La Lettonie et le Canada s’étaient affrontés le premier jour du tournoi juste après la cérémonie d’ouverture à Riga. Ils se retrouvent en demi-finale, à la surprise générale dans le cas de l’équipe balte qui n’avait jamais atteint ce niveau de compétition.
Le contexte est devenu très différent. On joue à Tampere, en Finlande, où les Canadiens ont éliminé le pays-hôte avant-hier. On n’est donc plus à Riga devant un public enflammé… et pourtant on s’y croirait ! Les « Latvija Latvija » résonnent dès le coup d’envoi et les Lettons sont encouragés plus bruyamment que les Finlandais – pourtant à domicile ! – lors de leur quart de finale. Si on ne voyait pas des supporters finlandais habillés du maillot des Leijonat, on penserait que la Nokia Arena a été télétransportée en Lettonie !
Ce sont bien les supporters baltes qui ont improvisé le voyage en moins de 36 heures (depuis la fin du quart de finale). Certains ont pris un vol direct affrété spécialement pour Tampere par airBaltic en espérant pouvoir obtenir une place. D’autres ont passaé la nuit sur la route pour prendre le ferry entre Tallinn et Helsinki dans une soudaine file de voitures habillées de grenat. Beaucoup sont venus sans même avoir d’hébergement ni de billets avant leur arrivée !
Le Canada est officiellement l’équipe à domicile, étant mieux classé en poule. Il a donc le dernier changement et peut aligner sa meilleure paire Weegar-Middleton et son trio d’attaquants à vocation défensifs (celui de Jack Mc Bain) face à la première ligne de la Lettonie menée par un Rodrigo Abols étincelant depuis deux semaines.
Mais il existe une dernière différence fondamentale par rapport à la confrontation antérieure : le gardien letton Ivars Punnenovs avait encaissé deux buts en cinq minutes il y a quinze jours. Rien de tout cela pour le nouveau héros Arturs Silovs qui fait les premiers arrêts sur les tirs de Barron, Quinn et Laughton. Nul besoin d’exploit pour cela, il était bien placé et protégé par une défense solide.
Le jeu est équilibré et la patinoire peut exploser quand la Lettonie convertit une action installée après huit minutes de jeu. Au lancer lointain de Kristaps Zile qui frappe l’épaule du défenseur Justin Barron succèdent deux rebonds de suite pour Rihards Bukarts – détourné par le haut de la botte de Montembeault – puis pour Dans Ločmelis, au poteau gauche d’une cage grande ouverte pour lui (0-1, photo ci-dessous).
Lors de la confrontation initiale face au Canada – son premier match face à des adultes – Ločmelis avait souffert et perdu sa place. Aujourd’hui pourtant, l’attaquant de l’équipe junior de Luleå a ouvert le score, comme en quart de finale face à la Suède. Cela faisait 106 minutes que Samuel Montembeault n’avait plus encaissé de but et ce but a une importance psychologique évidente.
Le Canada tente de réagir. Après un lancer de Glass qui a frappé la bande et un tir de derrière la ligne de fond de Fantilli dans le dos de Silovs, celui-ci pose son bouclier sur le palet derrière lui juste avant que le dangereux rôdeur Lucic y mette sa crosse. Mais l’occasion la plus dangereuse est le revers entre les cercles de Michael Carcone qui frappe le poteau gauche ! Le dieu caché dans la structure métallique de la cage a-t-il choisi son camp ?
La menace est passée et se calme pendant la seconde moitié du tiers. Une perte de palet de Carcone sur une sortie de zone offre même une dernière occasion à Indrasis juste avant la pause, avec deux tirs successifs depuis l’enclave : un premier relâché par le gant de Montembault, puis un second qui n’est pas cadré.
