On l’avait dit hier, l’Autriche avait tout du match-piège pour la Suisse. La dernière chronique délirante de Klaus Zaugg comparant cet adversaire à Saint-Marin ou au Liechtenstein au football – alors même que les Autrichiens avaient poussé la Nati en prolongation en 2018 – avait tout du sort vaudou jeté à sa propre équipe. C’est presque du sabotage de motiver autant l’adversaire.
L’Autriche démarre fort. Le héros – fatigué ? – Andres Ambühl perd le palet dans la bande sous la pression de Thomas Raffl. Nico Brunner centre pour Benjamin Nissner qui élimine Michal Fora en un contre un avant de buter sur le gardien Reto Berra. Après ce premier avertissement sans frais, le premier but. Marco Rossi gagne l’engagement en zone offensive face à Ken Jäger, en direction de Clemens Unterweger dont le slap de la ligne bleue à mi-hauteur trompe Reto Berra côté plaque (1-0). Le gardien fribourgeois n’était pourtant pas masqué.
La Suisse est inoffensive et n’obtient sa première chance que sur un cadeau. Brunner perd le palet en dribblant le long de bande dans sa zone et concède un 2 contre 1 : Roman Josi choisit le tir, détourné par l’épaule de David Kickert. La timide réaction helvétique est arrêtée par une crosse haute de Fabrice Herzog en zone offensive. L’Autriche ne s’installe qu’en fin de pénalité. Mais, peu après le retour à cinq contre cinq, Paul Huber est le plus vif sur un palet qui fait billard dans le slot. Il tire et, sur le rebond, Reto Berra place son patin par sécurité contre le poteau… mais ne le coince pas puisque Huber, de l’arrière de la cage, trouve un espace pour y glisser le palet (2-0). Cela fait deux buts très faibles pour le vétéran Berra.
La Suisse ne compte que 3 tirs cadrés en un quart d’heure. C’est forcément Roman Josi qui montre la voie en provoquant la faute de Zwerger qui le fait trébucher. L’Autriche commet alors une faute impensable : elle se retrouve à cinq joueurs sur la glace – et vraiment pas proches du banc – en infériorité numérique ! Surnombre, la Suisse joue donc à 5 contre 3. Effet immédiat : Hischier gagne l’engagement face à Wukovits et Romain Loeffel décale Roman Josi – évidemment dans le cercle droit pour une reprise directe dans la lucarne opposée (2-1). Il reste 1’55 de jeu à 5 contre 4 mais, sur un gros lancer de Loeffel, Calvin Thürkauf n’arrive pas à conclure en déviation puis au rebond (photo ci-dessous).
Six secondes avant la pause, Christoph Bertschy prend une pénalité stupide en zone offensive en retenant une crosse comme s’il voulait rentrer aux vestiaires avec un souvenir. De nouveau, l’Autriche n’arrivera à installer son jeu de puissance que dans les dernières secondes… mais ça suffira. Lukas Haudum reprend dans le cercle droit la passe transversale de Dominic Zwerger et le palet est dévié par l’épaule de Siegenthaler, Berra n’y pouvant rien cette fois (3-1).
L’imprudente Suisse est bien enfoncée sous l’avalanche. Faut-il préciser que c’est Roman Josi qui dirige l’opération de sauvetage ? C’est lui qui entre en zone, lui encore qui fait ce centre fort devant le but où Nico Hischier n’a plus qu’à mettre sa crosse (3-2).
L’Autriche fait le reste par un peu d’indiscipline. Baumgartner retient la crosse de Siegenthaler dans le coin. Un lancer de la bleue de Josi, dévié par Niederreiter, frappe le poteau, la rondelle retombe devant la ligne et Kickert la rattrape dans son dos… avec la main nue ! Il a perdu son gant bloqueur dans un contact… Arrêt incroyable mais inutile car David Maier a retenu Ambühl au sol comme un policier en intervention pour empêcher l’individu appréhendé de pousser cette rondelle libre au fond. Une faute qui paraît utile, mais qui coûte cher : au lieu d’un but, cela en fait deux ! D’abord, Roman Josi marque à 5 contre 3 après une succession de rebonds (3-3). Puis, sur l’engagement à 5 contre 4, Sven Andrighetto déborde sur la gauche et centre pour Ken Jäger seul au second poteau (3-4).
