Si la Finlande a atteint la finale avec son système – défensif – habituel, on ne s’attend pas forcément à du grand spectacle pour cette seconde demi-finale. Il y a de quoi être échaudé par le quart de finale Suède-Canada qui a failli finir à 0-0 jusqu’à une action ultra-risquée. La Tre Kronor est bâtie pour un jeu simple, et la Russie a la tentation de suivre ce même moule. Stanislav Galiev, ailier à profil créatif donc risqué, a été retiré de la première ligne et envoyé en tribune. On n’est jamais trop prudent…
Les observateurs suédois s’étonnent d’un exercice qui pourrait être une sorte de guerre psychologique à l’échauffement. Alignés à leur ligne bleue mais regardant tous vers le camp suédois et pas vers leur gardien, les joueurs russes foncent vers la ligne rouge centrale sans jamais franchir la limite interdite – un peu comme les manœuvres de l’armée russe à la frontière ukrainienne – puis font demi-tour pour tirer vers leur gardien. Ce bras de fer psychologique se poursuit à la fin de l’échauffement. Mathias Bromé et Sergei Telegin veulent tous deux être le dernier à quitter la glace. Le Russe cède…
La Suède essaie de poser son jeu mais commet aussi la première erreur, un mauvais contrôle de Jonathan Pudas en zone neutre. Il se fait prendre le palet par Slephyshev qui arrive à prendre un tir du revers en angle fermé. Les Russes mettent de la pression et de l’impact physique, aidés par les arbitres qui ont avalé leurs sifflets depuis le début de la phase finale. Une obstruction de Nikishin – qui a chargé Nordström sans palet – n’a pas été réprimée après une minute de jeu. Lorsque Chibisov commet une faute trop évidente en zone offensive en faisant trébucher Nordström, il va tout de même en prison. La Tre Kronor cafouille ce premier jeu de puissance, à l’instar de Wallmark qui percute Tömmernes à l’entrée en zone.
L’arme principale utilisée par des Suédois, ce sont les déviations, recherchées notamment sur les tirs de la paire défensive Fantenberg-Bengtsson. Un lancer de Lukas Bengtsson est dévié sur le poteau par Max Friberg, laissé libre de ses mouvements dans l’enclave par le passif Shipachyov. Les défenseurs russes sont bien plus actifs et physiques que leur capitaine autour de leur cage. En zone offensive, toutefois, Slava Voinov se fait contrer par Wallmark qui envoie à 2 contre 1 Lennström et Olofsson (dont la conclusion manque de tranchant). La pénalité d’Everberg, qui fait trébucher Shipachyov, ne coupe pas totalement l’élan scandinave, car elle est aussitôt annulée par un vilain coup de crosse de Ykachyov entre les jambes sur l’engagement. La dernière occasion sera russe à une minute de la fin du premier tiers-temps, avec une bonne passe de Nikita Gusev pas très bien reprise par Plotnikov.
Au début de la deuxième période, comme au début du match, Zhamnov aligne en premier sa troisième ligne, à vocation plus défensive, face à la meilleure ligne adverse. Et son ailier gauche se montre décisif. Anton Slepyshev entre en zone à pleine puissance sur son aile, dépasse le défenseur Christian Folin, repique à la cage et dribble le gardien (1-0). La Russie a, plus que son adversaire, la capacité à faire la différence en un contre un par une grosse individualité.
Ce but ne permet pas de faire décoller le match. La Suède reste bien organisée collectivement, mais quand elle arrive à s’installer en zone offensive, ses lancers peinent à atteindre la cage car Dmitri Voronkov notamment se jette devant les tirs. C’est aussi Voronkov qui se positionne devant le gardien Johansson et provoque la faute de Wallmark qui lui retient la crosse. Mais les Russes n’arrivent pas à déployer leur jeu sur cet avantage numérique car leurs décalages sont trop lents.