La Lettonie s’offre aussi la première occasion de la deuxième période, un palet sorti de derrière la cage par Martins Dzierkals et repris par Roberts Bukarts. La première pénalité est canadienne, un surnombre un peu malchanceux puisque le palet a frappé le patin de Neighbours qui sortait du banc. C’est alors que Pierre-Olivier Joseph a la mauvaise idée de briser le bâton d’Indrasis d’un coup de hache, laissant la preuve de la faute évidente. La Lettonie joue une minute à 5 contre 3… mais elle doute, hésite et ne prend pas le moindre tir ! Le duo défensif Middleton-Weegar a encore fait de l’excellent travail pour couvrir l’espace en infériorité numérique.
Rihars Bukarts prend une pénalité idiote en zone offensive, un croc-en-jambe sur Middleton derrière la cage canadienne. Mais la Lettonie est encore meilleure que son adversaire en désavantage numérique, elle a tué 24 pénalités sur 25 pendant ce tournoi. 25 sur 26 désormais, après un bon sacrifice de Dzierkals pour contrer un lancer de Hunt. Au retour au complet, un slap de Smirnovs est dévié par la partie du gant de Montembeault située autour du poignet.
Les bonnes statistiques du penalty killing ne sont pas une raison pour commettre des fautes inutiles. Abols prend deux minutes pour attitude antisportive après avoir bousculé et envoyé au sol Toffoli. La Lettonie a joué avec le feu sans se brûler : un lancer d’Adam Fantilli passe au-dessus de la botte droite de Silovs mais ricoche sur le poteau ! Fantilli donne un coup de poing à Cukste dans la mêlée qui s’ensuit et rétablit la parité numérique.
À 4 contre 4, Artus Silovs referme bien son bras droit sur un tir de Carcone. Sur l’engagement, la crosse de Lawson Crouse atteint Freibergs au visage. Le Canada se retrouve à 3 contre 4 et doit bientôt passer à 3 contre 5. Laughton gagne l’engagement devant Dzierkals, Rihards Bukarts veut regagner le palet dans le coin et charge avec la crosse dans le dos de Weegar dont le casque frappe le bord de la balustrade. L’attaquant letton s’excuse immédiatement au surplomb du joueur au sol. Cela influence-t-il les arbitres ? Malgré la vidéo, ils maintiennent leur décision étonnante d’infliger seulement deux minutes de pénalité. Le jeu reprend à 4 contre 3 pour la Lettonie, avec un rebond chaud, puis les bancs des prisons se vident.
C’est donc à 5 contre 5 que le score évolue. Peyton Krebs entre en zone et attire toute la défense par son habileté technique. Sa passe du revers contrée par un défenseur arrive quand même à Sammy Blais dans le cercle droit. Le palet saute, il est repris comme il vient… et il part droit dans la lucarne opposée (1-1, photo ci-dessus).
Le doute n’a même pas le temps de s’installer dans le camp letton car la première ligne balte frappe encore. Abols gêne la relance dans la bande de Weegar qui arrive sur Rudolfs Balcers. L’ailier dribble le défenseur de Calgary et place son tir sous le bras gauche de Montembeault (1-2, photo ci-dessous).
Blais fait trébucher Balinskis qui est aussi sévèrement pénalisé pour embellissement. Cela signifie qu’il aurait volontairement plongé juste à côté de sa propre cage au risque d’abandonner un palet de but à Neighbours… La Lettonie défend à 4 contre 4 comme si elle était en infériorité numérique, le gardien Silovs se démène dans tous les sens et garde le score jusqu’à la sirène !
Tout semble tourner en faveur de la Lettonie ce soir, mais ce n’est plus le cas à la première minute du troisième tiers-temps. Jack Quinn est situé nettement derrière la ligne de but mais fait entrer le palet en tirant dans la tête du gardien Silovs (2-2) !
Le match prend alors brièvement une configuration plus attendue : un Canada qui installe la possession avec du cycling et une Lettonie héroïque qui se sacrifie sur chaque palet. Mais les Baltes se sortent de ce temps faible et le jeu se rééquilibre.
C’est le moment que choisit Adam Fantilli pour inscrire son premier but en championnat du monde, un numéro individuel qui restera dans les annales : entré en zone dans l’axe face à Ralfs Freibergs, le talentueux junior canadien le déroute par un dribble droite-gauche-droite, lui repasse le palet par la gauche entre les jambes et place un tir croisé à mi-hauteur, côté mitaine de Silovs (3-2).
