C’est le sixième tournoi pré-olympique de Pierre-Édouard Bellemare. Après cinq échecs, le capitaine des Bleus sait que c’est sa dernière chance de vivre son rêve de toujours, lui qui échangerait volontiers ses 700 matchs NHL contre un seul à Milan, en 2026.
Les Bleus n’ont jamais paru si sereins, si forts de la force. Mais une montagne se dresse en face d’eux : la Lettonie, ses 10 000 supporters, obstacle sur lequel la France a buté en 2013 et en 2021.
Un début idéal… qui ne dure pas
La France débute de manière idéale. Un revirement dans la neutre revient sur Texier, tout seul. Il lance un deux-contre-un et sert au millimètre Bertrand, qui fonce à toute vitesse déposer le palet derrière Gudlevskis et éteint la patinoire (1-0).
Les Bleus s’appliquent, mettent la pression et les mises en échec. Toutefois, à la cinquième minute, un palet envoyé dans le dos de la défense rebondit et échappe à Pierre Crinon. Eduards Tralmaks s’échappe et feinte Papillon (1-1, photo ci-dessous).
Les Bleus réagissent vite et Bertrand est libéré devant la cage, pour un arrêt important de Gudlevskis. Sur la présence suivante, Enzo Guebey reçoit deux minutes de pénalité pour retard de jeu. La Lettonie pousse et plusieurs palets chauds sont dégagés sous le nez de l’attaque balte. Le jeu de puissance, si efficace dans le tournoi, bonifie la séquence à six secondes du retour de Guebey, par un tir de Roberts Bukarts côté mitaine (2-1).
La défense bleue flotte un peu et manque de peu de s’incliner une troisième fois dans la foulée, mais le disque est dégagé à temps. Puis, les Bleus repartent. Perret reçoit une longue passe et entre en zone, pour un centre fort devant la cage vers Fabre. Cela ne passe pas.
On joue depuis onze minutes, et les Bleus se font enfermer dans leur zone sur une présence interminable de plus de deux minutes. Incapables de sortir le palet de leur camp, ils limitent heureusement les dégâts et sont tout heureux de voir le palet dévié dans le filet. Sur l’engagement, Papillon intervient face à Egle, sans laisser de rebond.
En souffrance, les Bleus s’en remettent aux contre-attaques. Dubé récupère, au physique, et démarre en 2 contre 1. Bozon ne parvient pas à tromper Gudlevskis à la réception. Il reste 3’37 lorsque Bertrand s’effondre en zone offensive en perdant l’équilibre. Dubé prend sa place sur la ligne et libère Texier, pour un festival technique en attaquant la cage. Le gardien ne craque pas. La France finit mieux ce tiers, et le 2-1 en faveur de la Lettonie reste à portée.
La France coule en deuxième période
La Lettonie récupère à l’échec-avant dès la première présence et Papillon sort la mitaine sur un tir de la bleue. La France réplique avec un gros travail de la troisième ligne, ponctuée d’un tour de cage de Perret. Puis, une passe-abandon de Bellemare permet à Dubé de lancer au but. Mais le palet est repris et envoyé en contre. Abols est en un-contre-un avec Chakiachvili sur le reculoir, et le défenseur est laissé sur place. L’attaquant letton repique au but et creuse l’écart (3-1).
La France repart et Alexandre Texier, bien lancé par une longue passe de Pierre Crinon, est rattrapé par le retour de Rubins, sans pénalité. Da Costa tente à son tour une longue passe pour Texier mais elle est interceptée du gant par Janis Jaks. Dzierkals dépasse alors Gallet et son tir échappe à Papillon (4-1). Yorick Treille pose son temps mort et tente de remobiliser ses troupes. Sevrés de tirs, les Tricolores concèdent plusieurs chances repoussées par Papillon et paraissent fébriles, battus aux mises au jeu comme dans les duels. Après un quart d’heure, la France est dominée 13-2 dans ce tiers au chapitre des tirs, et n’est pas vraiment aidée par un arbitrage très permissive, à la grande colère de Texier.
Le trio Bertrand – Da Costa – Texier s’efforce de relancer une machine bleue bien grippée dans les dernières minutes. Le jeu se rapproche enfin du but de Gudlevskis, qui ne laisse pas de rebond sur un tir de Gallet après le travail du trio de Perret. Ces intentions en fin de tiers permettent à la France d’obtenir enfin un premier jeu de puissance, quand Zile accroche Da Costa à 1’31 de la pause. La supériorité numérique ne durera que 20 secondes interrompu car Chakiachvili expédie le palet dans le filet protecteur en subissant une mise en échec…
Le 4 contre 4 assomme la partie. Rubins efface Gallet qui cherche à le récupérer devant Papillon : dans la mêlée, le palet franchit la ligne (5-1). Les Bleus ont coulé dans ce deuxième tiers et le rêve olympique semble déjà enterré.
