules du gardien Henrik Lundqvist, les Rangers profitent cette année, comme de plus en plus d’équipes, de leur vitesse pour s’approcher des cages adverses et se provoquer des chances de marquer. Avec 59,1% des chances, les Rangers sont en tête de la ligue à ce chapitre. Un bémol de taille doit cependant être apporté à ce tableau : les Rangers ont pour l’instant bénéficié de joueurs très en réussite. L’équipe possède ainsi le 2e taux de tirs de la ligue à 11,3%. Le nouveau venu Vesey, auteur de 6 buts, a ainsi rentré 33% de ses tirs ! Une performance insoutenable à long terme. Si les Rangers continuent de dominer leurs adversaires de la sorte, la base pourrait s’avérer solide pour la saison à venir, mais il faut s’attendre à un ralentissement du nombre de buts.
Les champions en titre ont habituellement un peu retard à l’allumage la saison suivante. Pittsburgh fait à ce titre amende honorable et présente plutôt le visage d’une équipe stable au moteur diesel. Certes, la possession est moyenne alors que l’équipe figurait l’an passé dans le top 3 de la ligue, comme tous les derniers champions, mais la saison ne fait que commencer et il est certain que les blessures de Letang et Crosby ont fait mal à ce chapitre. L’équipe affiche également un piètre taux de réussite aux tirs (6,6%) qui ne peut que s’améliorer. Malgré cela, les Penguins ont su rester au niveau de Washington, leur grand rival pour la première place de la division.
Washington, justement, apparaît en ce début de saison comme l’une des grosses machines de la ligue. Tous les voyants sont au vert pour les Capitals qui présentent parmi les meilleurs taux de possession et de chances de marquer de la ligue, un signe de domination du jeu sans concession. Il semble que les 3e et 4e lignes tiennent désormais le choc, ce qui était précédemment un manque. De plus, les tireurs sont à leur place, pas de ralentissement à craindre et si le taux d’arrêts est plus élevé que la norme, cela est en fait dû au remplaçant Philipp Grubauer, excellent lors de ses deux matchs. Cela signifie que le titulaire Brian Holtby est déjà, comme l’équipe, sur un rythme de croisière qui pourrait les emmener loin au printemps prochain. Mais la route est encore longue.
New Jersey est un animal à part et le jeu développé par l’équipe semble prendre ses racines dans l’héritage des grandes années du club. Avec un effectif au talent restreint, la stratégie mise en place vise à bloquer le jeu, espérant limiter les chances de marquer des deux côtés et qu’à ce petit jeu le brio de Cory Schneider dans les buts permette aux Devils d’en marquer un de plus que l’adversaire. Une stratégie de grippe-sou mais qui est sans doute la seule solution ici. Cela fait de New Jersey l’équipe qui accorde le moins de chances de marquer par match, mais aussi la 29e attaque dans ce domaine. Pas un bon mix pour les spectateurs… Si Schneider a arraché quelques victoires, le pari ne semble pas pour l’instant payer et l’équipe accorde tout de même plus de tirs et de chances de marquer que l’adversaire. Même si les tireurs du New Jersey devraient avoir un peu plus de réussite à l’avenir, il n’est pas certain que cela suffise pour aller en playoff.
La reconstruction des Blue Jackets de Columbus est lente est sinueuse. Un temps promise aux succès rapides, l’équipe a subi les blessures et les sautes d’humeur de son propriétaire qui, faute de patience, a placé le controversé John Tortorella à la barre de l’équipe. Le style rugueux de celui-ci fonctionnera-t-il avec les jeunes vedettes de l’équipe ? Pour le moment, pas vraiment. Même si les jeunes vedettes parviennent à s’offrir de nombreuses chances de marquer (dans le top 10 de la ligue), la défense en accorde une quantité faramineuse (27e de la ligue). Au final, les Jackets subissent le jeu comme en témoignent leurs taux de possession et de chances de marquer. Certes la défense est jeune avec Seth Jones, le surprenant Warenski et Matt Murray et dans quelques années elle pourrait faire des étincelles mais pour l’instant les espoirs de solidité reposent encore sur le gardien Bobrovsky qui connaît un très bon départ cette année. Et si les tireurs des Jackets devraient plus souvent faire mouche d’ici peu, c’est avant tout au cerbère d’arracher les victoires. Du talent donc, mais visiblement en développement pour cette année encore.