Adam Fantilli has given Canada the 3-2 lead… and it's a highlight-reel goal.
What a move for his first of the tournament.
Wow. Looked like the Lemieux move against the North Stars. #IIHFWorlds pic.twitter.com/4oBHO3FjXP
— Steven Ellis (@SEllisHockey) May 27, 2023
Il reste dix minutes à la Lettonie pour entretenir son rêve, mais elle peine à avoir assez durablement le palet, surtout parce qu’elle est largement dominée aux mises au jeu (42 à 23 sur l’ensemble du match). Elle peine ensuite à prendre le meilleur dans les bandes malgré ses efforts.
En allant au foreckeching, Oskars Batna charge Weegar qui tourne encore le dos et frappe encore la tête contre la bande. Une mauvaise pénalité à un très mauvais moment, à trois minutes de la fin. En infériorité numérique, Daugavins contre une passe de Tyler Myers le long de la ligne bleue et lance une contre-attaque, prise à revers par le Canada qui repart à 3 contre 1. Rubins se jette pour bloqyer le passage à Carcone qui attend et peut tirer… dans la mitaine de Silovs.
La Lettonie donne tout et s’installe même en zone offensive à 4 contre 5 ! Cela lui donne espoir quand elle revient au complet et sort son gardien. Mais le jeune Ločmelis, dont le statut a tellement évolué qu’il est aligné dans ces moments décisifs, rate sa passe… Laughton reçoit le palet et l’envoie précisément, depuis son camp, dans les filets déserts (4-2). L’entraîneur Harijs Vitolins baisse la tête, l’abattement est total chez les fans.
Mais quand vient l’heure des poignées de main, puis de quitter la glace, les « Latvija, Latvija » reprennent de plus belle. Les supporters saluent cette équipe formidable qui aura porté son rêve très, très haut, à vingt minutes de la finale.
Le Canada a renversé une situation compromise, comme si souvent ces dernières années. Il aura fallu le culot de deux des trois plus jeunes attaquants canadiens pour renverser le score en troisième période, le but dans un angle impossible de Jack Quinn (21 ans) et la phénoménale démonstration technique d’Adam Fantilli, 18 ans à peine et numéro 2 annoncé de la prochaine draft derrière Connor Bedard.
Désignés joueurs du match : Jack Quinn pour le Canada et Uvis Janis Balinskis pour la Lettonie.
Trois meilleurs Lettons du tournoi selon leur entraîneur : Kaspars Daugavins, Rodrigo Abols et Arturs Silovs.
Trois meilleurs Canadiens du tournoi selon leur entraîneur : Samuel Montembeault, MacKenzie Weegar et Lawson Crouse.
Commentaires d’après-match :
Adam Fantilli (attaquant du Canada) : « C’est très spécial. J’ai grandi en voyant Lucic toute ma vie, il m’a fait la passe et j’ai mis ce but, c’est un sentiment surréaliste. J’ai tellement appris en dehors de la glace, dans le vestiaire, avec des gars de ce niveau. On veut représenter le pays du mieux qu’on peut et j’espère qu’on le fera en finale. »
Harijs Vītoliņš (entraîneur de la Lettonie) : « Les victoires sont venues l’une après l’autre, et nous avions déjà oublié ce que c’est de perdre. Je veux souligner que les gars se sont battus de la première à la dernière minute, et ce n’est pas pour rien que nous sommes dans les quatre premiers. Par notre compréhension du jeu, notre confiance contre le Canada, nous méritons d’être là. Nos défenseurs tenaient le palet et prenaient leurs décisions avec tant de confiance, nos attaquants n’avaient pas peur d’aller à la cage. Maintenant, digérons. Bien sûr, tout semblait si proche que le conte de fées ne semblait pas avoir de fin, mais demain c’est la petite finale. On veut terminer par une victoire.