Un but crucial
Le jeu reprend avec 29 secondes de 4 contre 4, puis vingt secondes à la pénalité de Chakiachvili. Papillon bloque la première chance balte. Les Bleus prennent le contrôle du palet face à une Lettonie plus attentiste. Da Costa s’essaie ainsi au tir en force au cercle droit, sans réussite, pas plus que le lancer excentré de Texier.
Le danger se rapproche sur un tir de Llorca dévié en route : Gudlevskis a un bon réflexe et le poalet est dégagé sous le nez de Treille et Claireaux. Ces bons mouvements ne sont pas dénués de moments de stress, lorsque Tim Bozon doit cravacher pour rattraper une échappée provoquée par un palet qu’il a perdu. Les intentions sont cependant bonnes, à l’image d’un Fabre très actif.
Il reste dix minutes, et Da Costa perd ses nerfs sur une décision arbitrale défavorable, pointant du doigt l’officiel sur le chemin de la prison. L’attaquant français se venge à trois minutes du terme : après avoir été accroché – sans sifflet, ce qu’il montre encore à l’arbitre – il récupère dans le coin, mystifie Ločmelis et réduit l’écart du revers avec un bel écran de Bertrand (5-2). Les Bleus essaient encore sur ces derniers instants, avec un nouveau tir de Dubé. Mais c’est trop peu, trop tard.
La Lettonie a su jouer en patron, en équipe qui a gagné une médaille de bronze en 2023. La France n’a pas su élever son niveau de jeu et a commis des erreurs individuelles coupables, qui ne pardonnent pas à ce niveau.
Les Bleus, très malheureux au coup de sifflet final, savent que c’était sans doute la dernière danse pour certains vétérans. Côté staff, l’œil s’est vite rivé sur les résultats des autres groupes. La victoire du Danemark et de la Slovaquie bénéficient en effet à la France, désormais meilleure deuxième à la différence de but. Le but de Da Costa en fin de match prend une importance immense : les Bleus pourraient être repêchés lors du congrès de février 2025 si l’exclusion de la Russie est prolongée. Les signaux semblent très positifs sur ce plan… même si ce n’est pas le résultat et la manière que les joueurs attendaient.
Désignés joueurs du match : Kristers Gudlevskis (Lettonie) et Pierre-Édouard Bellemare (France)
Commentaires d’après-match :
Yorick Treille (entraineur de la France) : « Vous avez vu le même match que moi, c’était dur à jouer. L’adversaire s’est montré très solide, ils savent jouer ce type de match. Ce n’était pas le match espéré mais je reste fier de ce qu’on a fait dans ce tournoi. On apprend de ce genre de match de haut niveau. Il y a eu beaucoup de duels à 50-50 et ils en ont gagné plus. Nous avons essayé de trouver les ressources, d’essayer de placer des présences pour renverser le momentum. Mais l’adversaire nous a empêchés de le faire et nous, nous avons manqué de prise de décision, de vitesse vers l’avant, de rythme. Au deuxième tiers, ils ont maîtrisé, bloqué nos sorties de zone et bien protégé leur palet. Nous étions un peu en mode sauve-qui-peut face à un rouleau compresseur. Le troisième c’est du hockey égal. L’entame était excellente avec ce premier but très important, qui nous a libéré, peut être un peu trop. On a peut être un peu trop relâché la bonne tension, pour rester alerte, trop soulagé… Et ils ont eu les powerplays pour eux, et il n’y en a pas eu beaucoup pour nous. Le temps mort, c’était pour essayer de recentrer tout le monde. Ce sont de grands garçons, ils savent ce qu’il faut comme réaction, mais il faut insister, rester sur le système et ne pas se désunir. On risquait de trop ouvrir et de prendre une avalanche.