Les fans des Flyers de Philadelphie ne savent pas trop où donner de la tête. L’équipe possède des stars et quelques jeunes prometteurs (Konecny, Provorov) mais le tout reste une énigme incomplète. Le powerplay et le trio Giroux, Simmons, Voracek propulsent l’équipe mais le reste prend globalement l’eau. L’équipe vient au 25e rang de la ligue pour les chances de marquer accordées et les deux gardiens Mason et Neuvirth sont simplement mauvais en ce début de saison. Même si la situation devant le filet devait s’améliorer, les Flyers risquent de continuer à alterner le chaud et le froid.
La situation est un brin semblable pour les Islanders de New York. Après quelques belles saisons, l’équipe semble déjà replonger dans l’adversité. La perte de Okposo et Nielsen à l’attaque n’a pas été comblée et l’énorme contrat octroyé au vétéran Andrew Ladd s’annonce déjà être un fardeau (1 seul point en 10 matchs). En défense ce n’est pas la signature de Dennis Seidenberg qui va changer grand-chose, au contraire, et le ménage à trois devant le but devrait se solder par le départ prochain de Jaroslav Halak. Au final John Tavares est bien seul à la tête d’une équipe dominée dans la possession (45,8%) et aux gardiens pour le moins poreux. À moins d’un coup de fouet, la saison pourrait être longue.
La Caroline est toujours aux prises avec ses démons. Pour sa troisième saison en poste, l’entraîneur Bill Peters, certainement l’un des plus sous-estimés de la ligue, y a bâti une structure solide avec trois bouts de ficelle. Cette année encore, l’équipe affiche des taux de possession et de chances de marquer très positifs mais l’équipe est constamment tirée vers le bas par un manque de talent chronique. L’équipe avait terminé la saison dernière avec des taux de tirs et d’arrêts parmi les pires de la ligue, pour une fois non signe de malchance mais bien de faiblesse de l’effectif. Et si cette année, les tireurs se situent pour l’instant dans la moyenne, Cam Ward n’a tout simplement plus l’étoffe d’un gardien numéro un. Dommage car les jeunes se développent, Jeff Skinner est en santé et le système est brillant mais cette saison risque de servir une fois de plus à repêcher un autre espoir pour l’avenir.
Toutes les statistiques ne concernent que le jeu à égalité numérique (5v5, 4v4 ou 3v3). Constituant la grande majorité des matchs, seul le jeu à égalité numérique est révélateur des tendances de fond. À l’inverse, le jeu durant les supériorités et infériorités numériques est trop dicté par l’inégalité du moment et impose des tactiques temporaires non révélatrices des forces et faiblesses d’une équipe. Ces phases doivent plutôt être considérées en parallèle.
Taux de possession : Plus communément appelé « Corsi », cette statistique recense tous les tirs effectués par une équipe, qu’ils soient contrés, non-cadrés, arrêtés par le gardien ou deviennent des buts. Cette métrique est utilisée pour décrire quelle équipe a été la plus offensive durant un match, chaque tir étant une conséquence de la possession de la rondelle. Signe de l’importance retrouvée de la vitesse et du jeu offensif, les 5 derniers champions de la coupe Stanley figuraient parmi le top 3 de la ligue en termes de possession.
Chances de marquer : Le pourcentage de chances de marquer fonctionne comme le taux de possession mais ne prend en compte que les tirs pris dans un trapèze allant du but au haut des cercles de mise en jeu en passant par les points de mise en jeu. C’est de cette zone que sont marqués 70% des buts en NHL.
% tirs : Le pourcentage de réussite aux tirs est tout simplement le nombre de tirs cadrés qui finissent au fond des filets. Si au niveau individuel cette statistique peut varier, à l’échelle des équipes le niveau de la ligue est extrêmement homogène et stable aux alentours de 8%. Une différence importante indique par conséquent une période de réussite ou de déveine constituant une anomalie temporaire qui finit toujours par revenir à la normale.
% arrêts : Le pourcentage de tirs cadrés arrêtés par les gardiens d’une équipe. Si quelques gardiens se démarquent du lot, en bien ou en mal, le niveau des portiers de la ligue est extrêmement homogène et stable aux alentours de 92%. Une différence importante indique par conséquent une anomalie temporaire qui finit toujours par revenir à la normale.
PDO : Il est simplement l’addition du % tirs et du % arrêts, donnant un score tournant logiquement autour de 100, et permettant de voir d’un coup d’œil si une équipe respecte les moyennes de la ligue ou non. Chaque année, environ 25 équipes sur 30 obtiennent ainsi un score entre 99 et 101. Les minimum et maximum peuvent aller de 97 à 103.
Par Thibaud Châtel – @batonsrompus