Les Russes dominent aux tirs au début du troisième tiers-temps et peuvent donner le sentiment qu’ils sont en train de resserrer leur emprise sur le match. Mais il suffit d’une bonne action suédoise… Mathias Bromé patiente avec le palet sur le côté gauche et attire toute la défense en bas de la zone pour faire une passe diagonale en retrait vers Jonathan Pudas. Celui-ci cherche la crosse de l’autre défenseur Henrik Tömmernes en déviation, dans la botte de Fedotov, et Anton Lander prend le rebond du revers (1-1). Après ce but, un seul mot résume les 14 dernières minutes : bloquées et irrespirables…
On attend avec impatience un jeu plus débridé en prolongation à 3 contre 3. Les deux équipes semblent d’abord se neutraliser, puis la Suède prend l’ascendant à partir un tour de cage de Henrik Tömmernes sur son revers, capté par la mitaine de Fedotov. Les mêmes acteurs que sur le but égalisateur signent une très belle combinaison : de derrière la ligne de fond, Anton Lander donne en retrait à Henrik Tömmernes qui remet du même côté à Mathias Bromé avec la cage grande ouverte… mais Vladimir Tkachyov, étendu sur la glace, met le manche de sa crosse en opposition devant le palet dans une intervention décisive. Une bonne passe de Jonathan Pudas permet aussi à Pontus Holmberg de filer vers le but en passant en coup de vent derrière Shipachyov… mais pas derrière Aleksandr Nikishin qui se maintient à sa hauteur et contre le palet dans sa palette au moment du tir ! Les Russes ont fait le boulot défensivement dans ce temps supplémentaire ! Aux talents offensifs de finir le travail aux pénaltys…
La séance s’ouvre par un mouvement gauche-droite exécutée à haute vitesse par Slepyshev… mais Lars Johansson a gardé sa jambière contre le poteau. Carl Klingberg rate complètement sa feinte. Le tir de Grigorenko finit sa course dans la mitaine de Fedotov. La Suède prend alors l’avantage : Lucas Wallmark feinte le slap puis prend un tir rasant, qui s’élève sur la crosse du gardien et le lobe ! Tout lui réussit décidément dans ce tournoi : Nikita Gusev calme aussitôt l’euphorie suédoise en fixant le gardien pour un tir en lucarne. Mais la feinte de corps de Joakim Nordström est splendide et lui ouvre la cage ouverte pour redonner l’avantage à la Tre Kronor. Voinov ralentit, Johansson ne bouge pas et ferme les bottes sur le palet. La Suède est toute proche de la finale.
La pression est alors sur Ivan Fedotov car son équipe est éliminée s’il encaisse le but. Le géant russe plonge en avant, son poke-check oblige Henrik Tömmernes à précipiter son mouvement et sa botte reste bien calée contre le poteau pour repousser le tir du revers du défenseur. La Russie est encore en vie mais la pression est encore plus forte sur le défenseur Yegor Yakovlev qui est le dernier tireur. Il ne tremble pas et place son lancer sous le bras droit de Johansson ! Fedotov referme l’espace entre les jambes face à Lander. 2-2 après cinq tireurs de chaque côté, tout est à refaire.
La Suède lance maintenant en premier pour des duels à quitte double. Carl Klingberg y retourne après son échec et choisit cette fois le tir, légèrement détourné par le bras gauche de Fedotov. Wallmark ne feinte plus son slap, il le décoche… mais ça file hors cadre. Par deux fois, Zhamnov réplique en alignant le super-technicien Gusev pour essayer de mettre le but gagnant. Par deux fois, il cherche l’entrejambe de Johansson… qui ferme la porte deux fois face à son coéquipier du SKA Saint-Pétersbourg ! Après la tentative de Friberg, parée elle aussi de justesse du bras gauche par Fedotov, les Russes envoient un joueur qui n’a pas encore tiré, Artyom Gritsyuk, et il est incroyable de sang-froid du haut de ses 20 ans : petite feinte à gauche, tir côté plaque poteau rentrant, explosion de joie !
Ce tournoi olympique se terminera donc dimanche par la finale entre les deux favoris que nous avions annoncés, Finlandais et Russes. Pourtant, dans cette demi-finale, la Suède aura sans doute eu plus de possession et produit plus de jeu collectif (cette équipe russe ayant été assez pauvre en combinaisons offensives). Mais la technique individuelle supérieure des Russes a fait la différence, dès lors qu’on aboutissait aux tirs au but et que la décision ne s’était pas faite avant. Les experts de la télévision suédoise s’écharpent surtout sur qui il aurait fallu envoyer ou ne pas envoyer tirer les pénaltys. « On refait le match » est le sport le plus universel qui soit, mais il y a peu de temps pour ça au sein de la Tre Kronor car il y a une médaille à jouer demain…
Commentaires d’après-match :