On connaissait la règle du meilleur deuxième. Le but de Da Costa fera peut être la différence, mais tout cela on ne le contrôle pas, ni les autres matchs, ni la décision de la fédération internationale. C’est une décision politique. Dans tous les cas, si on est meilleurs deuxièmes, c’est déjà pas mal, un lot de consolation. Mais cela garde un goût amer, ce n’est pas la manière qu’on souhaitait. Ce qui manque ? On a besoin de temps dans le nouveau projet, continuer à avoir de la concurrence à tous les postes. On manque de jouer ce genre de matchs comme ce soir. Nos défenseurs ? Ils ont tout donné, jusqu’à 100% de leurs capacités et potentiels. C’est l’équipe au final, car ce n’est pas comme au foot US où il y a des spécialistes. C’est le groupe entier qui doit jouer plus de volume de matchs, ensemble. Notre défense a fait ses meilleurs matchs depuis longtemps et va continuer à progresser. »
Pierre-Édouard Bellemare (capitaine de la France, en photo ci-dessous) : « Nous avons fait notre pire match au pire moment. Nous avons perdu trop de un-contre-un, ce qui nous coûte cher et n’est pas vraiment ce qui nous caractérise d’habitude. Ils marquent leur premier but sur un rebond horrible à la deuxième bleue, puis sur power-play, où on fait une erreur en prenant le palet en main, ça arrive. Un joueur bloque mais touche le palet et ça trompe Quentin. Je n’ai pas senti de relâchement après notre but. Le meilleur deuxième ? J’ai du mal à avoir un avis là-dessus, tu gagnes point barre. Si le but à la fin nous met deuxièmes, je n’aime pas espérer comme ça. On a perdu. En troisième, ils n’ont pas pris de risque, ils se relâchaient juste pour être bien placés. Nous avons créé de l’offensive mais trop tard. La Lettonie avait beaucoup de joueurs avec une expérience KHL, qui jouent ensemble depuis des années, ils avaient plus de cohésion que nous. Nous avons commencé il a deux semaines, c’était aussi la situation des Ukrainiens et Slovènes. La Lettonie, ils se connaissent bien, ils jouent depuis longtemps ensemble et employaient le même système qui leur a permis d’atteindre la demi-finale il y a deux ans.
Oui, il y avait beaucoup de nouveaux chez nous. C’est difficile de voir le positif maintenant car on vient de perdre 5-2 le match le plus important. Mais la vérité, c’est que par le passé, on galérait contre le moins bien classé, puis on gagnait ric-rac le suivant. Cette année, on n’a pas eu peur au premier match, ni au deuxième. Tous ces jeunes, ils apportent de la profondeur, ils nous avancent face aux quatrième-troisième et font qu’on est plus à ce niveau-là, alors qu’avant tout était à couteaux tirés. On a vu qu’il y avait une sélection, qu’on a laissé des joueurs à la maison, comme Dair ou Toto (Rech) qui auraient pu être là. Maintenant, on choisit pour mettre des joueurs à des places spécifiques. C’est de bon augure.
Mon avenir ? La décision se jouait là. Je ne sais pas encore. Je vais retourner aux États-Unis, étudier des contrats à l’essai avec ma femme et mes enfants. Et prendre une décision en fonction d’eux, ce qu’on veut faire ensemble. J’ai eu des contacts cet été, je ne suis pas sûr à 100%. Maintenant, c’est à propos de ma famille, du travail de ma femme, de mes enfants, voir si on change d’endroit. Le scénario, avec cette histoire de meilleur deuxième, peut me faire continuer, pour voir, mais ça sera en fonction de ce qui est le mieux pour ma famille si on repart. »
Hugo Gallet (défenseur de la France) : « C’est dur, c’est sûr. Il y a des joueurs qui arrêtent là-dessus, ça fait chier pour eux. Il n’y a rien à dire, c’est un match perdu et ça s’arrête. Ils ont mieux joué. Nous, nous n’avons pas fait notre meilleur match. On prend des buts sur des erreurs individuelles, j’en prends deux pour moi. C’est compliqué, ces erreurs nous coûtent cher. Je n’ai pas l’impression qu’ils nous ont roulé dessus, mais nous avons fait des erreurs, et à ce niveau ça ne pardonne pas, ils capitalisent. Il y a des faits de match, ils font une grosse erreur sur notre premier but, mais ça arrive dans les deux sens, nous en faisons aussi, et à la fin du premier tiers, ça aurait pu faire 0-0, 1-0 c’était la même chose. On a perdu le fil sur le deuxième tiers avec des erreurs individuelles. À chaud, c’est difficile d’analyser. Le meilleur deuxième ? Nous ne l’avons pas du tout en tête, je ne connais même pas la règle. Personne n’a pensé à ça, nous étions tous concentrés à 100% pour obtenir notre qualification en gagnant ce match, pour être maitres de notre destin. »