Les Autrichiens accusent le coup. La Suisse campe dans la zone adverse à 5 contre 5. Elle ne devrait plus connaître de problème, a priori… Dean Kukan ne l’entend pas de cette oreille et concède la troisième pénalité helvétique en zone offensive (!) en faisant trébucher Maier. Les rouges s’installent un peu plus tôt que d’habitude, cette fois, mais attendent la dernière seconde pour décocher leur lancer, une puissante reprise de volée de Lukas Haudum du haut du cercle droit (4-4).
L’Autriche, qui avait cessé d’exister, reprend vie. Supérieure dans les duels, elle pousse maintenant fort à 5 contre 5. Reto Berra doit bloquer sous son bras un lancer dangereux de Peter Schneider. La Suisse se réveille en fin de tiers et Wukovits est pénalisé pour avoir fait trébucher Hischier. Phillip Kurashev a un rebond en cage grande ouverte… mais David Kickert réussit l’arrêt du tournoi, de la mitaine (photo ci-dessous). Fin d’une deuxième période complètement folle. Elle est fatale à Berra, que l’on dit touché à la nuque : c’est au tour du troisième gardien suisse Akira Schmid d’entrer en jeu, le jour de ses 24 ans.
La Suisse est toujours en supériorité numérique au début du troisième tiers-temps. Josi décale cette fois Nico Hischier qui s’occupe de l’entrée de zone, installe le jeu et va se placer dans l’enclave. L’attaquant de New Jersey hérite de la rondelle quand le bâton de Kickert contre la passe en retrait de Kurashev pour Ambühl et il ne se fait pas prier pour la propulser dans le haut du filet (4-5).
La Nati tient le palet en zone offensive et semble avoir repris le contrôle du jeu. Mais l’Autriche n’a pas dit son dernier mot et se réinstalle dans le territoire helvétique. Un improbable tir de la ligne bleue de Benjamin Baumgartner – qui n’avait pas joué le premier match hier – lobe tout le monde, y compris le gardien Akira Schmid, qui ne fait que le toucher de la mitaine avant de le voir retomber dans ses filets (5-5). La Suisse réagit immédiatement mais Calvin Thürkauf n’arrive pas à exploiter un palet traînant, son tir est bloqué du bras droit par Kickert.
Les urgences cardiaques suisses sont encore alertées à cinq minutes de la fin. Christian Marti se fait lober à la ligne bleue en sautant sans arriver à attraper complètement le palet avec son gant, dans une mauvaise imitation d’Akira Schmid. C’est un 2 contre 1 pour l’Autriche : Marco Rossi feinte Loeffel et repique dans l’axe… mais son tir est parfaitement capté par la mitaine redevenue sûre de Schmid (photo ci-dessus) !
Et oui, en fin de compte, le quarantenaire Andres Ambühl a toujours son patinage incroyable. Alors que Bernd Wolf semble lui avoir coupé toute possibilité de retour intérieur en l’accompagnant dans son débordement, il met tellement d’énergie dans ses jambes qu’il parvient à rentrer en direction du but et que, en récompense, il envoie le défenseur autrichien en prison. Une pénalité providentielle pour une Nati tenue à bout de bras par son jeu de puissance. Patrick Fischer appelle son temps mort. La reprise du cercle de Phillip Kurashev est captée pour la seconde fois par la mitaine de Kickert ! Mais ce n’est pas fini. Nico Hischier récupère un rebond derrière la cage et en fait le tour avant que Heinrich et Kickert ne réagissent (5-6, photo ci-dessous).