[L’égalisation de Quinn] C’est l’instinct des Canadiens. Ils sont célèbres pour ça, ils prennent une décision qui ne paraît pas logique.
[Le 5 contre 3 non exploité] La tension à ce moment-là, il faut la vivre soi-même… Mais notre infériorité fonctionne aussi, ce qui signifie que les meilleures équipes ne peuvent pas non plus marquer en supériorité numérique dans les moments importants.
[Ločmelis] Il a joué un match responsable, a contrôlé le palet. Ce n’est pas pour rien que l’ai envoyé comme sixième homme. Il le méritait par sa compréhension du jeu, nous avons un bon joueur de centre.
[Les supporters] Des étrangers m’ont demandé hier ce que ça ferait de jouer sans nos spectateurs. J’ai dit que j’espérais qu’ils seraient au moins 5000. On m’a dit que c’était impossible que 5000 personnes arrivent en un jour ! Un soutien fantastique. »
photos IIHF
Canada – Lettonie 4-2 (0-1, 1-1, 3-0)
Samedi 27 mai 2023 à 14h20 à la Nokia Arena de Tampere. 8669 spectateurs.
Arbitres : Mikko Kaukokari (FIN) et Sean MacFarlane (USA) assistés de Nick Briganti (USA) et Jake Davis (USA).
Pénalités : Canada 12′ (0′, 12′, 0′) ; Lettonie 12′ (0′, 10′, 2′).
Tirs : Canada 36 (9, 16, 11) ; Lettonie 22 (7, 6, 9).
Évolution du score :
0-1 à 08’18 : Locmelis assisté de Bukarts et Zile
1-1 à 35’32 : Blais assisté de Krebs et Middleton
1-2 à 36’38 : Balcers
2-2 à 40’45 : Quinn assisté de Crouse et Laughton
3-2 à 48’56 : Fantilli assisté de Lucic et Barron
4-2 à 59’17 : Laughton (cage vide)
Canada (2′ pour surnombre)
Attaquants :
Milan Lucic (A, +1) – Cody Glass (+1) – Adam Fantilli (+1, 2′)
Lawson Crouse (+2, 2′) – Scott Laughton (A, +2) – Jack Quinn (+1)
Jake Neighbours – Peyton Krebs – Samuel Blais (+1, 2′)
Michael Carcone (-1) – Jack McBain (-1, 2′) – Tyler Toffoli (C, -1)
Défenseurs :
Jake Middleton (+1) – MacKenzie Weegar (+1)
Brad Hunt (+1) – Justin Barron
Pierre-Olivier Joseph (2′) – Tyler Myers (+1)
Gardien :
Samuel Montembeault
Remplaçant : Devon Levi (G). Réservistes : Joel Hofer (G), Ethan Bear (D, blessé au poignet par un cinglage de Kapanen). Suspendu : Joe Veleno (A).
Lettonie
Attaquants :
Rudolfs Balcers (+1) – Rodrigo Ābols (A, 2′) – Kaspars Daugaviņš (C)
Roberts Bukarts (A, -1) – Oskars Batņa (-1, 2′) – Mārtiņš Dzierkals (-2)
Rihards Bukarts (4′) – Dans Ločmelis (-2) – Miks Indrašis
Toms Andersons – Deniss Smirnovs – Renars Krastenbergs (-1)
Ronalds Ķēniņš (-1)
Défenseurs :
Kristaps Zīle – Uvis Jānis Balinskis (-2, 2′)
Jānis Jaks (-1) – Kristiāns Rubīns (-2)
Ralfs Freibergs – Kārlis Čukste (+1)
Oskars Cibuļskis (2′)
Gardien :
Artūrs Šilovs [sorti de 59’06 à 59’17 et de 59’40 à 60’00]
Remplaçant : Kristers Gudļevskis (G). Réservistes : Ivars Punnenovs (G), Arvils Bergmanis (D), Georgs Golovkovs (A, dos). Substitués sur blessure : Roberts Mamčics (D, hernie discale), Andris Džeriņš (A).