Harijs Vītoliņš (entraîneur de la Lettonie, en photo ci-dessous) : « Cette victoire n’est que le début de la route vers les Jeux olympiques. Nous devons nous préparer pour qu’à Milan, nous secouions les nerfs des équipes fortes. Je n’ai rien ressenti au premier but encaissé, tout s’est passé trop vite pour paniquer. Nous avons gagné et je peux vous dire ce que je veux, mais l’énergie de l’équipe s’est fait sentir tôt le matin. On entre dans les vestiaires et on sent qu’ils sont prêts au combat. Les mouvements étaient bons, les pensées étaient bonnes, et parfois nous devons aussi avoir de la chance. Le powerplay a vraiment bien fonctionné dans ce tournoi. On a raté les cinq premières minutes de la deuxième période, mais ensuite on a corrigé les erreurs. Le but de Rodrigo nous a donné un second souffle. [Si la France n’a joué que 20 secondes en supériorité numérique], cela montre simplement que les gars étaient concentrés et travaillaient. [Pour Girgensons] c’est une blessure avec laquelle vous ne pouvez pas jouer. La NHL voit aussi qu’il n’est pas sur la glace. Immédiatement, il y a des appels et des questions. Nous ne pouvons pas cacher des choses comme ça. Merci à Deniss [Smirnovs] qui a pris l’avion hier soir. Il n’est pas allé sur la glace une seule seconde, mais il a donné un sentiment de sécurité. C’est un travail d’équipe. Comme je l’ai dit, nous n’avons pas de première ou de quatrième ligne. C’est notre force – chaque présence peut décider du match. Il y avait un plus grand sens des responsabilités ici. Quels que soient les deux premiers matchs, le dernier sera le plus important. Si vous perdez, tout le travail que vous avez fait est dans le vent. »
photos : LHF
Lettonie – France 5-2 (2-1, 3-0, 0-1)
Dimanche 1er septembre 2024, 17h00. Arena Riga, 10 300 spectateurs.
Arbitrage de Tobias Björk (SUE) et Sean MacFarlane (USA) assistés de Albert Ankerst Jerne (DAN) et Oto Durmis (SVK)
Pénalités : Lettonie 4′ (0′, 4′, 0′) ; France 8′ (2′, 4′, 2′)
Tirs : Lettonie 36 (12, 15, 9) ; France 19 (5, 5, 9)
Récapitulatif du score :
0-1 à 00’21 : Bertrand assisté de Texier
1-1 à 05’08 : Tralmaks assisté de Rubins
2-1 à 07’52 : Ro. Bukarts assisté de Jaks et Locmelis (sup. num.)
3-1 à 23’48 : Abols assisté de Rubins
4-1 à 25’18 : Dzierkals assisté de Jaks
5-1 à 39’32 : Rubins assisté de Mamcics et Batna
5-2 à 56’53 : Da Costa
Lettonie
Attaquants :
Rūdolfs Balcers – Rodrigo Ābols (A) – Kaspars Daugaviņš (C)
Rihards Bukarts (-1) – Dans Ločmelis (-1) – Miks Indrašis
Mārtiņš Dzierkals (+1) – Oskars Batņa (+2) – Roberts Bukarts (A)
Eduards Tralmaks (+1) – Haralds Egle (+1) – Renārs Krastenbergs (+2)
Défenseurs :
Uvis Jānis Balinskis (-1) – Kristiāns Rubīns (+3)
Jānis Jaks (+2) – Roberts Mamčics (+1)
Ralfs Freibergs (2′) – Kristaps Roberts Zīle (2′)
Oskars Cibuļskis (-1)
Gardien :
Kristers Gudļevskis
Remplaçants : Eriks Vitols (G), Deniss Smirnovs. Réservistes : Gustavs Dāvis Grigals (G), Markuss Komuls (D), Zemgus Girgensons (A, substitué sur blessure par Smirnovs), Felikss Gavars (A)
France
Attaquants
Charles Bertrand (+1) – Stéphane Da Costa (A, 2′) – Alexandre Texier
Pierrick Dubé (-1) – Pierre-Édouard Bellemare (C, -1) – Tim Bozon (-1)
Jordann Perret – Louis Boudon – Dylan Fabre
Sacha Treille (2′, -1) – Justin Addamo (-1) – Floran Douay
Valentin Claireaux (-1)
Défenseurs
Enzo Guebey (2′, +1) – Yohann Auvitu (A, +1)
Hugo Gallet (-3) – Enzo Cantagallo (-1)
Vincent Llorca – Florian Chakiachvili (2′)
Pierre Crinon (-2)
Gardien :
Quentin Papillon
Remplaçant : Antoine Keller (G). Réservistes : Julian Junca (G), Thomas Thiry (D), Guillaume Leclerc (A).