Les Autrichiens utilisent leur temps mort à leur tour mais les consignes excitées de l’entraîneur adjoint Markus Peintner sur sa tablette ne respirent pas la sérénité, plutôt la panique. C’est bien fini. L’Autriche a zéro point après un match incroyable. Comptablement, tout va bien pour la Suisse : elle a six points, et en plus, Kevin Fiala est en route après la naissance anticipée de son premier enfant. Il remplacera donc Thierry Bader.
Les Suisses font un tour d’honneur sous des acclamations délirantes – et les huées de supporters autrichiens énervés de la dernière pénalité. Auraient-ils gagné proprement 3-1 ou 4-1 en maîtrisant la rencontre qu’il n’auraient pas déclenché de telles émotions. C’était un match pour les spectateurs, totalement irrationnel, presque surréaliste. La Nati a été sauvée par son jeu de puissance et par ses stars, en sur-utilisant Roman Josi (27’47’’ de temps de jeu) comme si elle était une petite nation sans profondeur de banc.
La liste des erreurs et fautes grossières – et donc des points à corriger – est longue pour la troupe de Patrick Fischer. C’est sans doute trop tard pour Reto Berra, qu’on a sans doute vu pour la dernière fois sous le maillot à croix blanche. Ce serait une fin un peu cruelle et imméritée pour sa belle carrière, mais on se dit que Leonardo Genoni et le jeune Akira Schmid devraient maintenant finir le tournoi dans les cages.
Désignés joueurs du match : Lukas Haudum pour l’Autriche et Nico Hischier pour la Suisse.
Commentaires d’après-match :
Lukas Haudum (attaquant de l’Autriche) : « S’il y avait un jour pour battre la Suisse, c’était aujourd’hui. On peut être fier de notre performance. Nous ne pouvons presque pas mieux jouer, nous avons été très efficaces devant. Bien sûr nous avons eu un peu de chance mais nous l’avons méritée. C’est malheureux pour nous à la fin avec cette demi-pénalité. Il n’y a pas de honte à perdre contre une telle équipe, ils nous leur avons livré une bonne bataille. À ce niveau, tout est dans la simplicité. C’est toujours un problème pour nous. Si nous ne gardons pas les choses simples, nous sommes punis. »
Roger Bader (entraîneur de l’Autriche) : « Nous avons fait beaucoup mieux aujourd’hui qu’hier. Nous avons montré aux joueurs ce qui doit être changé pour contourner la haute intensité qu’il y a ici. Les joueurs étaient un peu surpris de la pression hier, aujourd’hui ils l’ont géré formidablement. Nous avons apporté notre contribution à une super fête du hockey. C’était vraisemblablement une de nos meilleures performances des dernières années, comparable à la victoire sur les Tchèques il y a deux ans. Mais c’est bien sûr amer d’encaisser ce but à 51 secondes de la fin. Cette pénalité, on peut sûrement la siffler, mais on n’est pas obligé ! »
Andrea Glauser (défenseur de la Suisse) : « On ne peut pas commencer le match comme ça, c’était la cata. L’Autriche était simplement meilleure et patinait mieux. C’est la dernière fois que l’on fait ça. Mais je suis content de la réaction de l’équipe. On a tout donné. C’était n’importe quoi, mais je n’ai pas eu le sentiment qu’on était trop sûrs de nous. On était concentré, mais on n’a pas beaucoup patiné. On voulait gagner nos duels et on les a souvent perdus. Non, on a eu de la chance parce que contre une autre équipe, ça peut nous coûter le match. Ça fait du bien, mais on ne peut pas tout le temps compter sur [Josi et Hirschi]. »
Patrick Fischer (entraîneur de la Suisse) : « Sur le but qu’Akira Schmid encaisse, c’est difficile parce que le puck est flottant. Mais à 5-5 il fait un immense arrêt. Je suis content qu’il ait pu fêter cette victoire le jour de son anniversaire. [Kevin Fiala] vient juste d’être père, mais a décidé de nous rejoindre depuis Los Angeles. C’est un super joueur. Tous ceux qui le connaissent savent qu’il voudra jouer demain. Kevin ne sera pas difficile à intégrer. On a vu que Bertschy avait joué avec Hischier et Thürkauf. Mais on a plusieurs options, Thürkauf, Kurashev, Ambühl et Bertschy peuvent jouer au centre. Et on doit encore voir comment va Gaëtan Haas après la charge reçue contre les Norvégiens. On espère que ce n’est pas trop grave, mais on doit prendre des précautions. »
Autriche – Suisse 5-6 (2-1, 2-3, 1-2)
Dimanche 12 mai 2024 à 20h20 à Prague. 13 512 spectateurs.