Aleksandr Nikishin (défenseur de la Russie) : « Mes yeux sont déjà embués de bonheur ! Ce match est aussi difficile que possible. En prolongation, nous avons joué en défense, c’était clairement visible. Quand j’ai contré le palet sur le 1 contre 0 [de Holmberg], au début je voulais plonger, mais j’avais en tête la pénalité que j’avais reçue dans le match contre les Tchèques. J’ai frappé soigneusement le palet et j’ai eu de la réussite. Beaucoup de joueurs ont été les sauveurs aujourd’hui. Fedotov a été énorme. Je suis content que nous ayons résisté et gagné aux tirs au but. Gritsyuk a fait un grand travail, il a fait face à la pression. Je croyais en lui. J’était debout, les yeux fermés. Tout le monde est content pour lui. »
Arseni Gritsyuk (auteur du pénalty gagnant de la Russie) : « J’étais responsable du but encaissé. J’ai perdu le palet dans la zone offensive et ensuite j’ai perdu un joueur dans mon dos. J’avais le sentiment que mon erreur pourrait faire mal à toute l’équipe. Je voulais vraiment réparer ça. Je suis content que Vanya Fedotov ait bien joué et nous ait donné une chance de gagner aux tirs au but. Quand ce fut mon tour, je savais ce que je devais faire. Yegor Yakovlev avait plus de responsabilité que moi sur son pénalty. Je pouvais le faire plus calmement. J’aime les pénaltys, je les mets souvent. Je vois ça comme un match en un contre un, entre le gardien et moi. »
Yegor Yakovlev (auteur du pénalty qui a évité la défaite de la Russie) : « J’ai volontairement tiré sous le bras. Grâce à Danis Zaripov. À un rassemblement de l’équipe nationale, il m’avait dit qu’il y a un angle mort à cet endroit où on peut tirer. Je le fais régulièrement en club. J’étais inquiet de la présence en équipe de Suède d’anciens coéquipiers qui auraient pu me dévoiler. Merci aussi à mon psychologue du sport. Je suis habitué à tirer en cinquième. On m’a dit de me préparer juste avant le pénalty. Nous sommes excités, nous sommes en finale. Nous attendons le match le plus important des 4 dernières années. »
Henrik Tömmernes (capitaine de la Suède) : « J’ai été un peu gêné de ne pas avoir une autre chance [de tirer un pénalty] en demi-finale olympique parce que j’ai un très bon pourcentage de réussite dans les pénaltys. »
Johan Garpenlöv (entraîneur de la Suède) : « Pendant la prolongation, nous avons communiqué avec les gars pour savoir qui était volontaire pour tirer un pénalty. Nous avions le sentiment d’avoir fait le bon choix. Nous avons tenu compte de ceux qui voulaient y aller et de leurs réussites antérieures. [Joakim Nordström n’a pas tiré de second pénalty] parce que nous avions d’autres joueurs. On peut toujours prétendre qu’il aurait fallu faire différemment avec le recul, mais c’est le cas avec chaque décision qu’on prend. Nous avons pris nos décisions en toute conscience. »
Christian Folin (défenseur de la Suède) : « J’aurais dû empêcher ce but, je suis triste que ça arrive en demi-finale olympique. Rechargeons-nous pour demain. Nous sommes habitués à jouer deux matches en deux jours. »
Russie – Suède 1-1 (0-0, 1-0, 0-1, 0-0) / 3-2 aux tirs au but
Vendredi 18 février 2022 à 21h10 au Palais national omnisports de Pékin. 1161 spectateurs.
Arbitres : Andrew Bruggemann (USA) et Olivier Gouin (CAN) assistés de Daniel Hynek et Jiří Ondráček (TCH).
Pénalités : Russie 4′ (4′, 0′, 0′, 0′), Suède 4′ (2′, 2′, 0′, 0′).
Tirs : Russie 40 (11, 12, 11, 6), Suède 35 (12, 10, 10, 3).
Évolution du score :
1-0 à 20’15 : Slepyshev assisté de Karnaukhov et Yakovlev
1-1 à 46’22 : Lander assisté de Tömmernes et Pudas
Tirs au but :
Russie : Slepyshev (arrêté), Grigorenko (arrêté), Gusev (réussi), Tkachyov (arrêté), Yakovlev (réussi).
Suède : Klingberg (manqué), Wallmark (réussi), Nordström (réussi), Tömmernes (à côté), Lander (arrêté).
Tireurs individuels : Klingberg (S, arrêté), Gusev (R, arrêté), Wallmark (S, arrêté), Gusev (R, arrêté), Friberg (S, arrêté), Gritsyuk (R, réussi).
Russie
Attaquants :
Andrei Chibisov (2′) – Vadim Shipachyov (C) – Kirill Semyonov
Nikita Gusev (-1) – Vladimir Tkachyov (-1, 2′) – Arseni Gritsyuk (-1)
Anton Slepyshev (+1) – Pavel Karnaukhov (+1) – Dmitri Voronkov (+1)
Mikhaïl Grigorenko – Sergei Andronov (A) – Sergei Plotnikov
Artur Kayumov
Défenseurs :
Nikita Nesterov – Aleksandr Nikishin
Egor Yakovlev (A) – Aleksandr Elesin
Sergei Telegin – Vyacheslav Voinov (+1)
Damir Sharipzyanov
Gardien :
Ivan Fedotov
Remplaçant : Timur Bilyalov (G). En réserve : Aleksandr Samonov (G), Artyom Minulin (D), Stanislav Galiev (A).
Suède
Attaquants :
Mathias Bromé – Anton Lander (C) – Carl Klingberg
Pontus Holmberg – Lucas Wallmark (2′) – Fredrik Olofsson puis à 40’00 Gustav Rydahl
Dennis Everberg (2′) – Jacob de la Rose – Linus Johansson
Joakim Nordström – Marcus Krüger (A) – Max Friberg
Défenseurs :
Oscar Fantenberg – Lukas Bengtsson
Philip Holm (-1) – Christian Folin (-1)
Henrik Tömmernes (A, +1) – Jonathan Pudas (+1)
Theodor Lennström
Gardien :
Lars Johansson
Remplaçant : Magnus Hellberg (G). En réserve : Adam Reideborn (G), Linus Hultström (D), Daniel Brodin (A).