Arbitres : Sean MacFarlane (USA) et Kristian Vikman (FIN) assistés de Shane Gustafson (USA) et Anders Nyqvist (SUE).
Pénalités : Autriche 12′ (4′, 6′, 2′) ; Suisse 6′ (4′, 2′, 0′).
Tirs : Autriche 18 (7, 5, 6) ; Suisse 36 (7, 15, 14).
Évolution du score :
1-0 à 04’15’’ : Unterweger assisté de Rossi
2-0 à 14’33’’ : P. Huber assisté de Rohrer
2-1 à 15’48’’ : Josi assisté de Loeffel et Ambühl (double sup. num.)
3-1 à 21’48’’ : Haudum assisté de Zwerger et Unterweger (sup. num.)
3-2 à 22’26’’ : Hischier assisté de Josi et Loeffel
3-3 à 29’30’’ : Josi assisté d’Ambühl et Hischier (double sup. num.)
3-4 à 29’43’’ : Jäger assisté d’Andrighetto et Kukan (sup. num.)
4-4 à 34’45’’ : Haudum assisté d’Unterweger et M. Huber (sup. num.)
4-5 à 40’43’’ : Hischier assisté de Kurashev et Niederreiter (sup. num.)
5-5 à 52’17’’ : Baumgartner assisté de Maier et Strong
5-6 à 59’09’’ : Hischier assisté de Josi et Ambühl (sup. num.)
Autriche (2′ pour surnombre)
Attaquants :
Thomas Raffl (C, -1) – Benjamin Nissner (-1) – Peter Schneider (-1)
Dominic Zwerger (+1, 2′) – Marco Rossi (+1) – Mario Huber (+1)
Manuel Ganahl (+1) – Benjamin Baumgartner (+1, 2′) – Lukas Haudum (+1)
Paul Huber (+1) – Ali Wukovits (+1, 2′) – Vinzenz Rohrer (+1)
Défenseurs :
Dominique Heinrich (A) – Kilian Zündel (+1)
Clemens Unterweger (+1) – Bernd Wolf (+1, 2′)
Steven Strong – David Maier (2′)
Paul Stapefeldt – Nico Brunner (+1)
Gardien :
David Kickert [sorti à 59’25’’]
Remplaçant : Thomas Höneckl (G). Réservistes : David Madlener (G), Lucas Thaler (A).
Suisse
Attaquants :
Philipp Kurashev (-1) – Nico Hischier (A) – Calvin Thürkauf
Sven Andrighetto (-2) – Ken Jäger (-2) – Nino Niederreiter (A, -1)
Fabrice Herzog (2′) – Sven Senteler – Dario Simion
Tristan Scherwey (A, -1) – Anders Ambühl – Christoph Bertschy (+1, 2′)
Défenseurs :
Roman Josi (C) – Andrea Glauser (-1)
Jonas Siegenthaler (-1) – Dean Kukan (-1)
Christian Marti (-1) – Romain Loeffel
Sven Jung – Michael Fora
Gardien :
Reto Berra puis à 40’00’’ Akira Schmid
Réservistes : Leonardo Genoni (G), Gaëtan Haas (A).